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D’autres vies que la nôtre ?

Nathalie A. Cabrol : «Il y aurait au moins une douzaine de civilisations avancées dans notre galaxie»

Le recensement de milliers d’exoplanètes, ces planètes hors de notre système solaire, a ouvert un champ vertigineux pour la recherche de la vie extraterrestre. Dans son nouveau livre, l’astrobiologiste Nathalie A. Cabrol parle d’une « révolution ».

publié le 29 décembre 2022 par Adrien Naselli, Libération

De l’océan de glace du satellite Europe (au 1er plan), on aperçoit Jupiter et Io (entre les deux). (© Walter B Myers/Bridgeman Images)

Les chercheurs ont pris l’habitude de les appeler « non-humains ». Il s’agit de tous ces êtres avec lesquels nous cohabitons (ou pourrions cohabiter à l’avenir) sans en avoir toujours conscience : les microbes qui peuplent nos corps et notre environnement, les plantes de nos parcs et de nos forêts, les extraterrestres que nous rencontrerons sans doute un jour, et les robots qui prolifèrent autour de nous. « Libé » explore ces formes d’existence, qui posent mille questions aux sociétés humaines.

Le phénomène de la vie est probablement une constante universelle, et la vie terrestre loin d’être un miracle. Voilà la leçon d’humilité que nous donne la lecture de A l’aube de nouveaux horizons (Seuil, parution le 6 janvier 2023) de la Française Nathalie A. Cabrol, directrice scientifique de l’institut Seti [Search for Extra-Terrestrial Intelligence, lancé par la Nasa dans les années 70, ndlr], un organisme à but non lucratif pour la recherche d’une vie extraterrestre intelligente situé dans la Silicon Valley.

Dans un premier livre, paru en 2021 (Voyage aux frontières de la vie), Cabrol, qui a mené une bonne partie de sa carrière à la Nasa, racontait son exploration de milieux extrêmes sur Terre, comme les lacs de très haute altitude, pour comprendre si la vie a pu apparaître ailleurs, sur la planète Mars, notre voisine gelée. Un travail remarqué qui prouve que sa discipline, l’astrobiologie, a de beaux jours devant elle. La tête dans les étoiles, mais les pieds bien ancrés sur la Terre.

Comment la vie extraterrestre est-elle passée de quête philosophique à quête scientifique ?

Grâce aux observations du télescope Kepler (2009-2018), de la mission Tess (Transiting Exoplanet Survey Satellite), lancée en 2018, et bien sûr celles de James-Webb qui ont commencé il y a tout juste un an, non seulement on sait que des planètes de type terrestre et des étoiles de type solaire sont abondantes dans notre galaxie, mais on a aussi découvert qu’il existe beaucoup d’autres types de planètes et d’étoiles, qui sont capables d’héberger des conditions «habitables» pour la vie telle que nous la connaissons, c’est-à-dire structurée sur le carbone, l’hydrogène, l’oxygène, l’azote, le soufre et le phosphore.

C’est une vision très poétique : dorénavant, lorsqu’on lève les yeux la nuit vers le ciel, on peut être sûr qu’autour de chaque étoile, il y a au moins une planète en orbite. Depuis la découverte des premières exoplanètes dans les années 90, nous en avons recensé des milliers d’autres. Bien sûr, la question qui traîne dans notre esprit est toujours : « Sommes-nous seuls ? ». Cependant, on suppose dorénavant que la vie n’est sans doute pas l’exception mais la règle.

Dans l’univers tel que nous le connaissons, toutes les lois de la physique et de la chimie sont les mêmes ! Selon certains physiciens, il semblerait que la vie soit inévitable car c’est le meilleur moyen de combattre l’entropie, c’est-à-dire le chaos. S’ils ont raison, alors la vie est partout là où elle peut être. C’est probablement une constante universelle.

Quelles sont les chances qu’une autre forme de vie intelligente existe dans l’univers ?

Il y a différents modèles, mais les plus pessimistes compteraient une douzaine de civilisations avancées dans notre galaxie, la Voie lactée, qui n’est qu’un îlot dans l’espace parmi tant d’autres. Statistiquement, il est probable qu’il y ait beaucoup moins de formes intelligentes que de formes simples mais cela ne veut pas dire qu’il y en a peu !

Rappelez-vous qu’il y a au moins 125 milliards de galaxies dans l’univers. Chacune d’entre elles contient 100 à 400 milliards d’étoiles. Et autour de chaque étoile tourne au moins une planète… Quand on envisage ces chiffres simplement d’un point de vue statistique, cela prend des proportions phénoménales. Selon le principe de médiocrité, on peut estimer que la Terre est tout à fait commune, et donc les vies intelligentes tout à fait banales.

S’il y a une douzaine de civilisations avancées dans notre galaxie, pourquoi n’avons-nous aucune nouvelle d’elles ?

Les premières étoiles, comme le Soleil, sont apparues il y a dix milliards d’années. Or notre Soleil, qui est à la moitié de sa vie, n’a que cinq milliards d’années. Les premières civilisations ont donc pu vivre plusieurs milliards d’années avant nous ! Elles ont pu disparaître pour beaucoup de raisons : cataclysmes, autodestruction, fin de civilisations… Cela fait seulement 150 ans que nous envoyons des signaux dans l’espace de manière volontaire et involontaire du fait de notre activité. Nous vivons donc dans une bulle radio d’environ 150 années-lumière. C’est minuscule comparé à la dimension de notre galaxie, la Voie lactée, mais c’est là que nous avons le plus de chance d’être repérés.

Envisager la possibilité d’une communication, c’est déjà penser à des civilisations qui sont au même niveau que nous – des formes de vie plus simples ne pourraient pas détecter nos ondes radio, alors que des civilisations plus avancées auraient des moyens qu’on ne peut même pas concevoir de nous repérer même de bien plus loin. On a découvert une étoile qui est née dans le même cocon que le Soleil il y a quatre milliards et demi d’années et qui se trouve dans la zone de notre bulle radio. Peut-être alors notre premier contact sera-t-il avec une civilisation de notre propre famille stellaire, car les composantes élémentaires de la vie ont été fabriquées en abondance à la naissance de notre Soleil. Ces «briques de la vie», on les trouve partout, que ce soit dans le milieu interstellaire, dans les astéroïdes, dans les comètes.

De quelles formes de vie parle-t-on alors ?

De nombreuses bactéries terrestres pourraient survivre sous la surface de Mars, par exemple. Certains organismes n’ont pas besoin de l’énergie d’une étoile, contrairement à nous ou aux plantes que nous cultivons. Ils fonctionnent avec la chimie qu’on trouve au fond des océans dans les sources hydrothermales et les «fumeurs noirs» [fruits de la rencontre de l’eau froide des océans et du magma présent sous la croûte terrestre, ndlr].

Vous allez donc trouver une abondance de microbes, de vie organique simple et très résistante, comme les cyanobactéries. Sur la Terre, on les trouve partout, dans les milieux tempérés comme extrêmes. Elles ont résisté à tout pendant quatre milliards d’années : à des radiations très fortes lorsqu’il n’y avait pas de couche d’ozone au début de l’histoire de la Terre, à des milieux riches en sel et arides…

Les cyanobactéries sont des organismes simples de l’ordre de quelques dizaines de microns, mais déjà complexes parce qu’elles ont été capables de changer la signature de notre planète dans l’espace il y a 2,5 milliards d’années en développant la photosynthèse et en injectant l’oxygène dans l’atmosphère. Cette transformation de notre planète fut aussi la première grande extinction car l’apparition de l’atmosphère détruisit 90 % des espèces dites anaérobies, c’est-à-dire qui n’avaient pas besoin d’oxygène pour vivre.

Rien que nous ne puissions observer à l’œil nu, donc ?

Des théories disent qu’il y a suffisamment d’oxygène dans les océans d’Europe, l’une des lunes de Jupiter, pour y trouver des vies de type poisson ! La dynamique de l’environnement y est en tout cas beaucoup plus riche que sur Mars car Europe est juste à la bonne distance de Jupiter pour créer des marées, des frictions et donc de l’énergie. Titan, un satellite de Saturne, m’intrigue aussi beaucoup ; c’est une image de la Terre primitive avec une chimie organique extrêmement complexe dans son atmosphère.

On a découvert un océan d’eau sous sa surface. La décennie qui vient va être absolument fascinante pour décrire ces mondes-là et pourquoi pas y trouver des traces de vies. Dans les Andes, on a observé des copépodes (zooplanctons) de quelques millimètres, ce qui est déjà très gros quand on considère la vie. Ils résistent à des rayonnements ultraviolets extrêmes à 6 000 mètres d’altitude et développent des pigments rouge sang pour se protéger.

Comment concevoir que des vies puissent supporter les températures extrêmes, la déshydratation, le vide, l’acide, et que nous, humains, soyons si fragiles ?

Nous avons probablement troqué l’intelligence contre la robustesse. Les cyanobactéries ne peuvent pas faire grand-chose mais elles résistent à tout. On voit notre fragilité quand on essaie de vivre dans une station spatiale, là où des tardigrades, minuscule animal à huit pattes, ne sont pas perturbés pour un sou !

Comment bien faire la différence entre les extraterrestres et la vie extraterrestre ?

Nous sommes des extraterrestres. Les briques de la vie avec lesquelles nous sommes formés viennent de l’espace. On peut avoir une idée de la distribution de la vie dans l’univers en observant la durée qu’il a fallu à la vie simple pour devenir complexe, c’est-à-dire 82 % de notre évolution.

D’ailleurs, 95 % des organismes vivants sont toujours des microbes aujourd’hui. La vie est apparue rapidement, peut-être seulement 200 millions d’années après que la Terre s’est refroidie, mais il a fallu presque quatre milliards d’années ensuite pour aboutir aux espèces complexes. Aussi, on peut s’attendre à ce que les extraterrestres du genre ET soient moins nombreux que la vie simple dans l’univers.

Avez-vous parfois le vertige face à ces découvertes ou gardez-vous les pieds sur la Terre ?

L’astrobiologie n’est pas une échappatoire. Le vertige, je l’ai dans le bon sens. C’est une période fascinante. La notion fondamentale en astrobiologie est celle de la coévolution de la vie et de l’environnement. Cette coévolution est une vérité fondamentale pour notre planète aussi. On fonctionne dans un système fermé, et tout ce que nous faisons entrer dans ce système va nous revenir sous une forme ou sous une autre. L’enfer de Vénus nous montre ce qu’il se passe quand on a un effet de serre et une atmosphère qui s’emballent. Ces études dans le système solaire sont donc de petites fenêtres qui nous donnent des informations pour pouvoir combattre la situation actuelle sur la Terre.

Améliorer la compréhension et la surveillance de l’environnement terrestre est l’une de mes priorités. Si des formes de vie nous regardaient actuellement depuis l’espace, elles verraient un très gros déséquilibre dans l’atmosphère. Et cela les intriguerait beaucoup. Peut-être qu’un chercheur extraterrestre essaie en ce moment de faire financer un projet de recherche afin de prouver qu’il y a de la vie sur cette planète bleue…

A l’aube de nouveaux horizons de Nathalie A. Cabrol, au Seuil, 352 pp., 21 €. A paraître le 6 janvier 2023.

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