ECD L’évolution de la mémoire de la Résistance

Documents et consigne

Les 2 documents présentés sont deux textes, l’un extrait du manuel de Cours élémentaire publié par Nathan en 1959 l’autre extrait du discours du président de la République J. Chirac prononcé lors de l’inauguration du mémorial Charles-de-Gaulle de Colombey-les-deux-Eglises le 9 novembre 2006. Ces documents présentent deux visions glorieuses, mais partiales et sélectives d’une France résistante entre 1940 et 1945. Ils illustrent les troubles de la mémoire collective de l’après guerre à nos jours et permettent de confronter l’Histoire, reconstruction scientifique et objective du passé à la Mémoire plus subjective et partielle des évènements et des comportements passés.
Nous montrerons tout d’abord de quelle façon ces documents présentent la Résistance puis en quoi ils témoignent, chacun dans son genre, d’une vision partielle de l’histoire et de l’évolution des mémoires de la 2nd GM depuis 1945.

Le document 1, publié en 1959, illustre la mémoire officielle gaulliste qui triomphe avec le retour au pouvoir du gal. de Gaulle en 1958. L’exaltation d’une France unie dans le combat contre le nazisme s’inscrit dans la volonté de surmonter les divisions nées du conflit algérien 5 ans plus tôt. Le récit s’adresse aux enfants du cours élémentaire à qui il transmet une vision simplifiée et tronquée de l’histoire française de 1940 à 1945. La débâcle militaire de mai-juin 1940 est à peine suggérée dans la 1ère phrase, très courte, dont les mots soigneusement choisis (« occupaient », « esclaves », « propre sol »), doivent frapper les jeunes esprits. Elle fait allusion à l’Occupation, issue de l’armistice. Mais surtout, ce cours reflète le mythe d’une France unie et unanimement résistante (3 à Smilie: 8), ce que l’historien H. Rousso a qualifié de « résistancialisme » en 1987. Le « résistancialisme » assimile la Résistance à l’ensemble de la population (le texte évoque « ils », « les patriotes français », « les enfants de France », « les Parisiens », c’est à dire la résistance intérieure). Le document évoque les sacrifices consentis : emprisonnement, torture, exécutions, déportation d’opposants… Il enseigne aux enfants que la libération du territoire a été davantage menée par les Français de l’intérieur (les « Parisiens ») et de l’extérieur (« chars du général Leclerc »), le rôle des armées alliées est rappelé mais minimisé. La phrase de de Gaulle choisie en résumé doit convaincre les écoliers de la personnalité providentielle voire prophétique du général de Gaulle.
Le document 2 date de 2006, il présente une vision plus complète et plus nuancée de la période. Il fait allusion aux conditions humiliantes de la défaite et de l’armistice. Aux lignes 4 et 5 il évoque le « pays saisi de stupeur » et « une immense confusion ». J. Chirac rend un vibrant hommage à la personne du général de Gaulle, présenté (5 et 6) comme un modèle de clairvoyance « les faits lui donnent dramatiquement raison », de courage « il n’a qu’une idée : combattre » ou plus loin lorsqu’il déclare « il prend une décision qui change le destin de la France ». La figure gaullienne est héroïsée (12 à 19) et les mots de « grandeur », de « courage » sont employés à trois reprises par l’auteur qui suscite l’émotion du public en insistant sur le sacrifice de de Gaulle de sa vie familiale (« sa mère se meurt « ) et qu’il nous invite à partager la reconstitution des heures qui ont précédé l’appel du 18 juin (15 à 1Smilie: 8). J. Chirac rappelle aussi (23 et 24) la condamnation du général de Gaulle par le régime de Vichy à l’été 1940 Cependant J. Chirac rompt avec le mythe résistancialiste quand il rappelle (30) qu’il y a eu « deux catégories de Français : ceux qui font leur devoir, et ceux qui ne le font pas ». Il rompt aussi avec la politique de négation de Vichy, initiée par de Gaulle et poursuivie depuis en reconnaissant la complicité de l’Etat français avec l’occupant allemand. Il associe à Vichy le terme de « servile » (29,30)

La confrontation des documents avec les travaux historiques démontre la volonté de leurs auteurs de privilégier la Mémoire sur la réalité des faits: Le doc. 1 ne mentionne ni le nom du régime de Vichy, ni celui de Pétain, pas plus qu’il n’évoque l’antisémitisme de l’Etat français, la déportation et le génocide des Juifs. Il y a une vague allusion (7) aux Français déportés : « il les fit mourir de faim en Allemagne ». ». Le texte ne distingue pas camps de concentration et camps d’extermination, assimile déportés, résistants et patriotes. En 1959 cette option révèle la volonté politique d’occulter les faits. De même que la présentation des Français face à l’Occupation, rassemblés dans un unanimisme résistant alors que l’on sait que l’engagement dans la Résistance est resté minoritaire.
Le document 2 est moins simplificateur et plus objectif, mais il présente également des omissions : J.Chirac n’évoque pas le fait que l’appel du 18 juin est resté confidentiel et que très peu de Français l’ont entendu. Lorsque de Gaulle s’adresse aux Français après la Libération de Paris en aout 1944, il refuse de proclamer le rétablissement de la République, en déclarant que Vichy était « nul et non advenu », Chirac ne dit pas que cela revenait à éluder les responsabilités de l’administration française dans la déportation des Juifs de France. J.Chirac sous-estime aussi largement les profondes divisions entre Français au moment de la Libération (rien sur l’épuration et le conflit avec le PCF) ainsi que le rôle des alliés dans la Libération : il évoque les Britanniques avec Churchill et les Américains en nommant Roosevelt, mais ne mentionne pas l’URSS ou Staline. Le texte rappelle celui prononcé par Malraux en 1964 à l’occasion du transfert des cendres de J.Moulin au Panthéon : La France éternelle est la France résistante et cette dernière s’incarne entièrement dans la personnalité du gal. de Gaulle.

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