Objectif du cours :

Depuis l’Après-guerre, l’enseignement de l’éthique professionnelle s’est développé dans de nombreuses formations. C’est en effet, à l’issue de la Seconde guerre mondiale, qu’est proclamé le « code de Nuremberg » (1947) sur les expérimentations scientifiques dans la lignée du procès des médecins. Cela s’explique parce que naît la conscience que les codes de déontologies ne sont pas suffisants pour aider les professionnels à faire face à des situations critiques. Se développent donc, dans différents cursus de formation, des enseignements en éthique professionnelle. C’est le cas par exemple des professions médicales, des ingénieurs ou encore des enseignants. Le référentiel de formation des enseignants, en France comme dans d’autres pays, mentionne en effet une compétence en éthique professionnelle.

Alors que l’éthique professionnelle constitue une dimension de plus en plus présente dans les cursus de formation et répond à une demande du public et des salariés de plus en plus demandeurs d’un respect éthique dans le monde professionnel, les ouvrages qui abordent cette thématique sont relativement peu nombreux. En France, la recherche en éthique professionnelle reste sous-développée par rapport aux travaux menés en Amérique du Nord, et en particulier au Quebec.

Sur le plan théorique, il est nécessaire de constater que les ouvrages consacrés à l’éthique professionnelle reprennent en général les approches de trois ou quatre grands courants de la philosophie morale (ou éthique générale) : le déontologisme, l’utilitarisme, le care ou l’éthique des vertus. Pour notre part, nous souhaitons développer et justifier le recours à une autre approche en éthique professionnelle : l’éthique de la critique.

« L’éthique de la critique » est une notion qui apparaît mentionnée par des éthiciens comme Robert Starratt, Steven Shapiro ou encore Lyse Langlois. Ces auteurs se réclament du paradigme de la multiplicité éthique. Cela signifie que pour eux, le jugement en éthique professionnel doit s’appuyer sur la conjonction entre plusieurs éthiques qui sont l’éthique de la justice (déontologisme), l’éthique du care et l’éthique de la critique. Cette dernière est référée à l’Ecole de Francfort et à l’oeuvre de Paulo Freire. L’éthique de la critique est orientée vers le dévoilement des torts subis par un groupe social dans une situation donnée avec une visée de justice sociale.

Néanmoins, si ces auteurs et autrices mentionnent l’éthique de la critique, ils en développent peu les caractéristiques philosophiques. En effet, certains auteurs et autrices de ce courant ont plutôt une formation en psychologie morale et leur usage de la philosophie est parfois superficiel et confus. En outre, ils partent de l’idée qu’il peut y avoir une articulation dans le jugement pratique entre ces différents courants éthiques alors qu’on peut au contraire montrer qu’ils peuvent entrer en contradiction.

Notre objectif sur le plan théorique serait de montrer en quoi sur le plan philosophique l’éthique de la critique peut constituer un courant de l’éthique professionnelle au même titre que le déontologisme, l’utilitarisme ou le care. Contrairement au déontologisme et à l’utilitarisme, l’éthique de la critique ne repose pas uniquement sur une argumentation abstraite, mais prend appui sur des analyses en théorie sociale. Il s’agira également de montrer en quoi l’éthique de la critique se différencie de l’éthique du care. Pour cela, entre autres, on s’appuiera sur les critiques anti-validistes qui ont été produites à l’encontre de la théorie du care.

L’enjeu d’une théorisation de l’éthique de la critique porte sur la production d’une approche critique en éthique professionnelle. Trop souvent, en effet, la formation en éthique professionnelle semble tournée sur les obligations morales des salariés qui seraient une garantie pour l’image de l’entreprise ou l’institution. Ainsi la responsabilité éthique, dans la formation, semble porter davantage sur les futurs employé-e-s que sur les employeurs. On peut à ce titre souligner le manque de lien par exemple dans les formations entre droit du travail, action syndicale et éthique professionnelle.

Pour étayer cette dimension critique, nous allons en particulier nous intéresser à des sujets qui sont souvent délaissés dans les formations en éthique professionnelle. Ces dernières sont souvent tournées vers des problèmes touchant aux manquement à la déontologie professionnelle, à la maltraitance institutionnelle (maltraitance vis-à-vis des publics reçus), au respect de l’environnement ou plus récemment à l’alerte éthique. En revanche, des thématiques telles que les discriminations institutionnelles au travail, le harcèlement institutionnel et la souffrance au travail se sont peu prises en compte, voire ignorées. On peut néanmoins s’étonner que les institutions qui forment les futur-e-s professionnelles fassent l’impasse sur le manque d’éthique de l’employeur quand il touche les conditions de travail des salariés. Les formations en éthique professionnelle semblent réalisées sous l’angle de l’éthique des professionnels relativement aux publics (ex : élèves, malades, clients…), mais non sous l’angle des rapports sociaux au travail. Les formations en éthique professionnelle semblent rester souvent en deçà même des thématiques qui ont été incorporées pourtant depuis longtemps ou récemment par le droit du travail.

L’une des spécificités de l’éthique professionnelle, par rapport à l’éthique générale, est de reposer sur une démarche casuistique. En effet, une des limites de l’éthique générale qui est soulignée par les spécialistes d’éthique appliquée, c’est que les courants de l’éthique générale semblent ne pas permettre d’apporter des réponses adaptées aux cas particuliers. Ce problème était déjà souligné par Aristote, dans L’Ethique à Nicomaque, lorsqu’il parlait de la vertu d’équité.

Une formation en éthique professionnelle repose donc bien souvent sur l’analyse de cas pratiques. On peut distinguer deux types de cas pratiques : les « cas pratiques sauvages » et les « cas pratiques apprivoisés ». Les « cas pratiques sauvages » reprennent des situations réelles dans toutes leur complexité. Les « cas pratiques apprivoisés » sont des récits simplifiés de situations pouvant se produire dans la réalité.

L’une des particularités de l’approche que nous développons en éthique professionnelle est également de travailler à partir de « cas pratiques science-fictionnels ». En effet, le travail à partir d’un terrain science-fictionnel présente plusieurs intérêts sur le plan didactique. Cela permet d’entraîner les étudiant-e-s à raisonner à partir de cas pratiques qui ne sont pas directement calqués sur la réalité professionnelle existante. Cela leur permet ainsi de se concentrer davantage sur les formes de raisonnement qui caractérisent les différents courants en éthique et les types d’arguments qui sont utilisés par ces courants. Un autre intérêt de la création science-fictionnelle est d’amener les étudiant-e-s à réfléchir sur les problèmes éthiques posés par les évolutions socio-techniques.

Une formation en éthique professionnelle porte sur la sensibilité éthique (développement de la capacité à repérer un problème éthique), la délibération éthique, la décision éthique et l’agir éthique. La délibération éthique peut être individuelle, mais elle est également souvent collective. Pour ce faire, l’une des pratiques didactiques repose sur des simulations de comité d’éthique. Afin de pouvoir en rendre compte, nous comptons nous appuyer là aussi sur des délibérations fictionnelles liées à des cas pratiques, en particulier d’ordre science-fictionnels.

Nous comptons également présenter d’autres pratiques de formation en éthique professionnelle comme la rédaction de charte d’éthique, l’écriture de maximes professionnelles…

La présentation des pratiques de formation relevant de la didactique de l’éthique professionnelle sera menée en soulignant les risques de technicisation auxquels peuvent conduire une réduction de l’éthique professionnelle principalement à une approche sous un angle didactique. Pour cela, on s’appuiera sur les limites qui peuvent être liées à l’usage de la grille d’aide à la prise de décision en éthique professionnelle.

Plan de cours :

1- Connaissances de base :

– Présentation des notions de bases : droit, morale, déontologie, éthique professionnelle

– Sensibilité éthique et enjeux éthiques : dilemme éthique, typologie de M.J. Drolet.

– Les étapes de l’éthique professionnelle : l’identification d’un problème éthique, la délibération éthique, la créativité éthique et la décision éthique, l’agir éthique (L.A. St Vincent).

– Principaux courants de l’éthique professionnelle : déontologisme (Kant ; Lorentz), utilitarisme (Bentham, Singer), care (Gilligan, Tronto). Le dilemme de Heinz. Le dilemme du tramway et ses variantes.

– Le paradigme de la multiplicité en éthique professionnelle (Shapiro, Staratt, Langois) : intérêt et limites

2- Théorisation de l’éthique de la critique :

– Présentation de l’éthique de la critique (Ecole de Francfort, Paulo Freire)

– Ethique de la critique et théorie sociale :

→ nouvelles formes de management, efficience et réification (critique de la domination de la raison instrumentale et de l’utilitarisme éthique). L’exemple de l’altruisme efficace de P. Singer.

→ souffrance éthique (Dejours) au travail et harcèlement institutionnel, maltraitance institutionnelle, discriminations institutionnelles,

→ conflits de valeurs au travail (Rapport Gollac) et détresse morale (Jameton).

→ l’instrumentalisation de l’éthique professionnelle : image de marque des entreprises, culpabilisation des salarié-e-s…

– Ethique de la critique et pratiques de résistance éthique au travail : dissidence éthique, alerte éthique (Loi Sapin), action syndicale, désobeissance éthique (Alain Refalo).

– L’éthique de la critique vs. déontologisme, utilitarisme et care

3- Les pratiques de formation :

– La place du cas pratique : éthique générale et casuistique, conflits de valeurs, cas pratique sauvage et cas pratique apprivoisé (Spranzi), rédaction d’une vignette en éthique professionnelle

– Le cas pratique science-fictionnel et les enjeux socio-techniques futurs dans le monde professionnel

– La délibération éthique et les pratiques dialogiques : la simulation de comités d’éthique, la rédaction fictionnelle de PV de délibération, la rédaction collective d’une charte éthique

– La décision éthique et le recours aux grilles de décision éthique (Legault).

– La formation à l’agir éthique : l’éthique des vertus et le perfectionnisme éthique professionnel, la rédaction de maximes professionnelles.

– Les limites des pratiques didactiques : raisonnement éthique et pensée technicienne, agir éthique et agir technique.

Annexes :

Lexique

Bibliographie

Fiches de pratiques didactiques

Encarts avec des cas pratiques.