Sœur, Abel Quentin

Sœur, Abel Quentin, L’Observatoire

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Résumé

Adolescente revêche et introvertie, Jenny Marchand traîne son ennui entre les allées blafardes de l’hypermarché de Sucy-en-Loire, sur les trottoirs fleuris des lotissements proprets, jusqu’aux couloirs du lycée Henri-Matisse. Dans le huis-clos du pavillon familial, entre les quatre murs de sa chambre saturés de posters d’Harry Potter, la vie se consume en silence et l’horizon ressemble à une impasse.
La fielleuse Chafia, elle, se rêve martyre et s’apprête à semer le chaos dans les rues de la capitale, tandis qu’à l’Élysée, le président Saint-Maxens vit ses dernières semaines au pouvoir, figure honnie d’un système politique épuisé.

Lorsque la haine de soi nourrit la haine des autres, les plus chétives existences peuvent déchaîner une violence insoupçonnée.

La presse

Abel Quentin pourrait être la version masculine d’Anaïs Llobet. Disons que je les classerais dans la même famille d’auteurs, les observateurs, capables de décortiquer des mécaniques, de comprendre ce qui anime les individus et de le restituer en utilisant tous les ressorts d’une construction implacable. Ce premier roman est ainsi d’une redoutable efficacité. Il s’empare d’un thème difficile et redouté, celui de l’embrigadement, terme que je préfère ici à celui de radicalisation. Mais ce qui intéresse l’auteur n’est pas tant la finalité que le pourquoi et le comment. La démonstration proposée est à la fois limpide, effrayante et… addictive.

Pour cela, il utilise trois niveaux, trois hauteurs de vue. Il y a Jenny, adolescente de 15 ans, sa famille et puis l’État. Il y a l’ennui d’une enfance et d’une jeunesse dans une petite ville de la Nièvre, les brimades au collège, le mal-être, cette sensation de n’être nulle part à sa place. Il y a des parents a priori comme les autres, qui oscillent entre surveillance et permissivité, jamais facile de trouver le juste équilibre avec un ado. Et puis il y a la société, les hommes politiques, les manœuvres de bas étage, les compromissions, symbolisées par la lutte pour le pouvoir entre le Président en place, Saint-Maxens, vieil homme sur le départ et son Ministre de l’Intérieur, Benevento, qui se voit bien lui succéder et n’hésite pas dans sa chasse aux voix à flirter avec les théories extrémistes. Sur fond de menaces terroristes et de guerre en Syrie, on voit bien le tableau.

Comment Jenny Marchand, à peine sortie de ses lectures de Harry Potter en arrive-t-elle à se rêver en martyre de la cause de Daech ? C’est tout l’objet de l’excellent traitement d’Abel Quentin, tout en crescendo, avec ces trois niveaux qui permettent d’alterner les points de vue et finissent par se percuter. Tout est là : la vulnérabilité de l’adolescente accentuée par des incidents qui tendent à devenir d’une extrême banalité, les parents paumés, le cynisme des politiques et l’oscillation permanente entre déni et répression, que ce soit dans la sphère privée ou au sommet de l’état. La complexité de la situation en devient palpable, alors même que le lecteur est pris dans la tension qui monte peu à peu et n’a rien à envier à un bon thriller. La mécanique de l’endoctrinement apparait de façon limpide, elle qui n’a rien d’intellectuel mais joue sur des leviers si communs : le besoin d’appartenance, de reconnaissance, d’exister, de laisser une trace. Et le lecteur assiste, sidéré, à la montée de cette colère, partie d’un rien et attisée régulièrement sans même que les protagonistes s’en aperçoivent.

C’est à la fois sidérant, percutant et très inquiétant. Mais c’est surtout un bon roman, difficile à lâcher et qui a le mérite de regarder la réalité en face et d’amener chacun à s’interroger sur ses responsabilités individuelles et collectives, dans cette multitude de petits ruisseaux qui finissent par faire un fleuve.

motspourmots.fr

On voulait tout noter. On voulait tout vous dire sur ce roman. Pour être clair, c’est un livre immense, qui frappe fort, qui tire juste, qui joue la carte cachée du génie précoce. Tous les ingrédients sont réunis et ajustés au millimètre. La musicalité de la langue, la justesse des propos, la hauteur de vue suffisante, ce rapport exact entre fiction et réalité… Il aurait été facile pour Abel Quentin de sombrer avec la plume de celui qui raconte et explique tout à la fois, présente un temps et des gens avec l’aisance excessive de celui qui sait tout. Nous ne sommes pas là chez Nicolas Mathieu et Leurs enfants après eux où la certitude d’écrire bien l’emportait sur l’importance de raconter bien. Abel Quentin est bien au-delà. Et touche la cible à chaque fois, jusque dans les aberrations politiques modernes trop modernes.

Une alternance des voix et des styles littéraires qui frôle la perfection, une construction romanesque comme on en fait presque plus ou alors que dans les grands livres… Difficile de ne pas sombre dans l’éloge au contact de ce premier livre d’Abel Quentin. Choisir une telle thématique relevait déjà d’une certaine ambition. Réussir un tel ouvrage relève assurément d’un très grand talent

Sœur aura peut-être un prix, ou peut-être pas. Mais qu’importe, ce roman a déjà le plus beau des prix : faire danser la vie dans les flammes du romanesque.

lettres-it-be.fr

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