L’une des grandes difficultés de notre métier (hormis de trouver le courage de passer des heures à corriger de trop nombreuses copies), c’est de bien savoir se positionner face aux élèves. Malgré la disparition des estrades dans la plupart de nos salles de classe, nous allons en cours comme on monte sur scène. Et selon les âges, selon les élèves que nous avons en face de nous, ce rôle est à recomposer sans cesse. On met des années à se façonner un personnage et le faire vivre avec aisance. Évidemment, on y retrouve beaucoup de notre personnalité, à l’instar des grands acteurs qui ne nous émeuvent jamais autant que lorsqu’ils jouent avec sincérité. Mais pour rester en phase avec cette jeunesse en constante évolution, nous devons sans cesse réinventer les répliques qui feront mouche.

Ayant toujours travaillé avec des élèves de plus de quinze ans, mon âme d’actrice se retrouve cette année confrontée à deux challenges de taille !

Premier jour de classe en Sixième

collegeJe m’étais préparée mentalement à pas mal de scénarios, mais j’ai été surprise de me faire tutoyer en me faisant appeler « maîtresse » par certains de mes nouveaux élèves. Habituée à un univers où je vouvoie mes lycéens, quel choc ! Lâchement, je ne dis rien, ne voulant pas stigmatiser devant toute la classe celui ou celle qui a lâché le mot fatidique. Finalement, ils appliquent eux aussi la réciprocité dont j’use avec mes élèves de Terminale. Les tutoyant, ils font de même avec moi, naturellement, comme ils le font depuis leurs trois ans en petite section avec leurs précédents enseignants. Pas de quoi fouetter un chat, cela se régularisera avec le temps…

Premier jour de classe avec mes étudiants chinois de l’École Centrale de Pékin (???????)

Amphitheatre_centrale_pekinTrac pas possible. Sentiment d’être jugée, scrutée par cent-dix paires d’yeux. Ils vénèrent à juste titre LE professeur français de mathématiques qui leur avait tout appris depuis l’obtention de leur ?? (équivalent du bac) et à qui je succède cette année. Le stress a tendance à faire accélérer ma vitesse d’élocution alors que c’est précisément à cela que je dois être attentive. Pourtant je peux facilement me mettre à leur place. C’est leur troisième année d’études et donc troisième année de français. J’habite précisément à Pékin depuis deux ans. J’ai appris mes premiers mots de mandarin quand ils commençaient à bégayer leur premiers « bonjour ! ». Mais ceux-là ont été triés sur le volet à travers toute la Chine et sont loin d’être les moins perspicaces. Ils ont l’habitude d’avoir devant eux des maîtres de conférence sur-diplomés. Je ne me sens pas à ma place sur cette grande scène. Un Olympia pour une habituée des petites scènes anonymes… Effroi !

Quelle détente lorsque je reprends mes élèves de Terminale après ces premières expériences déstabilisantes ! Je ne connais pas encore tous les noms et toutes les personnalités, mais mon expérience aidant, l’année est déjà sur de bons rails. Je sais exactement ce qui les interpelle, ce qui va provoquer une petite étincelle dans leurs yeux, les intéresser. Je me sens comme une artiste à l’apogée de sa tournée. Les personnages de mon spectacle sont rodés et j’ai plaisir à faire vibrer la salle, qui réagit différemment tous les soirs, heu… pardon tous les jours ! Savoir doser les petites blagues et les anecdotes sans que cela dérape, détendre l’atmosphère quand il le faut pour mieux continuer à bosser ensuite, gagner la confiance des plus récalcitrants, pousser toujours plus ceux qui en demandent encore…

classe_lycee

Quelques semaines plus tard, je n’ai pas totalement trouvé mes marques avec mes pré-ados

« Vous » et « Madame » sont de rigueur maintenant. Mais je ne suis pas encore familiarisée avec cet univers où je dois être plus maternelle, mais aussi plus directrice. Pour l’instant, pas possible de blaguer avec ceux-là sans mettre plusieurs minutes à rattraper le coup… Certains jours, la mayonnaise prend et je parviens à allumer la petite étincelle dans ces jeunes yeux. Mais d’autres jours, j’ai la sensation que la salle va me lancer des œufs pourris et des tomates trop mures ! Je n’ai pas encore réussi à déterminer pourquoi. Cela viendra. Je me retrouve confrontée à des problématiques que j’avais sûrement en début de carrière. Tout cela me semble bien loin…

Quelques semaines plus tard à l’université de Beihang

(????)

Je me détends un peu mais les choses sont loin d’être simples. On m’a dit que je devais imposer mon autorité. C’est ainsi que cela fonctionne pour obtenir respect et confiance de leur part. Mais je ne sais pas exactement comment ils ont été formatés (c’est bien le mot ici), ni les connaissances exactes qu’ils ont en tête. L’auditoire est encore particulièrement passif. Dur d’avoir un retour de leur part. J’ai bien réussi à tiédir l’atmosphère de l’amphi avec quelques petites remarques censées les dérider un peu, mais les repères culturels ne sont pas les mêmes et la barrière de la langue n’aide pas. J’incarne ici l’image de la France. Quelle responsabilité ! J’espère que j’en serai digne !

Quelques semaines plus tard avec mes Terminales

Je savoure ces heures-là plus que jamais. Mon rôle est bien rodé et la complicité s’est créée. Nous avons nos « private joke » et ils me voient comme une extra-terrestre qui trouve passionnant certains résultats sur les nombres complexes ou la fonction exponentielle. Ils doivent penser que je dédie ma vie entière aux mathématiques. Le rôle que je leur offre ne leur permet d’entrevoir que cette facette de ma personnalité. C’est ma manière d’éveiller leurs âmes scientifiques. Mais lorsque je rentre le soir chez moi, je suis contente de ranger mon cartable pour préparer une tarte au citron, jouer aux Lego avec mes enfants ou faire un peu de Tai Chi. Ce que les élèves ne sauront jamais (c’est notre petit secret !). Quoiqu’ils en pensent (enfants d’enseignants mis à part), les profs aussi sont des gens normaux ! Ils ont une vie privée au-delà de leur discipline, une vie toute autre que celle de leur personnage. Au même titre que Daniel Radcliffe n’a rien d’un sorcier célèbre…

The show must go on

Et même lorsque tout va de travers dans notre vie, les élèves sont là, leur regard aiguisé sur nous, impitoyables ! The show must go on ! Et c’est tant mieux !!! Faire classe est tellement prenant que l’on laisse tout en coulisses (euh, pardon en salle des profs) et que l’on a plaisir à revêtir son habit de lumière (enfin je veux dire tenir sa craie ou s’amuser avec son TBI) pour transmettre savoir et valeurs aux jeunes générations.

Depuis mon arrivée à Pékin, j’envoyais régulièrement à mes proches restés en France des nouvelles de Chine. J’avais trouvé mon style et un ton qui semblait plaire à tout ce petit monde. Voici donc un rôle nouveau pour moi cette année, celui de chroniqueuse au PJP. Là encore, comment me positionner face à vous collègues lecteurs, nouveau public créant là un autre challenge ? Dans tous les personnages que je joue cette année, c’est peut-être ici que se trouve le rôle le plus proche de ma véritable personnalité, qui sait ? Une collègue et amie ayant lu ma première chronique il y a quelques semaines trouvait que je ne me dévoilais pas assez ; un autre ami (également collègue) aurait bien vu plus de mordant. Combien de temps me faudra-t-il pour peaufiner ce dernier rôle ? L’avenir nous le dira…

Une chronique de Mélanie

5 réponses

  1. Merci pour ce petit voyage…j’attends avec impatience les futures nouvelles de Chine, espérant à travers votre chronique saisir justement les différences culturelles entre nos 2 pays dans le comportement et les attentes de nos chères têtes blondes, qui là-bas ne le sont pas du tout!
    Bonne continuation

  2. Bonjour Jacques,
    Merci pour votre commentaire enthousiaste et vos encouragements !
    J’aurais aussi aimé être une artiste, et tant d’autres choses !! Mais pour l’instant c’est uniquement pour mes élèves que je fais mon numéro !!! Maintenant, on ne sait jamais de quoi demain sera fait…
    Après un peu plus de deux ans passés en Chine, j’arrive à m’exprimer dans un mandarin basique, je commence à déchiffrer des textes élémentaires, je suis capable d’écrire à la main ou à l’ordinateur, et je comprends les conversations simples quand mes interlocuteurs font suffisamment d’efforts pour s’adapter à mon modeste niveau de langue… J’ai découvert une langue et une culture passionnante !!
    Mes enfants ont 4, 8 et 10 ans et sont scolarisés au lycée français international de Pékin où je travaille. L’expatriation du point de vue des écoliers, ce sera pour une prochaine chronique… Patience !
    Au Lycée français, il y a des enseignants de nombreuses nationalités, dont une majorité de français.
    A l’école Centrale de Pékin, professeurs français et chinois se côtoient, ainsi que des intervenants venus spécialement de France sur une période donnée.
    A bientôt pour de nouvelles aventures!

  3. Bonjour Mélanie,

    Je me régale lorsque je lis vos chroniques.
    Prof de maths mais avant tout comédienne.( J’aurais aimé être un artiste, et pouvoir faire mon numéro…)
    Vous avez peut-être manqué votre vocation, mais vous êtes jeune encore.
    Parlez-vous chinois ( ou mandarin ) ?
    Vos enfants ont quel âge?
    Je suppose qu’ils vont à l’école.
    Comment ça se passe pour eux?
    Dans l’établissement où vous travaillez, y a t-il d’autres pros français?

    J’attends avec impatience la suite de vos chroniques.

    Vous me faites rêver. Continuez.
    J’aime bien votre womenshoww.

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