Je trouve intéressant que le PJP m’ait proposé cette thématique de la communication non verbale le jour où j’ai surveillé des épreuves de bac blanc en première et en terminale dans mon lycée. À la réception de ce sujet de chronique, je me suis repassé la matinée dans ma tête en me disant qu’en ce jour d’examen blanc, où le silence était imposé (donc pas de communication verbale possible en raison des épreuves écrites), j’avais usé d’énormément de communication non verbale : avec les élèves de ma salle (regard de compassion à l’ouverture des sujets…), avec les élèves des autres salles que je reconnaissais lorsque la porte était ouverte (gestes et sourires d’encouragement en mode compétition sportive…), avec les élèves dans les couloirs (leur faire comprendre de faire moins de bruit ou de cesser de parler car il y avait des épreuves dans les salles…), avec d’autres collègues (haussement de sourcils pour faire comprendre que c’est long de surveiller, geste de la main pour faire comprendre aux surveillants de couloir qu’il faut venir pour accompagner un élève aux toilettes…).

J’ai aussi pu observer la communication non verbale des élèves entre eux (soupirs et regards contents ou déçus selon leurs révisions, mains mises à l’horizontale qui tanguent comme pour signifier « ça va moyen moyen »…) et des élèves envers moi (montrer du doigt leur feuille de couleur pour me demander un autre brouillon sans faire de bruit, ou même le geste le plus anodin du monde scolaire mais qui relève de la communication non verbale : lever la main !).

Communiquer est au cœur de la pratique enseignante et du rapport entre l’enseignant et les élèves de sa classe. La parole est notre outil de travail et une extinction de voix temporaire peut vite devenir problématique. Le surmenage de la voix est usant. Cela étant dit, si la communication est essentiellement verbale, il y a donc en classe un autre rapport possible aux élèves : la communication non verbale.

La communication non verbale peut se définir comme une manière de communiquer autrement que par la parole. Il y a une palette de possibilités : la gestuelle, la posture, le regard, l’attitude, le déplacement, les mimiques… La communication non verbale est reconnue comme une manière d’échanger, consciente ou inconsciente. Elle peut s’envisager comme un échange de l’enseignant vers les élèves, d’élève à élève ou de l’élève vers l’enseignant. Le langage corporel est ainsi, au même titre que la voix, un outil de l’enseignant pour son enseignement. La crise sanitaire actuelle porte atteinte à cette communication non verbale car nous sommes masqués, mais elle reste possible car les émotions que nous véhiculons sont bien perceptibles au-delà des masques.

Alors il est temps de prendre la parole (traduction en communication non verbale : « il est temps de prendre le clavier pour taper à l’ordinateur ») afin de rentrer dans le vif du sujet.

Enseigner avec la communication non verbale

L’enseignant peut utiliser des techniques de communication autres que la parole dans son enseignement : on associe souvent notre discours à une gestuelle particulière, telle que bouger les bras et les mains.

Les exemples sont nombreux et sont présents dans de multiples situations :

Réclamer le silence en version communication non verbale : se taire et attendre en ne bougeant plus et en fixant des yeux les bavards que les élèves comprennent, mettre son doigt devant sa bouche en minant un « chut », taper deux ou trois fois dans ses mains pour faire réagir, faire un geste de la main en la montant et descendant pour faire comprendre de baisser le volume… Bref, on peut demander le silence sans parler de plein de façons possibles ! Il est d’ailleurs souvent plus efficace, lorsqu’un ou deux élèves seulement font du bruit pendant une séance, de continuer à parler tout en fixant du regard avec insistance ceux qui en sont à l’origine pour qu’ils comprennent qu’ils sont repérés et qu’il faut qu’ils cessent de gêner.

Faire comprendre qu’il est temps de terminer l’activité ou d’accélérer : regarder un élève puis regarder l’horloge avant de le regarder à nouveau en haussant les sourcils, regarder un élève en tapotant le verre de sa montre, déposer sa main sur la table d’un groupe pour que les élèves comprennent qu’il faut se ressaisir et ne pas traîner…

Apprendre la communication non verbale

Apprendre à communiquer avec autrui est une compétence sociale et l’École a un rôle majeur dans son acquisition. Cette compétence est bien évidemment orale : il est demandé aux élèves de savoir s’exprimer correctement, d’utiliser un vocabulaire spécifique, de savoir utiliser l’intonation… La compétence orale est de plus en plus une exigence certifiée au fil des années : oral d’histoire des arts au collège, épreuve du Grand Oral au baccalauréat… Les nombreux exposés que les élèves font durant leur scolarité témoignent de cette importance. Je ne reviens pas ici sur ce travail de l’oral en tant que tel.

Il faut bien concevoir, par contre, qu’il y a également un enjeu d’apprentissage concernant la communication non verbale. Apprendre aux élèves à communiquer de façon non verbale est une composante à ne pas négliger afin qu’ils maîtrisent la compétence de communication dans son ensemble. Il y a plusieurs méthodes pour développer cette communication non verbale chez nos élèves.

En voici deux exemples mis en pratique :

Faire une séance sur la communication non verbale : Je demande régulièrement à mes élèves de préparer des exposés avec un diaporama à réaliser puis à présenter au reste de la classe. Avant les premiers exposés, je co-construis avec les élèves une grille d’évaluation où, outre les points consacrés à l’aspect des connaissances, il y a une réflexion sur l’aspect méthodologique de la communication. On exprime ce qui fait qu’un oral est pertinent. Il en ressort des éléments de communication verbale (jouer l’intonation, parler de façon audible, parler de façon intelligible…) et de communication non verbale (regarder son auditoire, ne pas trop se déplacer ni rester figé, accompagner la parole avec le geste, paraître enthousiaste et non blasé, ne pas venir en short et en tongs…). Lors des premiers exposés, il y a toujours la possibilité de faire un bilan avec les élèves en leur demandant de critiquer (au sens positif du terme) leur camarade après coup. C’est ainsi qu’ils remarquent par exemple : « il n’est pas convaincant car il est trop voûté », « il est trop planté droit comme un piquet », « il a les mains dans ses poches donc il décrédibilise son discours », « il nous a bien regardés, on se sent impliqué », « quand c’était complexe, il pointait bien du doigt sur le graphique là où il fallait qu’on regarde pour comprendre »… Généralement, cet aspect méthodologique de la communication s’améliore d’exposé en exposé et de semaine en semaine, en se servant du retour d’expérience de chaque situation. Il est aussi possible de montrer une vidéo mettant en scène un personnage qui fait un discours afin d’en étudier la communication non verbale.

Faire un atelier de communication non verbale : Lorsque j’étais élève en lycée, un enseignant d’éducation civique avait pour habitude de nous amener à la salle de théâtre afin de travailler la communication verbale et non verbale. Il s’agissait de jouer parfois des scènes sans avoir le droit de parler afin de faire comprendre une situation ou une attitude. Je profite souvent de quelques séances dans l’année pour travailler sur cela. Lors de séances sur la communication non verbale, les élèves doivent utiliser des codes de la gestuelle (regard, bras, main, déplacement…) pour : montrer son étonnement et sa surprise, montrer sa colère, montrer son accord ou son désaccord, montrer son hostilité ou son amicalité… Parfois la séance tourne autour de la « chasse à l’intrus » où les élèves sont divisés en deux groupes : un groupe doit jouer un scénario (par exemple jouer des élèves qui écoutent sérieusement un enseignant, sauf un qui durant quelques secondes doit jouer celui qui n’écoute pas), et l’autre groupe est spectateur et doit parvenir à repérer cet intrus en indiquant le minutage et ce qui a permis de le détecter. Ces ateliers sont riches et appréciés. Les élèves perçoivent bien qu’il y a parfois des codes communs (hausser les sourcils, sourire, hocher la tête, tendre la main…) et parfois des codes moins communs (faire un pas de recul ou faire un stop avec la main…). Le moment où une même communication non verbale provoque deux réactions opposées est aussi intéressant.

Quoiqu’il en soit, la crise sanitaire actuelle, avec le port du masque, peut brouiller quelques éléments de communication non verbale, mais elle en devient davantage essentielle et même indispensable.

Une chronique de Sylvain Gérard

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