Regards géographiques sur la « Renaissance africaine »

ren afr

La statue de la « Renaissance africaine » inaugurée à Dakar le 3 avril 2010 a déjà fait l’objet de nombreuses publications dans la presse sénégalaise et internationale. Les aspects symboliques, politiques, polémiques ont été passés au crible de nombreuses analyses.

On se propose ici d’étudier le monument sous l’angle très spécifique de la géographie en se focalisant sur la question du lieu et de son inscription dans l’espace. On peuts’interroger sur la logique ou la stratégie d’une localisation et suggérer différents regards qui lient le monument à son environnement géographique.

A) Stratégie de localisation : pouquoi ici et pas ailleurs?

1) « Plus haut, plus loin » : des atouts de géographie physique

a) L’aubaine d’une acropole     b) La pointe d’une presqu’île

2) Un itinéraire, une trajectoire

a) La voie des officiels     b) Une trajectoire Gorée-New York

B) Un monument, des paysages : regards superposés

1) La « Renaissance », version officielle

a) Un aéroport, une figurine   b) Un président à l’affiche

2) La « Renaissance », version polémique

a) L’enjeu social   b) L’enjeu culturel

 

A) Pourquoi ici et pas ailleurs?

 1) « Plus haut, plus loin » : des atouts de géographie physique.

a) L’aubaine d’une acropole  (« ville haute »)

au sommet d’un promontoir volcanique qui domine la mer et la ville, le monument élève et fixe les regards.

l'Acropole

Il s’agit  avant tout de donner à la ville africaine cette empreinte symbolique qui permet aux grandes métropoles d’être reconnues mondialement et instantanément (Christ de Rio, statue de la
liberté/N York, Parthénon/Athènes, Tour Eiffel/Paris). L’oeuvre s’enorgueillit d’être à ce jour la statue la plus haute du monde.

L’image ci-dessous montre au loin les deux promontoirs volcaniques de la presqu’île de Dakar (on les appelle localement les « Mamelles », terme qui a par ailleurs donné le nom du quartier avoisinnant).

mamelles

L’un est surmonté d’un phare , l’autre inoccupé jusqu’alors s’offre idéalement à une fonction visuelle et symbolique.

 

 

b) La pointe d’une presqu’île, à la croisée d’un continent et d’un océan.

La « Renaissance » se veut « africaine » et non seulement sénégalaise. On est amené ici à penser l’espace à une autre échelle que celle de la ville ou du pays.

ren afr pointe de l'afr de l'ouestLe site de
péninsule de Dakar (voir lien) est mis ici à profit pour signifier une articulation entre un continent (à tout le moins sa partie occidentale) et le grand large, l’espace océanique et mondial.

 

2) Un itinéraire, une trajectoire : la mise en scène d’une géographie stratégique

a) L’itinéraire : la voie des « officiels »

Ren afr et voie présidentielle

 

Scène courante de la vie dakaroise, le ballet des cortèges officiels  empreinte par le littoral la liaison de l’aéroport au quartier central des lieux de pouvoir.  Le passage par la
« Renaissance » est donc obligé et quasi protocolaire.

 

b) Une trajectoire Gorée-Dakar- New York via la mémoire de l’esclavage.

Ren afr trajectoire gorée EU

 

La symbolique du monument étant liée à la mémoire de l’esclavage (cf discours d’inauguration du prdt Wade), la référence à l’île de Gorée semble incontournable. La  statue érigée devant la « maison des esclaves »  en 2002, à dimension certes beaucoup plus réduite, n’est pas sans évoquer quelques points communs avec la « Renaissance » (tenue dévêtue, un homme-une femme).

gorée statueL’inscription de la stèle est significative…

 

stèle statue goréeIl est bien question d’un lien fraternel Afrique Antilles que l’on pourrait étendre à la population noire d’Amérique, c’est là un des sens de la « Renaissance africaine » en tant que théorie et concept historique, une Renaissance qu’il faut aussi comprendre comme celle du peuple noir. (voir lien). Par ailleurs, la tête du géant africain n’est pas sans évoquer le sommet de la statue de la liberté (espace panoramique dominant la ville et l’océan).

tête statue

Gorée-Dakar-New York, la trajectoire du thème esclavage-affranchissement-liberté semble suivre celle que trace la statue du bras de la femme à celui de l’enfant. A l’heure de la dispartition annoncée des bases militaires françaises de Dakar, le signe d’un doigt pointé vers le géant d’outre Atlantique n’est sans doutes pas dénué de sens stratégique etdiplomatique.

Bilan : pourquoi ici et pas ailleurs? Un schéma synthétique en guise de réponse.

La « Renaissance africaine »  à l’intersection  de 4 paramètres géographiques

schema localisation ren afr

 

 

B) Un monument, des paysages : regards superposés.

La combinaison du gigantisme de la statue et de la platitude de la presqu’île du Cap Vert fait de la « Renaissance africaine » un élément incontournable du paysage dakarois. Elle s’expose à la vue de tous et offre par ailleurs quelques superpositions significatives.

1)  La « Renaissance », version officielle

a) Un aéroport surmonté d’une figurine

ren afr aéroport

La statue perçue au loin  s’impose aux visiteurs dès l’arrivée sur Dakar. La ville entend avoir son empreinte identitaire et symbolique aux yeux du monde.

b) Un président à l’affiche.

RA afficheCette affiche couvre les rues de Dakar en cette époque d’inauguration. L’enjeu du monument est éminament politique ; dans l’esprit et les propos des habitants, la « Renaissance » est indissociable du nom du président en exercice.

2)  « La Renaissance », version polémique

a) L’enjeu social

raf et décharge sauvage

Des lieux précaires et insalubres (ci-dessus une décharge sauvage à ciel ouvert) côtoient la grande statue. Ce type de situation a alimenté la polémique autour des priorités des dépenses publiques.

b) L’enjeu culturel

cimetière de ouakam

Si une statue dans le paysage a sa version officielle, celle perçue de face, elle n’échappe pas pour autant à la fatalité du revers. Ici l’arrière de la femme dénudée s’expose en contre plongée au cimetière musulman du quartier dakarois de Ouakam. Les communautés religieuses n’ont pas manqué de faire connaître leur profonde indignation en condamnant le caractère jugé indécent et païen du monument.Le pouvoir politique doit compter avec un pouvoir religieux particulièrement puissant et influent qui sait aussi imposer son empreinte et s’ériger dans le paysage (voir ci-dessous la « mosquée de la divinité » récemment construite).

ren afr et mosquée divinité

On a ainsi trouvé la « Renaissance africaine » à l’intersection de paramètres géographiques mais aussi à la croisée de tensions sociales et culturelles, au coeur de rivalités de pouvoirs, en surplomb d’une cité qui veut affirmer sa modernité mais ne peut tourner le dos à ses traditions.

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