Arrêté relatif à la simplification de la syntaxe française _ 26 février 1901

Arrêté relatif à la simplification de la syntaxe française _ 26 février 1901

Georges Leygues

Observations

Il conviendra, dans les examens, de ne pas compter comme fautes graves celles qui ne prouvent rien contre l’intelligence et le véritable savoir des candidats, mais qui prouvent seulement l’ignorance de quelque finesse ou de quelque subtilité grammaticale. Ainsi, notamment, il conviendra de compter très légèrement : les fautes portant sur les substantifs qui changent de genre suivant qu’ils sont employés au sens abstrait ou au sens concret, tels que aide, garde, manœuvre, etc. ou qui changent légèrement de sens en changeant de genre, tels que couple, merci, relâche, etc. ; les fautes relatives au pluriel spécial de certains substantifs, particulièrement dans les langues techniques, tels que aïeuls et aïeux, ciels et deux, œils et yeux, travails et travaux, etc. ; les fautes relatives à l’emploi ou à la suppression de l’article ou à l’emploi de prépositions différentes devant les noms propres masculins désignant des pays. Ex. : aller en Danemark, en Portugal, mais aller au Japon, au Brésil.

Art. 1er. — Dans les examens ou concours dépendant du ministère de l’Instruction publique, qui comportent des épreuves spéciales d’orthographe, il ne sera pas compté de fautes aux candidats pour avoir usé des tolérances indiquées dans la liste annexée au présent arrêté.

La même disposition est applicable au jugement des diverses compositions rédigées en langue française, dans les examens ou concours dépendant du ministère de l’Instruction publique qui ne comportent pas une épreuve spéciale d’orthographe.

Art. 2. — L’arrêté du 31 juillet 1900 est rapporté.

Liste annexée à l’arrêté du 26 février 1901

Substantif

Pluriel ou singulier.

Dans toutes les constructions où le sens permet de comprendre le substantif complément aussi bien au singulier qu’au pluriel, on tolérera l’emploi de l’un ou l’autre nombre. Ex. : des habits de femme ou de femmes ; des confitures de groseille ou de groseilles ; des prêtres en bonnet carré ou en bonnets carrés ; ils ont ôté leur chapeau ou leurs chapeaux.

Substantifs des deux genres

Aigle.

L’usage actuel donne à ce substantif le genre masculin, sauf dans le cas où il désigne des enseignes. Ex. : les aigles romaines.

Amour, orgue.

L’usage actuel donne à ces deux mots le genre masculin au singulier. Au pluriel, on tolérera indifféremment le genre masculin ou le genre féminin. Ex. : les grandes orgues ; un des plus beaux orgues ; de folles amours, des amours tardifs.

Délice, délices

Délice et délices sont, en réalité, deux mots différents. Le premier est d’un usage rare et un peu recherché. Il est inutile de s’en occuper dans l’enseignement élémentaire et dans les exercices.

Automne, enfant.

Ces deux mots étant des deux genres, il est inutile de s’en occuper particulièrement. Il en est de même de tous les substantifs qui sont indifféremment des deux genres.

Gens, orge.

On tolérera, dans toutes les constructions, l’accord de l’adjectif au féminin avec le mot gens. Ex. : instruits ou instruites par l’expérience, les vieilles gens sont soupçonneux ou soupçonneuses.

On tolérera l’emploi du mot orge au féminin sans exception : orge carrée, orge mondée, orge perlée.

Hymne.

Il n’y a pas de raison suffisante pour donner à ce mot deux sens différents suivant qu’il est employé au masculin ou au féminin. On tolérera les deux genres aussi bien pour les chants nationaux que pour les chants religieux. Ex. : un bel hymne ou une belle hymne.

Pâques.

On tolérera l’emploi de ce mot au féminin aussi bien pour désigner une date que la fête religieuse. Ex. : à Pâques prochain, ou à Pâques prochaines.

Pluriel des substantifs

Pluriel des noms propres.

La plus grande obscurité régnant dans les règles et les exceptions enseignées dans les grammaires, on tolérera dans tous les cas que les noms propres, précédés de l’article pluriel, prennent la marque du pluriel : les Corneilles comme les Gracques ; des Virgiles (exemplaires) comme des Virgiles (éditions). Il en sera de même pour les noms propres de personnes désignant les œuvres de ces personnes. Ex. : des Meissoniers.

Pluriel des noms empruntés à d’autres langues.

Lorsque ces mots sont tout à fait entrés dans la langue française, on tolérera que le pluriel soit formé suivant la règle générale. Ex. des exéats comme des déficits.

Noms composés

Noms composés. Les mêmes noms composés se rencontrent aujourd’hui tantôt avec le trait d’union, tantôt sans trait d’union. Il est inutile de fatiguer les enfants à apprendre des contradictions que rien ne justifie. L’absence de trait d’union dans l’expression pomme de terre n’empêche pas cette expression de former un véritable mot composé aussi bien que chef-d’oeuvre par exemple. Ces mots pourront toujours s’écrire sans trait d’union.

Article

Article devant les noms propres de personnes.

L’usage existe d’employer l’article devant certains noms de famille italiens : le Tasse, le Corrège, et quelquefois à tort devant des prénoms : (le) Dante, (le) Guide. On ne comptera pas comme une faute l’ignorance de cet usage. Il règne aussi une grande incertitude dans la manière d’écrire l’article qui fait partie de certains noms propres français : la Fontaine, la Fayette ou Lafayette. Il convient d’indiquer, dans les textes dictés, si, dans les noms propres qui contiennent un article, l’article doit être séparé du nom.

Article supprimé.

Lorsque deux adjectifs unis par et se rapportent au même substantif de manière à désigner en réalité deux choses différentes, on tolérera la suppression de l’article devant le second adjectif. Ex : L’histoire ancienne et moderne, comme l’histoire ancienne et la moderne.

Article partitif.

On tolérera du, de la, des au lieu de de partitif devant un substantif précédé d’un adjectif. Ex. : de ou du bon pain, de bonne viande ou de la bonne viande, de ou des bons fruits.

Article devant plus, moins, etc.

La règle qui veut qu’on emploie le plus, le moins, le mieux comme un neutre invariable devant un adjectif indiquant le degré le plus élevé de la qualité possédée par le substantif qualifié sans comparaison avec d’autres objets est très subtile et de peu d’utilité. Il est superflu de s’en occuper dans l’enseignement élémentaire et dans les exercices. On tolérera le plus, la plus, les plus, les moins, les mieux, etc. dans des constructions telles que : on a abattu les arbres le plus ou les plus exposés à la tempête.

Adjectif

Accord de l’adjectif.

Dans la locution se faire fort de, on tolérera l’accord de l’adjectif. Ex. : se faire fort, forte, forts, fortes de.

Adjectif construit avec plusieurs substantifs.

Lorsqu’un adjectif qualificatif suit plusieurs substantifs de genres différents, on tolérera toujours que l’adjectif soit construit au masculin pluriel, quel que soit le genre du substantif le plus voisin. Ex. : appartements et chambres meublés.

Nu, demi, feu.

On tolérera l’accord de ces adjectifs avec le substantif qu’ils précèdent. Ex. : nu ou nus pieds, une demi ou demie heure (sans trait d’union entre les mots), feu ou feue la reine.

Adjectifs composés.

On tolérera la réunion des deux mots constitutifs en un seul mot qui formera son féminin et son pluriel d’après la règle générale. Ex. : nouveauné, nouveaunée, nouveaunés, nouveaunées ; courtvêtu, courvêtue, courtvêtus, courtvêtues, etc. Mais les adjectifs composés qui désignent des nuances étant devenus, par suite d’une ellipse, de véritables substantifs invariables, on les traitera comme des mots invariables. Ex. : des robes bleu clair, vert d’eau, etc., de même qu’on dit des habits marron.

Participes passés invariables.

Actuellement les participes approuvé, attendu, ci-inclus, ci-joint, excepté, non compris, y compris, ôté, passé, supposé, vu, placés avant le substantif auquel ils sont joints, restent invariables. Excepté est même déjà classé parmi les prépositions. On tolérera l’accord facultatif pour ces participes, sans exiger l’application de règles différentes suivant que ces mots sont placés au commencement ou dans le corps de la proposition, suivant que le substantif est ou n’est pas déterminé. Ex. : ci joint ou ci jointes les pièces demandées (sans trait d’union entre ci et le participe) : je vous envoie ci joint ou ci jointe copie de la pièce. On tolérera la même liberté pour l’adjectif franc. Ex : envoyer franc de port ou franche de port une lettre.

Avoir l’air.

On permettra d’écrire indifféremment : elle a l’air doux ou douce, spirituel ou spirituelle. On n’exigera pas la connaissance d’une différence de sens subtile suivant l’accord de l’adjectif avec le mot air ou avec le mot désignant la personne dont on indique l’air.

Adjectifs numéraux.

Vingt, cent. La prononciation justifie dans certains cas la règle actuelle qui donne un pluriel à ces deux mots quand ils sont multipliés par un autre nombre. On tolérera ce pluriel de vingt et de cent même lorsque ces mots sont suivis d’un autre adjectif numéral. Ex. : quatre vingt ou quatre vingts dix hommes ; quatre cent ou quatre cents trente hommes. Le trait d’union ne sera pas exigé entre le mot désignant les unités et le mot désignant les dizaines. Ex. : dix sept. Dans la désignation du millésime, on tolérera mille au lieu de mil, comme dans l’expression d’un nombre. Ex. : l’an mil huit cent quatre vingt dix ou l’an mille huit cents quatre vingts dix.

Adjectifs démonstratifs, indéfinis et pronoms

Ce.

On tolérera la réunion des particules ci et là avec le pronom qui les précède, sans exiger qu’on distingue qu’est ceci, qu’est cela de qu’est ce ci, qu’est ce là. On tolérera la suppression du trait d’union dans ces constructions.

Même.

Après un substantif ou un pronom au pluriel, on tolérera l’accord de même au pluriel et on n’exigera pas de trait d’union entre même et le pronom. Ex. : nous mêmes, les dieux mêmes.

Tout.

Devant un nom de ville on tolérera l’accord du mot tout avec le nom propre sans chercher à établir une différence un peu subtile entre des constructions comme toute Rome et tout Rome. On ne comptera pas de faute non plus à ceux qui écriront indifféremment, en faisant parler une femme, je suis tout à vous ou je suis toute à vous. Lorsque tout est employé avec le sens indéfini de chaque, on tolérera indifféremment la construction au singulier ou au pluriel du mot tout et du substantif qu’il accompagne. Ex. : des marchandises de toute sorte ou de toutes sortes ; la sottise est de tout (tous) temps et de tout (tous) pays.

Aucun.

Avec une négation, on tolérera l’emploi de ce mot aussi bien au pluriel qu’au singulier. Ex. : ne faire aucun projet ou aucuns projets.

Chacun.

Lorsque ce pronom est construit après le verbe et se rapporte à un mot pluriel ou complément, on tolérera indifféremment, après chacun, le possessif son, sa, ses ou le possessif leur, leurs. Ex. : ils sont sortis chacun de son côté ou de leur côté ; remettre des livres chacun à sa place ou à leur place.

Verbe

Verbes composés.

On tolérera la suppression de l’apostrophe et du trait d’union dans les verbes composés. Ex. : entrouvrir, entrecroiser.

Trait d’union.

On tolérera l’absence de trait d’union entre le verbe et le pronom sujet placé après le verbe. Ex. : est il ?

Différence du sujet apparent et du sujet réel.

Ex. : sa maladie sont des vapeurs. Il n’y a pas lieu d’enseigner de règles pour des constructions semblables dont l’emploi ne peut être étudié utilement que dans la lecture et l’explication des textes. C’est une question de style et non de grammaire, qui ne saurait figurer ni dans les exercices élémentaires ni dans les examens.

Accord du verbe précédé de plusieurs sujets non unis par la conjonction et.

Si les sujets ne sont pas résumés par un mot indéfini tel que tout, rien, chacun, on tolérera toujours la construction du verbe au pluriel. Ex. : Sa bonté, sa douceur le font admirer.

Accord du verbe précédé de plusieurs sujets au singulier unis par ni, comme, avec, ainsi que et autres locutions équivalentes.

On tolérera toujours le verbe au pluriel. Ex. : ni la douceur ni la force n’y peuvent rien ou n’y peut rien ; la santé comme la fortune demandent à être ménagées ou demande à être ménagée ; le général avec quelques officiers sont sortis ou est sorti du camp ; le chat ainsi que le tigre sont des carnivores ou est un Carnivore.

Accord du verbe quand le sujet est un mot collectif.

Toutes les fois que le collectif est accompagné d’un complément au pluriel, on tolérera l’accord du verbe avec le complément. Ex. : un peu de connaissances suffit ou suffisent.

Accord du verbe quand le sujet est plus d’un.

L’usage actuel étant de construire le verbe au singulier avec le sujet plus d’un, on tolérera la construction du verbe au singulier même lorsque plus d’un est suivi d’un complément au pluriel. Ex. : plus d’un de ces hommes était ou étaient à plaindre.

Accord du verbe précédé de un de ceux (une de celles) qui.

Dans quels cas le verbe de la proposition relative doit-il être construit au pluriel, et dans quels cas au singulier ? C’est une délicatesse de langage qu’on n’essaiera pas d’introduire dans les exercices élémentaires ni dans les examens.

C’est, ce sont.

Comme il règne une grande diversité d’usage relativement à l’emploi régulier de c’est et de ce sont, et que les meilleurs auteurs ont employé c’est pour annoncer un substantif au pluriel ou un pronom de la troisième personne au pluriel, on tolérera dans tous les cas l’emploi de c’est au lieu de ce sont. Ex. : c’est ou ce sont des montagnes et des précipices.

Concordance ou correspondance des temps.

On tolérera le présent du subjonctif au lieu de l’imparfait dans les propositions subordonnées dépendant de propositions dont le verbe est au conditionnel présent. Ex. : il faudrait qu’il vienne ou qu’il vînt.

Participe

Participe présent et adjectif verbal.

Il convient de s’en tenir à la règle générale d’après laquelle on distingue le participe de l’adjectif en ce que le premier indique l’action et le second l’état. Il suffit que les élèves et les candidats fassent preuve de bon sens dans les cas douteux. On devra éviter avec soin les subtilités dans les exercices. Ex. : des sauvages vivent errant ou errants dans les bois.

Participe passé.

Il n’y a rien à changer à la règle d’après laquelle le participe passé construit comme épithète doit s’accorder avec le mot qualifié, et construit comme attribut avec le verbe être ou un verbe intransitif doit s’accorder avec le sujet. Ex. : des fruits gâtés ; ils sont tombés ; elles sont tombées.

Pour le participe passé construit avec l’auxiliaire avoir, lorsque le participe passé est suivi soit d’un infinitif, soit d’un participe présent ou passé, on tolérera qu’il reste invariable, quels que soient le genre et le nombre des compléments qui précèdent. Ex. : les fruits que je me suis laissé ou laissés prendre ; les sauvages que l’on a trouvé ou trouvés errant dans les bois. Dans le cas où le participe passé est précédé d’une expression collective, on pourra à volonté la faire accorder avec le collectif ou avec son complément. Ex. : la foule d’hommes que j’ai vue ou vus.

Ne dans les propositions subordonnées.

L’emploi de cette négation dans un très grand nombre de propositions subordonnées donne lieu à des règles compliquées, difficiles, abusives, souvent en contradiction avec l’usage des écrivains les plus classiques. Sans faire de règles différentes suivant que les propositions dont elles dépendent sont affirmatives ou négatives ou interrogatives, on tolérera la suppression de la négation ne dans les propositions subordonnées dépendant de verbes ou de locutions signifiant :

Empêcher, défendre, éviter, que, etc.

Ex. : défendre qu’on vienne ou qu’on ne vienne ; Craindre, désespérer, avoir peur, de peur que, etc. Ex. : de peur qu’il aille ou qu’il n’aille ; Douter, contester, nier que, etc. Ex. : je ne doute pas que la chose soit vraie ou ne soit vraie ; Il tient à peu, il ne tient pas à, il s’en faut que, etc. Ex. : il ne tient pas à moi que cela se fasse ou ne se fasse.

On tolérera de même la suppression de cette négation après les comparatifs et les mots indiquant une comparaison : autre, autrement que, etc. Ex. : l’année a été meilleure qu’on l’espérait ou qu’on ne l’espérait ; les résultats sont autres qu’on le croyait ou qu’on ne le croyait ; De même après les locutions à moins que, avant que. Ex. : à moins qu’on accorde le pardon ou qu’on n’accorde le pardon.

Observation

Il conviendra, dans les examens, de ne pas compter comme fautes graves celles qui ne prouvent rien contre l’intelligence et le véritable savoir des candidats, mais qui prouvent seulement l’ignorance de quelque finesse ou de quelque subtilité grammaticale.

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