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Les effets paradoxaux du réchauffement global

Le recul de la banquise arctique provoque des vagues de froid de plus en plus violentes

D’après une nouvelle étude, les chutes de neige extrêmes qui se sont abattues sur l’Europe en 2018 seraient directement liées au déclin de la banquise arctique. Le phénomène pourrait s’inscrire dans une tendance au long terme.

Publication 5 avr. 2021 (Source : https://www.nationalgeographic.fr/ )
Des piétons traversent le pont du Millenium à Londres, le 27 février 2018, alors que la vague de ...

Des piétons traversent le pont du Millenium à Londres, le 27 février 2018, alors que la vague de froid surnommée « la Bête de l’Est » vient de plonger une grande partie de l’Europe dans un hiver sibérien.

Photographie de Daniel Leal-Olivas, AFP/Getty

Mi-février 2018, une puissante masse d’air anticyclonique a balayé la Scandinavie et fait descendre des vents froids de l’Est qui ont plongé l’Europe dans un épisode hivernal historique. Des températures dignes du cercle polaire ont givré le continent pendant plusieurs semaines ; la neige est tombée à des latitudes aussi basses que Rome. Début mars, une tempête de neige s’est abattue sur les îles Britanniques en formant des congères de 8 mètres de hauteur par endroit.

Une étude récente suggère que si cette terrible vague de froid, baptisée la Bête de l’Est, était aussi chargée en neige, c’était en partie à cause du manque de glace dans la mer de Barents, au large du littoral arctique de la Norvège et de la Russie. Les chercheurs mettent ainsi en lumière un processus peu étudié par lequel le déclin de la banquise affecte la météo plus au sud, un processus différent du dérèglement subi par le jet-stream qui a beaucoup fait couler l’encre.

Publiée dans la revue Nature Geoscience, l’étude a utilisé les méthodes isotopiques, des données satellite et des modèles pour retracer les origines de la neige tombée pendant la Bête de l’Est. Les auteurs ont découvert que 88 % de cette neige, soit 140 milliards de tonnes, a pu provenir de l’évaporation à la surface de la mer de Barents, où la couverture de glace était anormalement faible cette année-là.

D’après les chercheurs, le recul de la glace sur la mer de Barents pourrait au long terme saturer d’humidité l’atmosphère, ce qui se traduirait par une multiplication des événements de chute de neige extrême dans le nord de l’Europe, même si les chutes de neige moyennes par année diminuent à cause du changement climatique.

« Étant donné le réchauffement des températures en hiver, une augmentation des chutes de neige peut sembler contre-intuitive, » reconnaît l’auteure principale de l’étude Hannah Bailey de l’université d’Oulu en Finlande.

 

CYCLE DE L’EAU

L’idée selon laquelle le déclin de la couverture de glace peut entraîner des chutes de neige supplémentaires n’est pas nouvelle. La glace agit comme un couvercle sur les lacs et les océans en empêchant l’eau qu’elle recouvre de s’évaporer dans l’atmosphère. De précédentes études ont lié le recul de la couverture de glace à travers la région des Grands Lacs en Amérique du Nord à une hausse des chutes de neige par « effet de lac », alors que d’autres chercheurs ont déjà utilisé des modèles pour établir un lien entre le recul de la banquise, l’augmentation de l’évaporation et les chutes de neige, notamment au large des côtes sibériennes.

Cependant, peu d’études se sont intéressées à l’existence d’un lien direct entre la perte de banquise en Arctique, une plus forte évaporation et un événement météorologique extrême précis, en raison des difficultés logistiques inhérentes à la récolte de données en Arctique. La mer de Barents est particulièrement touchée par le recul de la banquise en hiver, avec un déclin d’environ 50 % de la couverture de glace en mars depuis 1979, ce qui en fait l’endroit idéal pour explorer ce type de corrélation.

Et avec ses chutes de neige historiques à travers l’Europe du Nord et de l’Ouest entre février et mars 2018, la Bête de l’Est était la candidate parfaite pour tester l’hypothèse selon laquelle les pertes de glace sur la mer de Barents avaient alimenté des chutes de neige plus au sud.

Alors que l’air glacial de Sibérie déferlait vers l’est cette année-là, une crête barométrique s’est installée au-dessus de la mer de Barents et du nord de la Scandinavie, augmentant de 5 °C la température de surface des océans par rapport à la moyenne. Avec une mer de Barents à 60 % dénuée de glace à l’époque, le moindre courant d’air froid et sec passant au-dessus de cette eau relativement chaude aurait absorbé une humidité importante, explique Judah Cohen, météorologue spécialiste de l’Arctique pour le cabinet de conseil Atmospheric and Environmental Research.

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La Bête de l’Est vue par un satellite le 15 mars 2018. Les bandes nuageuses parallèles en direction du sud à travers la mer de Barents indiquent une rue de nuage d’air chaud et humide s’élevant de la surface dépourvue de glace.

Photographie de NASA/MODIS

Et apparemment, c’est exactement ce qu’il s’est produit. Grâce à une station météo qu’ils avaient installée dans le nord de la Finlande un an plus tôt, les chercheurs ont pu recueillir des données en temps réel sur les isotopes de l’oxygène et de l’hydrogène présents dans la vapeur d’eau pendant la Bête de l’Est. Ces isotopes contenaient des informations sur les conditions dans lesquelles l’eau s’est évaporée, ce qui a permis aux chercheurs de remonter directement à la source de l’humidité : la mer de Barents.

La modélisation atmosphérique est ensuite venue appuyer l’idée selon laquelle les vents associés à l’émergence d’un air froid ont absorbé l’humidité de la mer avant de la répandre sur l’Europe sous la forme de neige, à travers trois événements survenus entre la mi-février et la fin du mois de mars.

Historiquement, indique Bailey, la mer de Barents avait en moyenne 170 000 km² de couverture de glace supplémentaire à la fin de l’hiver qu’en 2018. Si la surface de la mer n’avait pas été aussi exposée, elle n’aurait pas fourni autant d’humidité et la Bête de l’Est aurait pu être un événement bien différent, avec beaucoup moins de neige. À l’aide d’une méthode appelée réanalyse météorologique, qui permet de modéliser les régimes météorologiques du passé, les auteurs de l’étude ont découvert que 140 milliards de tonnes d’eau s’étaient évaporées de la mer de Barents pendant cette vague de froid. Dans la même période, 159 milliards de tonnes de neige sont tombées sur l’Europe, ce qui suggère que 88 % de ces chutes de neige provenaient de la mer de Barents.

Pour Cohen, cette nouvelle étude à laquelle il n’a pas participé « est allée plus loin [que les études précédentes] dans le renforcement de la relation » entre la perte de banquise et la hausse des chutes de neige. « Ce qui est particulièrement inédit, c’est l’utilisation des marqueurs isotopiques pour associer la chute de neige à cette région, » déclare-t-il. « Je n’avais jamais rien vu de tel auparavant. »

 

AU LONG TERME

Alors que l’étude s’intéresse à un hiver particulièrement neigeux, elle met également en avant une tendance au long terme.

À l’aide des modèles atmosphériques et des observations satellite de la banquise remontant jusqu’en 1979, les auteurs ont découvert une corrélation forte entre la diminution de la couverture de glace sur la mer de Barents, la hausse de l’évaporation en surface et une accumulation maximale de neige plus élevée au mois de mars à travers l’Europe. Les modèles climatiques suggèrent que la mer de Barents pourrait perdre l’intégralité de sa glace en hiver d’ici le début des années 2060, ce qui offrirait une nouvelle source potentielle majeure d’humidité hivernale pour la région.

Le lien entre la banquise et les chutes de neige décrit dans l’étude est « la prochaine étape logique » dans notre considération des impacts de l’exposition accrue de l’océan Arctique, explique Andrea Lang, scientifique de l’atmosphère à l’université d’Albany qui n’a pas pris part à l’étude.

Lang évoque notamment les travaux réalisés actuellement par d’autres chercheurs sur l’existence de liens entre le recul de la banquise et le prolongement de l’activité cyclonique estivale en Arctique. Bien que les processus à l’œuvre soient différents, l’impact de l’évolution de la banquise sur les conditions météorologiques est « aujourd’hui un sujet brûlant, » conclut-elle.

 

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