ECD : A.Malraux ,Transfert des cendres de J.Moulin

Ce texte est un extrait du discours prononcé par André Malraux, écrivain et ministre des affaires culturelles du Gal de Gaulle depuis 1960, à l’occasion du transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon le 19 décembre 1964. Deux ans après la fin de la guerre d’Algérie et la crise politique de l’automne 1962, De Gaulle, au pouvoir depuis 1958, cherche à rassembler la nation divisée par les crises récentes et relance le mythe d’une France unie derrière ses héros de la Résistance.
En quoi ce texte illustre la mémoire gaulliste de la seconde guerre mondiale, c’est-à-dire une France unie dans la Résistance, derrière son chef Charles de Gaulle, perpétuant ainsi le mythe résistancialiste ?

Une France unie dans la Résistance derrière son chef :

A. Malraux rappelle le rôle déterminant joué par De Gaulle dans l’organisation de la Résistance qui dans les premiers temps n’était qu’un « désordre de courage ». Entre son appel solitaire du 18 juin 1940 et la constitution du CNR (Conseil National de la Résistance) en mai 1943, De Gaulle cherche à imposer une autorité unique aux différentes organisations et envoie Jean Moulin en France en janvier 1942. Selon Malraux, « le général de Gaulle seul pouvait appeler les mouvements de Résistance à l’union entre eux ». Jean Moulin mena à bien sa mission mais il est arrêté, torturé et meurt en juillet 1943 alors qu’il est transféré en Allemagne.
Le vocabulaire utilisé par Malraux fait du général de Gaulle non seulement l’homme providentiel de 1940 mais aussi la figure tutélaire de la Résistance unie sans laquelle elle n’aurait pu exister. Malraux, par ses raccourcis, identifie De Gaulle à la résistance et celle-ci à la « France éternelle », celle qui se bat, évoquée par le général le 26 aout 1944 à Paris : « voir dans l’unité de la Résistance le moyen capital du combat pour l’unité de la nation », c’est le gaullisme. Ainsi, les résistants, quelque soit leur engagement politique, combattent pour un idéal qui dépasse les querelles politiques et c’est ce que Malraux nomme le gaullisme : l’Armée d’Afrique (…) combattra au nom du gaullisme comme feront les troupes du parti communiste ».

Un texte qui contribue à perpétuer le mythe résistancialiste

André Malraux emprunte un vocabulaire qui fait référence à une collectivité nombreuse : il évoque le « peuple de la nuit », « la France (qui) livrait un seul combat », « l’armée en haillons de la Résistance ». Alors qu’un peu plus de 200 000 Français ont bénéficié d’une carte de résistant en 1945, soit moins de 4% de la population, l’auteur en fait un peuple unanime soulevé contre l’occupant. C’est l’illustration du mythe résistancialiste, expression forgé par l’historien H. Rousso en 1987, pour désigner cette obsession mémorielle de l’unité des Français face à l’occupant qui s’impose à partir de 1945 jusqu’à la fin des années 60. Cet hommage à Jean Moulin reprend les éléments du mythe. Tout d’abord une surévaluation du rôle de la résistance pour laquelle il utilise le terme d’armée. D’autre part en imposant l’idée d’une unité de la nation face à l’occupant sans prendre en compte les divisions au sein des mouvements résistants mais surtout l’attentisme de nombreux Français fidèles au maréchal Pétain et la collaboration de Vichy. Enfin, c’est aussi le lieu choisi pour ce discours qui perpétue le mythe : le Panthéon est le mausolée de l’histoire de France. Ici, la mémoire de la guerre, c’est-à-dire son histoire selon Malraux, est celle de la résistance et non celle de Vichy qui n’est qu’une parenthèse.

La cérémonie du 19 décembre 1964 est une étape supplémentaire dans la volonté d’imposer une mémoire résistante de la seconde guerre mondiale et succède à l’inauguration du monument du Mont Valérien. L’hommage de Malraux résume à lui seul la mémoire gaulliste de la guerre et le mythe résistancialiste. Jean Moulin y est présenté tel le héros d’une épopée résistante d’un peuple uni derrière son chef, le général de Gaulle. Dans le même temps, dans cet extrait, Malraux passe sous silence la collaboration d’Etat, la déportation des juifs, les errements et l’attentisme de nombreux Français. La vocation de cet hommage à Jean Moulin est davantage celle de rassembler les Français derrière la figure de De Gaulle que celle de rappeler la réalité d’un « temps où les Français ne s’aimaient pas » (G. Pompidou).

Category(s): 3.ECD HISTOIRE, H1.Les mémoires de la Seconde guerre mondiale

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