Petit cours de philosophie

Le cours ci-dessous constitue une version plus concrète, plus simple et plus courte, du cours de philosophie proposé en trois parties qui se trouve sur ce blog.

 

Ci-dessous sont proposées des modélisations visant à permettre de comprendre les principales lignes de fracture qui traversent des problèmes philosophiques classiques. En utilisant trois grammaires de base, il est possible de proposer une modélisation relativement correcte de ces débats philosophiques. Il ne s’agit pas ici d’entrer dans le détail et la finesse des différentes positions philosophiques (que l’on pourrait aussi modéliser en tentant de faire apparaître comment les structures élémentaires des grammaires de base s’y combinent), mais de permettre une compréhension de ces questions en montrant comment elles sont structurées par les mêmes positions de base.

L’enjeu pratique de cette modélisation est d’offrir un outil permettant à tout un chacun de maîtriser plus facilement les principaux enjeux philosophiques à l’oeuvre dans les débats de société.

            Il s’agit ainsi ici de montrer comment il est possible de modéliser les enjeux philosophiques des problèmes contemporains à partir des trois grammaires suivantes: sensualiste relativiste, matérialiste rationaliste, idéaliste.

            Ces trois grammaires partent chacune de trois hypothèses anthropologiques différentes: 1) l’être humain est un être sensible, 2) l’être humain est un être matériel obéissant à un ordre rationnel 2) l’être humain est un être à la fois matériel et spirituel.

Deux problématiques apparaissent comme particulièrement structurantes: l’opposition d’une part entre le relativisme du sensualisme et l’universalisme du rationalisme, et d’autre part entre l’immanence du matérialisme (réduction aux faits) et la transcendance de l’idéalisme (normativité).

            Cette approche se distingue de celles qui sont habituellement proposées des questions philosophiques qui tendent à aborder les positionnements relativement uniquement à une thématique, sans chercher à montrer que les problèmes autour de l’ensemble des thématiques peuvent être structurés à partir des mêmes positionnements de base. Dans le texte ci-dessous, sont présentés les positions de bases, en revanche les objections que chaque positions s’adressent les unes aux autres ne sont pas toujours exposées.

 

 

I- Epistémologie: langage et réalité


Problème: nos théories scientifiques nous donnent-elles accès à la réalité ? Nos connaissances scientifiques sont-elles vraies ?

 

Une des principales questions épistémologiques consiste dans le rapport de nos discours, et en particulier du discours scientifique, à la réalité. Les théories scientifiques nous donnent-elles des descriptions exactes de la réalité ? Nous expliquent-elles la réalité ? Si on appelle vérité le fait pour nos discours de dire la réalité, alors cela revient à se demander si nous sommes en capacité d’énoncer des vérités ?

Il est possible de prendre des exemples pour illustrer ce problème. Si on prend le cas des théories scientifiques: le Moyen-âge a appuyé sa représentation de la réalité sur le géocentrisme de Ptolémée, tandis que l’époque moderne s’est caractérisée par l’adoption de la théorie héliocentrique. De même, l’époque moderne a appuyé sa physique sur la théorie de la gravité universelle de Newton tandis que la science contemporaine est marquée par la théorisation d’Einstein de la rélativité généralisée. Ces exemples semblent plaider pour le caractère relatif et historique des théories scientifiques. Celles-ci ne seraient que les meilleurs descriptions que nous avons à un moment donné des phénomènes.

Les théories scientifiques ne décriraient pas la réalité  en soi, mais proposeraient une construction théorique possible. Mais une telle thèse pose à la fois des problèmes théoriques et pratiques. Au niveau théorique, cette théorie épistémologique selon laquelle nous ne pouvons pas produire de descriptions de la réalité est alors elle-même relative: elle ne peut pas elle-même prétendre être une théorie épistémologique vraie, en effet elle ne peut être qu’historiquement relative. Au niveau pratique, est-il possible et légitime d’accepter que nous discours ne soient plus conçus comme référant à la réalité ? Ainsi, les travaux des historiens sur la Seconde Guerre mondiale ne sont-ils que des constructions relatives ? Cette thèse apparait comme contre-intuitive: nous leurs accordons bien la portée de décrire la réalité en soi.

 

Si l’on modélise ce problème, à partir de grammaires de la philosophie, il est possible de l’analyser de la manière suivante:

La thèse selon laquelle nos discours ne sont que des représentations relatives et ne nous disent pas la réalité en soi correspond à la grammaire sensualiste relativiste. Dans sa version classique, cette position consiste à considérer que nos connaissances sont relatives à nos sensations. Ces sensations sont-elles mêmes relatives à ce qui nous est utile. En outre, fonder nos connaissances sur une induction à partir de l’observation sensible ne permet pas de produire une connaissance universelle. Une théorie tirée de l’expérience peut toujours être réfutée par une expérience future. Ainsi, la théorie selon laquelle tous les cygnes sont blancs peut-être falsifiée à partir du moment où l’on a observé des cygnes noirs en Australie.

Dans sa version postmoderne, cette grammaire sensualiste connaît un infléchissement: elle ne consiste plus à dire que nous n’avons accès qu’à des sensations, mais à affirmer que notre accès au monde est toujours médiatisé par le langage. Par conséquent, nos discours sont toujours relatifs aux valeurs culturelles, aux connotations de nos discours. La notion de paradigme scientifique contient l’idée que les théories scientifiques incluent également des valeurs.

Au contraire la thèse réaliste, selon laquelle les théories scientifiques permettent un accès à la réalité, peut-être modélisée à partir de la grammaire matérialiste rationaliste. En effet, cette grammaire consiste à supposer que par la rationalité scientifique, l’être humain est capable de dépasser la relativité de l’apparence sensible et de manière générale le relativisme de la connaissance ordinaire.

La position idéaliste est plus spécifique aux philosophes. Elle consiste à considérer que le caractère immanent du discours scientifique ne permet pas d’accéder à une connaissance absolue de la réalité. En effet, une connaissance objective de la réalité supposerait un point de vue transcendant. Par conséquent, seul un sujet spirituel, transcendant à la matière, pourrait fonder une connaissance objective de la matière. Un sujet matériel ne pourrait développer qu’une perspective relative sur le monde auquel il appartient lui-même. Ainsi, si on prend l’exemple de la démonstration en mathématique, le formalisme de la grammaire matérialiste rationaliste ne permettrait pas d’échapper au problème de la régression à l’infini des prémisses: il faudrait les démontrer à l’infini. Pour couper cours à cette régression à l’infini, la position intuitionniste de l’idéalisme consiste à saisir par intuition intellectuelle des principes premiers qui serviraient ensuite de fondement à l’ensemble de la démonstration.

L’objection matérialiste consiste à souligner le problème de différence de nature entre le sujet spirituel et le monde matériel qui constituerait une obstacle à une connaissance adéquate.

 

Si on effectue une ouverture au-delà de ces trois grammaires de base, la conception pragmatiste réaliste consiste à distinguer entre justification et vérité. Nos connaissances scientifiques sont les discours les plus rationnellement acceptables. Nos connaissances ne reposent pas sur une fondation transcendante, néanmoins ils sont orientés par une prétention à la vérité. La vérité est une situation idéale d’adéquation de nos discours à la réalité.

 

Pour aller plus loin:

Nietzsche, “Vérité et mensonge au sens extra-moral”: un texte à la frontière entre la grammaire sensualiste classique et le tournant postmoderne du linguistic turn

Le Baron d’Holbach, Système de la nature: un exemple de grammaire rationaliste matérialiste

Platon, La République, Livre VII: un exemple de réalisme idéaliste

Platon, Le théétête: une critique de l’épistémologie sensualiste relativiste

Descartes René, Les méditations métaphysiques: aux fondements de la grammaire idéaliste moderne.

Kant Emmanuel, Critique de la raison pure: un exemple d’épistémologie idéaliste.

 

II- Epistémologie des sciences humaines: Expliquer et interpréter


Problèmes: Les sciences humaines peuvent-elles s’appuyer sur les mêmes méthodes que les sciences de la nature ? Peut-on étudier des êtres humains comme l’on étudie des minéraux ?

 

La question de l’interprétation en sciences humaines recouvre deux problèmes distincts. Le premier est celui qui a déjà été abordé à travers le problème du rapport de nos discours à la réalité: les discours scientifiques en sciences humaines ne sont-ils que des interprétations culturellement relatives aux connotations de nos langues ?

Le  second problème consiste à se demander si les sciences, qui portent sur l’étude des phénomènes humains, peuvent être des sciences explicatives ou si elles supposent également une dimension d’interprétation du sens subjectif des comportements humains ?

Si on tente une analyse d’épistémologies des sciences humaines relativement aux trois grammaires philosophiques de base, il est possible de proposer la modélisation suivante.

La grammaire sensualiste relativiste, dans sa version linguistic turn, permet d’expliciter les présupposés philosophiques des épistémologies poststructuralistes. Les sciences humaines sont des phénomènes humains. Or les phénomènes humains sont caractérisés par leur relativité et leur historicité. Les sciences humaines sont donc des interprétations relatives.

La grammaire matérialiste rationaliste permet de rendre compte des présupposés épistémologiques des sciences humaines se proposant une portée explicative. Les méthodes des sciences humaines sont les mêmes que celles des sciences de la nature. Elles consistent dans une analyse rationaliste à visée explicative des comportements humains, en termes de causes et d’effets. Elles entendent ne pas s’appuyer sur la subjectivité des acteurs pour rendre compte de leurs comportements, mais sur des déterminants objectifs. Cette subjectivité, dans le cadre de la grammaire matérialiste rationaliste, est perçue comme une illusion qui constitue un obstacle avec lequel il s’agit de rompre.

Pour autant, dans ce dernier cas, le problème qui se trouve alors posé est le suivant: les phénomènes humains sont-ils réductibles à la rationalité naturelle, aux sciences physiques ? Comment expliquer les phénomènes moraux – les valeurs, les normes – qui semblent tenir une place dans les comportements humains et l’organisation sociale en s’appuyant uniquement sur les principes des sciences de la nature ?

En effet, les phénomènes qui semblent spécifiquement humains – la signification dans le langage, le droit, la morale….- paraissent requérir l’introduction de la finalité. Ainsi, pour qu’il y ait signification, il faut supposer que derrière les signes, il y a une intention et donc un but qui leur donne un sens. De même, pour qu’il y ait de la morale, il faudrait supposer que l’on puisse fixer un devoir-être qui dépasse l’être et qui apparaisse comme une fin idéale à atteindre. Or les sciences de la nature modernes se sont caractérisées par la remise en cause de la finalité comme principe d’explication rationnel: en effet comment un fait postérieur (le but) pourrait expliquer rationnellement un fait antérieur ?

A l’inverse, la grammaire sensualiste relativiste permet de rendre compte des critiques adressées au principe de causalité efficiente qui caractériserait la science moderne. Ce principe serait en effet une force occulte qui ne pourrait pas être tirée des phénomènes. Certes les phénomènes laissent apparaître des régularités, mais rien ne permet de tirer de l’observation un principe universel de causalité.

La grammaire idéaliste permet de rendre compte de la position des sciences humaines compréhensives. A côté de la rationalité matérielle, organisée selon un principe de causalité efficiente, il faudrait supposer pour rendre compte des comportements humains, une rationalité en finalité source de la subjectivité des actions humaines, orientées selon des fins morales absolues ou des fins utiles relatives. Les sciences humaines ne pourraient pas alors se contenter d’expliquer les actions humaines comme dans les sciences de la nature, mais elles devraient proposer une interprétation des comportements humains. L’interprétation consiste alors à comprendre le signification subjective donnée par l’acteur à ses actions. La compréhension consiste dans une saisie par intuition intellectuelle de cette signification.

 

Pour aller plus loin:

Nietzsche, Par delà le bien et le mal:  aux sources de la grammaire postmoderne – le discours comme une interprétation relative à des évaluations

Weber Max, Essai sur la théorie de la science: la sociologie comme interprétation du sens subjectif des actions

Durkheim Emile, Les règles de la méthode sociologique: “traiter les faits sociaux comme des choses” – un rationalisme méthodologique

Marx/Engels, L’idéologie allemande: un matérialisme rationaliste ontologique et méthodologique.

 

 

III- Intelligence artificielle et neurosciences


            Problème: la pensée humaine est-elle réductible à la matière ?


A travers les exemples de l’intelligence artificielle et des neurosciences, le problème qui se trouve ici posé est celui de savoir si la pensée humaine peut-être réductible aux principes d’explication des sciences de la matière. En effet, admettre qu’un jour les neurobiologistes pourraient lire dans les pensées de chacun d’entre nous, c’est supposer que la subjectivité de l’esprit humain est traduisible dans l’objectivité du fonctionnement de la matière cérébrale. De même admettre que les robots pourraient un jour penser, ce n’est pas seulement faire en sorte qu’ils soient capables de calculer – ce qu’ils font déjà -, mais également qu’ils soient en mesure de comprendre de la signification. La matière qui compose les ordinateurs et les robots serait alors en capacité de produire de la pensée.

Les implicites philosophiques des projets réductionistes en neurosciences ou dans l’Intelligence articificielle (1) reposent sur les présupposés de la grammaire matérialiste rationaliste. Le fonctionnement de la pensée humaine peut être traduit dans une forme correspondant aux principes du rationalisme matérialiste: rationalité mathématique, causalité efficiente, existence d’un substrat matériel comme support…

Au contraire, la position idéaliste consiste à considérer que la finalité ou intentionnalité, que suppose la pensée humaine, ne peut pas être rendue par les présupposés philosophiques du matérialisme rationaliste. En effet, la capacité à produire et à comprendre de la signification, qui caractérise l’esprit humain, ne pourrait pas être rendue à partir des propriétés de la matière ou des principes de la rationalité scientifique.

La grammaire sensualiste relativiste permet de modéliser les positions qui attaquent les prétentions de la rationalité scientifique à établir des lois universelles du fonctionnement de l’esprit humain. Ces critiques s’appuient par exemple sur le caractére épigénétique du développement cérébral, la plasticité du cerveau, qui en fait un organe singulier à chaque individu. Les sciences pourraient tout au plus déterminer des règles de fonctionnement générales, mais pas rendre compte, dans le détail, du fonctionnement de chaque cerveaux individuels.

 

(1) On ne rentre ici pas dans le détail des positions. Par exemple, n’est pas introduit la spécificité de la position fonctionnaliste en ce qui concerne l’Intelligence artificielle.

 

Pour aller plus loin:  

Changeux/Ricoeur, La nature et la règle: une controverse modélisable à partir de l’opposition entre grammaire matérialiste rationaliste et grammaire idéaliste .

Descartes René, Le discours de la méthode: aux sources de la grammaire idéaliste moderne

La Mettrie, L’homme machine: un exemple modélisable à partir de la grammaire matérialiste rationaliste.

Malabou Catherine, Que faire de notre cerveau ?: une réflexion philosophique sur la notion scientifique de “plasticité du cerveau” humain.

 

 

IV- Expérimentations scientifiques sur les animaux et sur les êtres humains.

 

Problème: Peut-on effectuer des expérimentations scientifiques sur les êtres humains et les animaux comme on en effectue sur les choses ?


Autant l’expérimentation scientifique sur les choses, perçues comme étant uniquement de la matière inerte, ne suscite généralement pas de débats, autant la question de l’expérimentation sur les animaux et les êtres humains provoquent davantage de controverses. 

Les présupposés qui sont ceux de la grammaire matérialiste rationaliste se caractérisent par deux éléments qui permettent d’analyser ce débat. Le premier est le présupposé selon lequel les personnes humaines et les êtres vivants ne se distingueraient pas ontologiquement de la matière inerte. Le second point porte sur la question des normes morales. Cette grammaire se caractérise par l’élimination de la finalité, par conséquent les normes qui pourraient fonder une interdiction morale de l’expérimentation sur le vivant ou l’humain ne peuvent pas être tirées des faits physiques.

A partir d’une grammaire sensualiste, il est possible de poser une différence entre la matière inerte et la matière vivante (humains ou animaux) en l’appuyant sur la sensibilité. Les êtres vivants se caractérisent par leur sensibilité et donc leur capacité à souffrir. Ce serait donc cela qui constituerait le fondement de l’interdiction morale de l’expérimentation sur les êtres vivants sensibles et les êtres humains.

Néanmoins, à partir de la grammaire idéaliste, il est possible de rendre compte d’objections vis-à-vis de ces deux positions. La première est adressée à la position sensualiste: elle conduirait à réduire la différence morale entre les êtres humains et les animaux. Elle serait ainsi contre-intuitive moralement: pourrait-on accepter par exemple que la vie d’un chimpanzé puisse être supérieure à celle d’un nourrisson humain ? Pour la position idéaliste, l’être humain se distinguerait des autres êtres vivants par le fait qu’il posséderait un esprit, et non pas seulement une sensibilité. Cette caractéristique en ferait une personne morale dans la mesure où l’esprit serait spécifié par sa capacité à édicter des normes ou des valeurs morales. Dans une telle conception, les animaux ne sont pas des sujets moraux. Ce sont uniquement les êtres humains qui sont des sujets moraux (1).

Il est possible de noter que des analyses postructuralistes remettent en cause le partage qui est effectué, dans les termes de la grammaire idéaliste, entre vivant, humain et machine. Ce positionnement poststructuraliste remet en cause d’une part l’élimination de la finalité dans la nature qui caractérise la science moderne et le dualisme effectué entre fait et valeur. Ceci peut être compris lorsque l’on analyse les spécificités de la grammaire sensualiste. Alors que la grammaire matérialiste rationaliste suppose un réductionnisme matérialiste et que la grammaire idéaliste implique un dualisme ontologique entre la matière et l’esprit, la grammaire sensualiste se caractérise par un phénoménisme qui ne permet pas de distinguer entre réalité en soi et apparence relative à ce qui a une valeur d’utilité pour nous, donc entre nature et culture, entre matière et esprit.

 

(1) Il est possible néanmoins de noter que l’analyse, correspondant à la grammaire idéaliste, du vivant ne consiste pas à le réduire à un mécanisme matériel. L’étude du vivant supposerait l’introduction de la finalité. Néanmoins, l’hypothèse d’une finalité à l’oeuvre dans le vivant, en tant qu’organisme et dans l’évolution, semble réintroduire la notion de providence. En effet, pourrait-être alors émis l’hypothèse qu’il y aurait une intelligence à l’oeuvre dans la nature qui l’organiserait ou l’orienterait selon un but particulier. C’est la théorie du dessein intelligent.

 

Pour aller plus loin:

Descartes René, Le discours de la méthode: la thèse matérialiste mécaniste des animaux machines

Singer Peter, La libération animale: Analyse utilitariste

Kant Emmanuel, Fondements de la métaphysique des moeurs: aux sources de la conception idéaliste rationaliste de la morale humaniste issue des Lumières.

 

V- L’humanité, identité et différences


Problème: Y-a-t-il des différences irreductibles entre les individus, les cultures, les communautés ou l’humanité se caractérise-t-elle pas une unité au-delà des différences apparentes ?  

 

            Les problèmes d’anthroplogie philosophique traversent à différents niveaux les débats contemporains. Sommes nous des individus tous singuliers ou appartenons-nous tous à une même humanité ? Les différences entre cultures, entre communautés ou encore entre classes sociales sont-elles irréductibles ou au contraire existe-t-il une nature humaine suceptible de fonder des valeurs universelles ? De manière générale, ce sont les différences d’anthropologie qui constitue la base des différences entre les grammaires philosophiques.  

L’analyse de cette problématique, à partir de la grammaire sensualiste, consiste à mettre en avant l’apparente diversité auquel nous donne accès la sensibilité: diversité de l’apparence des êtres humains, diversité des cultures humaines… Dans le cadre de la grammaire sensualiste, l’être humain apparaît comme un être sensible. La question de sa nature ontologique – être matériel ou aussi spirituel – n’a pas de sens dans la mesure où elle supposerait une capacité à dépasser l’apparence phénomènale. L’esprit humain n’est pas caractérisé par ses capacités innées, mais par sa receptivité: l’individualité est le produit des expériences sensibles de chacun. Dans sa forme postmoderne, marquée par le tournant linguistique, c’est également la diversité relative qui est mise en exergue contre l’universalisme du rationalisme des Lumières. La conception postmoderne récuse la thèse d’une essence humaine: elle met en avant le caractère construit et non naturel des propriétés attribuées aux individus.

Le cadre de la grammaire matérialiste rationaliste consiste à mettre en exergue l’existence d’une nature physique commune à l’ensemble de l’humanité. Dans sa version contemporaine, c’est du côté de la génétique qu’une telle nature humaine est recherchée. De fait, l’être humain apparaît comme définit comme un être matériel, obéissant à une certaine rationalité et lui même susceptible de ce fait de rationalité. Néanmoins cette tentative donne lieu à deux types de critique. La première consiste dans le risque de naturalisation de caractéristiques qui ne seraient que des constructions culturelles. La seconde critique consiste dans l’impossibilité de tirer à partir de faits naturels des valeurs ou des droits universels. En effet, ce qui est de l’ordre du devoir-être implique l’introduction d’une finalité qui est irreductible au fait.

Le cadre de la grammaire idéaliste consiste ainsi à fonder l’universalité de l’humanité sur une rationalité morale d’ordre spirituelle et non physique. L’être humain est caractérisé par son intellect au sens de rationalité fondée sur une saisie intuitive immédiate, en mathématique ou en morale par exemple, de principes premiers.

 

Pour aller plus loin:

Kant, Fondements de la métaphysique des moeurs: théorisation philosophique de l’universalité de la personne morale

Albert Jacquart, Moi et les autres: sur la génétique

Margaret Mead, Moeurs et sexualité en Océanie: un des classiques de l’ethnologie culturaliste

 

 

VI – Nature, histoire et culture


Problème:  L’étude des sociétés humaines est-elle réductible aux sciences de la vie telles que l’éthologie ou la sociobiologie ? Les individus sont-ils réductibles à leur fonctionnement biologique ? 

 

            Le cadre, qui est celui de la grammaire sensualiste, induit une continuité entre nature et culture. En effet, il n’établit pas de séparation entre nature et culture, mais la conception de la nature qui est contenue dans une telle grammaire est celle d’une pluralité changeante et mouvante. La nature ne permet pas d’établir des lois universelles sur laquelle pourrait s’appuyer la culture. La conception de la nature de la grammaire sensualiste n’est pas celle présupposée par la science moderne. La nature dans une telle grammaire apparaît incluant des valeurs.  Il y aurait ainsi une pluralité de cultures humaines caractérisées par leur relativité. 

En revanche, il est possible d’édicter des lois universelles si on combine, comme dans le cas de l’utilitarisme, sensibilité et rationalité. Dans ce cas, l’être humain est analysé comme un être sensible recherchant de la manière la plus rationnelle possible à optimiser son plaisir.

Dans le cadre de la grammaire matérialiste rationaliste, dans une première version, il s’agirait de réduire les sciences sociales aux sciences de la vie. Les mêmes règles d’analyse rationnelle seraient applicables aux sociétés humaines comme aux groupes animaux, à l’histoire humaine, comme à l’évolution naturelle. Néanmoins, ce projet se heurte à une objection: l’obstacle du passage de l’ordre factuel à l’ordre normatif. Même si les sociétés humaines dans leur fonctionnement étaient réductibles aux lois de la nature, les lois naturelles seraient des lois factuelles et non des normes juridiques. Le second dilemme que l’on peut souligner est le suivant: les sociétés humaines obéiraient-elles à une évolution naturelle entendue comme concurrence entre les individus pour la survie du plus apte ou comme principe de solidarité entre les individus d’une même espèce pour s’adapter à leur milieu ?

Une seconde option se dessine dans le cadre de la grammaire matérialiste rationaliste, elle consiste à admettre une dimension émergentiste. Les sociétés humaines seraient analysables selon les présupposés méthodologiques du matérialisme rationaliste, mais elles ne seraient pas pour autant réductibles aux lois des sciences de la nature. Il y aurait une différence de nature entre l’ordre naturel et l’ordre social: ce dernier serait le produit de l’émergence à partir de la nature d’un autre niveau de réalité. L’histoire humaine introduirait alors une rupture entre nature et culture. L’approche rationaliste permettrait néanmoins de dégager des lois scientifiques à l’oeuvre dans les sociétés humaines par delà l’apparente relativité des cultures humaines.

Le cadre idéaliste consiste à supposer que ce dualisme entre nature et culture est le produit d’une dualité entre matière et esprit. Ce serait alors parce que l’être humain serait doté d’un esprit que les sociétés humaines introduiraient une transcendance par rapport à la nature. La culture serait alors caractérisée, plus particulièrement, par ses productions les plus intellectuelles: la religion, l’art, la philosophie… plutôt que par ses pratiques populaires ou ses productions matérielles.

Néanmoins, le problème qui se trouverait alors posé est le suivant: s’il y a rupture entre nature et culture, celle-ci est-elle le produit de l’esprit humain ou de la pratique ? L’esprit humain est-il la cause ou le produit de cette rupture entre nature et culture ?

 

Pour aller plus loin:

Montaigne, Les essais: éléments sur la relativité des cultures humaines

Marx Karl, Avant-propos à la critique de l’économie politique: sur le matérialisme historique

Hegel, La raison dans l’histoire: une lecture idéaliste de l’histoire et des cultures humaines

 

VII- Travail et culture


Problème: Le travail est-il une catégorie anthropologique universelle qui assure le passage de la nature à la culture ou n’est-il qu’une catégorie historiquement relative ?

 

            Peut-on imaginer une société sans travail ? Parvenir à une société où nous ne serions plus contraint de travailler, serait-il la marque que nous aurions atteints le bien-être matériel ?  

A première vue, le travail semble désigner l’activité par laquelle nous satisfaisons nos besoins vitaux. Défini de cette manière, la catégorie de travail pourrait s’appliquer également aux animaux.

Il est possible de considérer que l’on peut modéliser à partir de la grammaire sensualiste les présupposés utilitaristes concernant le travail de l’économie libérale. Dans une telle conception, le travail apparaît comme un moyen qu’utilise l’individu pour augmenter son bien-être matériel. Il n’y a pas ici de rupture entre besoins naturels et désirs sociaux.: les besoins sont illimités. Le travail apparaît comme une activité permettant d’obtenir une rémunération qui rend possible elle-même l’achat de biens matériels ou immatériels (services) qui sont considérés par l’individu comme augmentant son plaisir. La division du travail apparaît également comme un moyen d’augmenter et de diversifier la production des biens. Du point de vue de la sensibilité immédiate, le travail se présente comme un effort pénible. Il n’est conçu dans ce cadre que comme un moyen en vue d’une fin qui est la consommation de biens. De fait, si l’individu peut parvenir à la consommation de biens par un autre moyen que le travail, par exemple par la rente, cela apparaît tout à fait souhaitable.

Dans cette conception, la pénibilité du travail apparaît comme un fait naturel et non comme la conséquence de l’organisation sociale du travail. Néanmoins, il est possible de se demander si ce qui fait que le travail se présente comme pénible et devant être fui n’est pas lié plutôt à la manière dont il est socialement organisé.

La grammaire rationaliste matérialiste permet de modéliser les principaux traits qui caractérisent par exemple les analyses sur le travail de Marx. Le travail productif apparaît comme la catégorie qui assure l’émergence de la culture du point de vue d’une analyse matérialiste. C’est en effet par le travail que l’être humain produit des outils qui lui permet de transformer la nature et de produire le monde d’objets matériels et de productions symboliques qui caractérise la culture. Le travail est donc une catégorie anthropologique universelle qui spécifie l’être humain. Le caractère aliénant du travail provient à la fois de la division sociale et technique du travail: le travailleur se trouve dépossédé à la fois du produit de son travail et de la possibilité de l’organiser. Le travail productif tel qu’il est défini par Marx met en avant le travail manuel qui transforme la réalité matérielle.

Dans le cadre de la grammaire idéaliste, le travail manuel se trouve réduit à la satisfaction des besoins vitaux. Ce qui est considéré comme proprement humain, se sont les activités intellectuelles qui ne sont pas du travail puisque le travail est tourné vers la satisfaction des besoins corporels. La conception idéaliste repose sur la distinction entre le corps auquel répond le travail et l’esprit qui se caractérise par son activité intellectuelle. Ce sont les activités intellectuelles qui sont alors valorisées comme étant spécifiquement humaines.

 

Pour aller plus loin:

Adam Smith, De la richesse des nations: une analyse utilitariste libérale du travail

Karl Marx, Les manuscrits de 1844

Karl Marx, Le Capital

Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne

 

VIII- Technique et liberté


Problème: La technique permet-elle d’accéder au bonheur ou asservit-elle les êtres humains ?

 

Les discours sur la technique apparaissent clivés entre positions technophiles et technophobes. Il est possible de tenter de modéliser certaines des implications philosophiques de ces clivages à partir d’une analyse grammaticale.

A partir de la grammaire sensualiste, les outils techniques sont perçus comme des instruments, prolongeant le corps des êtres humains, leur permettant de satisfaire leurs besoins en diminuant la pénibilité du travail. Les objets techniques peuvent apparaître comme faisant naître de nouveaux besoins et augmentent ainsi le plaisir sensible que les individus éprouvent par rapport à la situation qui existait avant la fabrication de ces objets.

Dans une conception rationaliste, les techniques peuvent être le produit de l’application des connaissances scientifiques et non pas seulement tirés de l’expérience. L’efficacité des techniques se trouverait alors augmentée grâce à la rationalité scientifique. Dans la conception utilitariste (qui combine sensibilité et rationalisme), les sciences et les techniques apparaissent alors comme des instruments permettant de réaliser le bonheur de l’humanité.

Dans le cadre de la grammaire idéaliste, la technique peut faire l’objet d’une critique dans la mesure où elle apparaîtrait comme la marque de la domination d’une rationalité instrumentale (tournée vers l’utilité sensible du corps) au détriment de la raison pratique de l’esprit. La technique n’est qu’un moyen au service d’une fin, le danger apparaît lorsque la technique n’est plus soumise à la moralité. La science moderne, dans la mesure où elle repose sur l’expulsion de la finalité, ne peut assurer cette maîtrise morale de la technique. La domination de la technique pourrait apparaître alors comme la domination d’un utilitarisme au service du plaisir sensible, au détriment d’une rationalité morale d’ordre spirituelle.

L’analyse matérialiste peut au contraire insister sur la neutralité de la technique en faisant de l’analyse morale idéaliste une illusion de la conscience immédiate que la médiation d’une analyse rationnelle de la technique conduirait à remettre en question.

 

Pour aller plus loin:

Bacon Françis, La Nouvelle atlantide

Bentham Jérémy, Le panoptique

Ellul Jacques, Le système technicien

Jurgen Habermas, La technique et la science comme idéologie

Marx, Le Capital, Chapitre XV

 

IX- Echanges économiques et société


Problème: Les liens sociaux sont-ils fondés sur les échanges marchands ?

 

            L’analyse de la société peut-elle partir des actions individuelles ou au contraire les actions individuelles doivent-elles être analysées à partir de l’étude de la société ? La base du lien social se trouve-t-elle dans l’échange économique marchand ? 

La grammaire sensualiste, dans sa forme utilitariste, permet de modéliser la position libérale utilitariste. Dans une telle conception, la société est analysée à partir des actions individuelles. Les actions individuelles sont orientées vers l’optimisation rationnelle du plaisir sensible. Les individus cherchent dans les relations avec autrui à maximiser leur intérêt. Leurs relations prennent la forme de contrats par lesquels ils échangent des biens matériels ou immatériels leur permettant de satisfaire leurs besoins et d’augmenter leur plaisir. Tout lien social est donc analysé sur le modèle du contrat marchand. Ainsi dans une telle conception, la fondation de l’Etat ou le mariage, par exemple, sont basés sur des contrats.

Si on modélise, à partir de la grammaire matérialiste rationaliste, la position de Marx concernant le statut des échanges marchands et de l’étude de la société, on peut mettre en avant certaines critiques vis-à-vis de cette méthode utilitariste libérale, auquel il oppose une méthode matérialiste. Les échanges marchands ont l’apparence d’un rapport où chacun satisfait son intérêt individuel, mais en réalité la société marchande capitaliste est édifiée sur un rapport d’exploitation économique inégalitaire. Pour étudier rationnellement la société, il ne s’agit pas de partir des actions individuelles, basée sur des intérêts individuels, mais d’une analyse des structures matérielles de la société: force de travail, état des techniques, organisation de l’économie… La société se trouve ainsi clivée entre des intérêts de classe divergents.

Il est possible d’analyser à partir d’une grammaire idéaliste rationaliste la position que l’on qualifiera ici d’école durkheimienne (Durkheim, Mauss…). Les liens sociaux ne sont pas dans ce cas conçus comme reposant sur un calcul d’intérêt que ce soit un intérêt individuel ou un intérêt de classe. Les liens sociaux, les échanges entre individus, font naître des obligations morales. Ce que recherche l’individu, dans sa relation à autrui, ce n’est pas la satisfaction d’intérêts matériels. Mais, pour Hegel par exemple, ce qui est recherché est le fait d’être reconnu en tant qu’autre conscience, c’est à dire comme une personne. Les échanges ne sont pas seulement des échanges de biens marchands, mais également de biens matériels non-mrchands ou immatériels non-marchands comme des signes ou des symboles spirituels. Ces échanges créent des obligations morales, des dettes, donc des devoirs, tels que l’obligation de recevoir et de rendre. La société ne peut donc être réduite à des actions individuelles, mais elle n’est pas non plus avant tout une totalité matérielle, dans une telle conception, elle fait émerger une conscience morale collective.

 

Pour aller plus loin:

Adam Smith, De la richesse des nations: Aux sources de la grammaire utilitariste libérale

Marx Karl, Contribution à la critique de l’économie politique: la critique matérialiste de la grammaire libérale

Durkheim, De la division du travail social: un exemple de conception idéaliste rationaliste

Mauss, Essai sur le don: un exemple de grammaire rationaliste idéaliste

 

X- Société et Etat

 

           Problème: L’Etat constitue-t-il une réalité transcendante à la société permettant d’assurer l’intérêt général ou n’est-il que l’expression d’un rapport de domination d’un groupe social sur un autre ?  

 

            La grammaire sensualiste, dans sa forme la plus basique, consiste à concevoir les actions humaines comme orientées vers la recherche de l’intérêt immédiat. Or l’objection, qui apparaît rapidement, serait celle selon laquelle ces intérêts sont amenés à se heurter. Se pose alors le problème de savoir comment les individus peuvent garantir leurs intérêts contre l’empiétement des autres individus. Dans sa version utilitariste, c’est-à-dire combinant la sensibilité et la rationalité, cette grammaire consiste à fonder la légitimité du pouvoir étatique sur un contrat par lequel l’Etat est chargé de garantir les droits des individus.  

La légitimité de l’Etat, du point de vue de la grammaire idéaliste rationaliste, ne se trouve pas fondée sur les intérêts individuels. L’Etat apparaît plutôt comme une réalité transcendant la société et représentant l’intérêt général. L’Etat est alors à la société, ce que l’intellect est à l’organisme: une instance de commandement de la société. Cette conception d’un Etat au-dessus des intérêts individuels apparaît comme pouvant distinguer par exemple la conception républicaine (1) de l’Etat de la conception libérale.

L’analyse matérialiste consiste à considérer la notion morale d’intérêt général comme une illusion. Elle prend pour modèle de l’analyse rationnelle de l’Etat, une physique des forces. L’Etat serait donc l’expression du rapport de force dans la société et serait de ce fait un instrument au service des dominants.

 

Pour aller plus loin:

Hobbes, Le léviathan: une conception libérale contractualiste du fondement de l’Etat

Locke John, Second traité du gouvernement civil: une conception contractualiste libérale de l’Etat

Platon, La République: un exemple de théorie de la transcendance du gouvernement par rapport à la société.

Hegel, Principes de la philosophie du droit: une conception idéaliste rationaliste de l’Etat

Durkheim Emile, De la division du travail social: aux sources de la conception républicaine sociale de l’Etat

 

(1) La conception Républicaine française peut apparaître comme mêlant des éléments d’une tradition démocratique issue de Rousseau: le peuple se trouve au fondement de la légitimité par l’élection au suffrage universel. Elle inclue également des éléments de la tradition républicaine sociale: l’Etat assure l’intérêt général en garantissant l’égalité juridique formelle entre les citoyens, mais également en assurant une solidarité économique entre citoyens riches et pauvres par un système d’impôt et de redistribution sociale. L’Etat a pour fonction ici d’établir une solidarité sociale plutôt qu’une égalité des conditions économiques.

 

XI- Droit et justice

           

     Problème:  Peut-on fonder la lutte contre un droit positif injuste sur un droit naturel universel juste ? 


            Si l’on comprend bien l’intérêt que présenterait l’établissement d’un droit naturel ayant une légitimité incontestable, permettant de combattre un droit positif injuste, cette option présente également des difficultés que l’on va modéliser à partir de nos trois grammaires élémentaires. 

La grammaire sensualiste, dans sa version basique, ne permet pas d’établir un droit juste de manière universelle: en effet, l’utilité individuelle est relative à chacun. En revanche, la version utilitariste de cette grammaire permet de déterminer quels seraient les droits que des individus rationnels pourraient avoir intérêts à défendre. Une telle conception du droit naturel consiste donc à l’appuyer sur une connaissance de la nature des êtres humains en tant qu’individus rationnels et sensibles. Le droit naturel consiste donc dans la défense de droits individuels subjectifs. Un ordre social juste serait ainsi celui qui garantirait l’égalité juridique formelle des individus et leurs libertés subjectives.

Il serait possible également dans un matérialisme naturaliste pré-moderne d’établir un droit naturel sur une connaissance de la nature en tant que cosmos orienté selon des fins naturelles. Mais cette conception n’est pas celle de la nature dans la science moderne. Dans le cadre d’un rationalisme matérialiste moderne, le droit est étudié comme un fait social, indépendamment de sa légitimité. Les transformations du droit, par exemple du fait d’une révolution, ne sont pas étudiés en termes de légitimité, mais de rapports de force sociaux. L’analyse en termes de légitimité apparaîtrait au contraire comme une illusion de la subjectivité. S’il est possible pour Marx de théoriser les révoltes sociales comme un processus par lequel en définitif les êtres humains parviendront à établir une organisation sociale où la liberté repose sur une égalité économique, c’est qu’il est possible pour lui d’établir une science rationnelle de l’histoire. Or, l’existence de lois de l’histoire, permettant de prévoir le devenir historique, apparaît comme une hypothèse qui n’est pas confirmable par l’expérience historique.

Le cadre idéaliste moderne consiste, pour sa part, à établir l’universalité d’un droit naturel non sur la nature physique, mais sur la rationalité de l’esprit humain. En effet, si les normes ne peuvent être pas tirées de la nature, elles pourraient être tirées de la moralité de l’esprit humain.

 

Pour aller plus loin:     

Ciceron, La république: une conception rationaliste et naturaliste du droit naturel

Locke John, Traité du second gouvernement civil

Marx, Le manifeste du parti communiste

Rawls, Théorie de la justice

 

XII- Religion, art et illusion


Problème: Les phénomènes spirituels, tels que la religion ou l’art qui peuvent en apparaître comme des exemples, sont-ils la marque d’une transcendance de l’esprit ou ne sont-ils que des productions illusoires ?

 

            Dans le cadre de la grammaire idéaliste, l’art et la religion peuvent apparaître comme des marques de la transcendance de l’esprit par rapport à la nature. Les religions peuvent être conçues comme les signes de l’existence d’un esprit surnaturel divin, mais elles peuvent également être pensées comme une marque de la spécificité de l’esprit humain par rapport au reste des êtres vivants. L’être humain n’aurait pas seulement des besoins biologiques, mais également des besoins spirituels, un besoin de sens. De même, l’existence de l’art attesterait la capacité de l’esprit humain à produire une idéalisation de la réalité, à se donner un idéal de beauté qui se situe au-delà de la réalité naturelle. 

Dans le cadre d’une grammaire rationaliste matérialiste, le caractère transcendant de la beauté artistique et des religions apparaissent comme des illusions, ces phénomènes sont analysables comme des faits sociaux qui peuvent être expliqués à partir de l’organisation sociale.

A partir de la grammaire sensualiste, il est possible d’analyser toutes les expressions humaines – art, religion, science – comme des produits des désirs sensibles et relatifs qui ont une fonction, une utilité par rapport à des besoins psycho-physiolologiques vitaux, mais qui ne sont pas des connaissances de la réalité en soi.

 

Pour aller plus loin:

Hegel, Phénoménologie de l’esprit

Nietzsche, “Essai d’une critique de soi-même”, in Naissance de la tragédie

Nietzsche, Humain, trop humain

Marx, Critique de la philosophie du droit de Hegel

 

XIII – Action individuelle et liberté


Probléme: A quelle condition peut-on considérer qu’une action humaine a été réalisée librement ? A quelle condition peut-on en imputer la responsabilité à un individu ?

 

            Notre système pénal tend à fonder la responsabilité sur le choix volontaire. Pourtant la liberté en tant que choix volontaire est-elle une réalité ? 

A partir de la grammaire sensualiste, la liberté pourrait être définie d’un point de vue immédiat comme le fait de pouvoir faire ce qui nous plaît. Néanmoins, il est possible de voir que cette définition immédiate se heurte à l’obstacle de l’opposition possible entre les différents plaisirs. Dans sa version utilitariste, le calcul rationnel de son intérêt conduit au contraire à considérer qu’être la recherche du plaisir est limitée par la liberté d’autrui dans sa propre recherche de plaisir. Néanmoins, la critique idéaliste qui est opposée à l’utilitarisme est que les actes des individus sont en définitif déterminés par leur nature sensible.

Pour sa part, la conception idéaliste de la liberté repose sur la notion de libre arbitre. Cette notion consiste à supposer que l’être humain possède une faculté spirituelle – la volonté – lui permettant de se déterminer indépendamment de la causalité efficiente à l’oeuvre dans la nature. La responsabilité des actes reposerait alors sur la possibilité que l’individu a eu de choisir consciemment ses actes. Si cette capacité lui est supprimée – en cas d’aliénation mentale ou de contrainte physique ou encore de tromperie -, il n’est pas considéré comme responsable de ses actes. La responsabilité en cas de délit est considérée comme une faute morale entraînant la culpabilité morale et juridique de l’auteur de l’acte.

Du point de vue de la conception matérialiste rationaliste, l’hypothèse d’une volonté libre apparaît comme une illusion de la conscience immédiate. Les actes des individus sont soumis à la causalité naturelle. La liberté n’est pas le produit de la conscience immédiate, mais la connaissance que l’individu acquiert de la causalité par un savoir rationnel. La liberté ne consiste pas à faire ce que l’on veut, mais à agir conformément à ce que l’on peut, à connaître rationnellement ce qui dépend de nous. Cette connaissance permet d’agir sur les causes qui  détermine l’individu que celles-ci soient naturelles ou sociales. Ainsi, si la liberté est considérée comme le produit d’un processus, ce n’est pas la conscience d’un choix libre qui peut être le critère de la responsabilité. Dans ce cas, la responsabilité repose sur l’imputation causale. Est responsable ce qui est cause directe de l’acte. Il y a donc responsabilité sans faute. Il est possible de remarquer que le droit civil connaît la responsabilité sans faute dans le cas de dommages causés par un enfant sur un tiers.

Du point de vue de la grammaire sensualiste, le principe de causalité apparaît comme un principe métaphysique qui suppose la détermination d’une rationalité au-delà de l’apparence sensible. L’irresponsabilité repose plutôt sur la détermination du degrés apparent de contrainte. La détermination de la responsabilité est relative en outre à l’utilité sociale qui détermine ce qui est un délit.   

 

Pour aller plus loin:

René Descartes, Les méditations métaphysiques: une conception idéaliste de la liberté

Sartre, L’être et le néant

Spinoza, L’éthique: une critique de la théorie idéaliste de la liberté

Beccaria, Des délits et des peines: une conception utilitariste de la sanction pénale

 

XIV- Désir, conscience et rationalité


Problème: L’être humain est-il avant tout mu par ses désirs ou par sa rationalité ?

 

Ce qui détermine les actions humaines trouve-t-il sa source dans la sensibilité ou l’être humain est-il capable d’agir comme un être rationnel ? Le principe des actions humaines se trouve-t-il dans la conscience de l’être humain ou au-delà dans des désirs inconscients ? Se trouve-t-elles dans son corps ou dans son esprit ? 

Du point de vue de la grammaire idéaliste, les actions humaines trouvent leurs principes dans la conscience. Si l’être humain, en tant qu’il a un corps pourrait avoir des besoins naturels, en tant qu’il est un être spirituel, il a des désirs. En effet, le désir peut être analysé comme une finalité posée par la conscience, mais sous l’effet de sa sensibilité corporelle. Néanmoins, l’être humain apparaît dans une telle conception comme susceptible de maîtriser ses désirs par la capacité de rationalité qui lui permet d’acquérir sa conscience. En effet, la conscience se trouve au fondement de tout savoir rationnel et constitue un principe d’action indépendant des intérêts sensibles.

A partir des prémisses qui sont celles d’une grammaire matérialiste rationaliste, le fondement de la rationalité ne se trouve pas dans la conscience qui constitue un point de vue subjectif, elle trouve son fondement dans la rationalité immanente à la réalité. C’est en tant que l’être humain fait partie de cette totalité rationnelle qu’il est susceptible également de rationalité. Mais une telle connaissance rationnelle suppose d’être capable de dépasser à la fois l’immédiateté de la conscience et de la sensibilité pour accéder à la médiation de la connaissance rationnelle.

Néanmoins, à partir de la grammaire sensualiste, il est possible de se demander si cette rationalité est bien l’expression d’une rationalité immanente à la nature ou si elle n’est pas relative à ce qui nous est utile ? Dans ce cas, la rationalité ne serait pas un ensemble de règles objectives, mais elle serait relative à nos désirs issus de notre sensibilité corporelle. Ces désirs trouveraient ainsi leurs origines au-delà de la conscience dans une force vitale corporelle, dans des besoins vitaux.

 

Pour aller plus loin:

Nietzsche, Par delà le bien et le mal

Spinoza, L’éthique

Descartes René, Les passions de l’âme

Sartre, L’être et le néant.

 

XV- Sens de l’existence


Problème: L’existence humaine a-t-elle un sens et lequel ? 


Ce qui est trouve posé à travers ce que l’on appelle les questions existentielles, ce sont les problèmes liés au sens de l’existence: pourquoi y-a-t-il quelque chose plutôt que rien ? pourquoi existons-nous ? quel est le sens de l’existence humaine ? 

Si l’on part de l’anthropologie sensualiste, l’être humain ne se distingue pas fondamentalement des autres êtres vivants: il est un être sensible. La recherche d’un sens de l’existence n’apparaît alors que comme l’expression d’un besoin psycho-physiologique lié à la peur de la mort. Exister, ce serait simplement vivre.

Néanmoins, les objections idéalistes mettent en avant le fait que seul l’être humain posséderait une conscience de la mort et serait conduit à s’interroger sur le sens de l’existence. La signification peut alors être recherchée dans un sens qui a déjà été donné par exemple par Dieu ou par une tradition spirituelle. Le sens peut être également donné par la conscience individuelle: ce sont aux individus de donner sens à leur existence. Le sujet contemporain ne pourrait plus s’en remettre à une transcendance pour déterminer le sens de son existence. Exister, ce serait se donner un projet dont le sens transcende la simple vie biologique.

Si l’on part de la théorie du monde rationaliste matérialiste alors la question du sens de l’existence est une question absurde en elle-même. En effet, la finalité est une illusion qui doit être dépassée par une connaissance rationnelle: il ne s’agit plus de s’interroger sur l’existence d’une cause première transcendante, sur l’existence d’une fin finale, d’un sens de l’existence… Exister pour l’être humain n’aurait pas plus de sens qu’exister pour la matière.

 

Pour aller plus loin:

Nietzsche, Par delà le bien et le mal

Gadamer, Vérité et méthode

Sartre, L’être et le néant

Althusser, Sur la philosophie: voir la notion de matérialisme aléatoire

 

XVI- Morale et éthique


Problème: Notre existence individuelle doit-elle être orientée vers l’accomplissement du devoir moral ou vers la recherche de notre bonheur ?


Si l’on part de la version la plus basique de l’anthropologie sensualiste, l’être humain apparaît comme un être sensible. De ce fait, il cherche à satisfaire ses besoins qui ne sont pas naturellement limités. Le critère de la satisfaction des besoins est le plaisir immédiat. Cette position peut être appelée hédonisme. Il s’agit de ce que l’on appellera ici une éthique. Deux critères caractérisent cette notion dans ce cas: la fin de l’existence humaine est la recherche du bonheur, le critère du bonheur est le plaisir qui est relatif à chaque individu.

La limite de cette position réside dans le fait qu’un plaisir immédiat peut être la source d’une souffrance plus grande par la suite. Il est possible d’introduire une capacité de calcul rationnel. On obtient alors une anthropologie utilitariste. L’individu recherche son bonheur définit comme optimisation de son plaisir. Il est possible également de calculer le plaisir qui permet de déterminer le bonheur, non à partir du plaisir individuel, mais collectif.

La critique qui est alors fait à cette forme de morale utilitariste, c’est qu’elle peut conduire au sacrifice d’une partie de l’humanité pour augmenter le plaisir de l’ensemble des êtres humains, voire l’ensemble des êtres vivants.

Les morales qui peuvent être tirées, à partir de l’anthropologie rationaliste, sont de plusieurs sortes. On peut tout d’abord distinguer les morales naturalistes rationalistes. La morale est tirée d’une connaissance de la nature entendue comme totalité à la fois factuelle et normative. Il s’agit d’une conception pré-moderne de la nature. Elle se heurte à l’erreur naturaliste: le problème du passage de l’être au devoir-être. Il est possible, dans une seconde option, de réduire l’obligation morale à l’obligation sociale: la morale est alors équivalent aux moeurs, à savoir aux habitudes sociales. Cette conception de la morale se heurte à une objection de relativisme moral. Une autre option du matérialisme rationaliste consiste à traiter la morale comme une illusion idéologique.

L’anthropologie idéaliste peut faire de l’obligation morale une intuition intellectuelle issue d’une conscience morale transcendante. Cette intuition morale peut être combinée avec une déduction rationnelle des principes moraux qui constituent des normes transcendantes, absolues et donc universelles par rapport aux faits sociaux. La morale, au sens fort, constitue donc un ensemble de normes universelles qui s’imposent de manière absolue à l’individu.

 

Pour aller plus loin:

Platon, Le philèbe: Une critique de l’hédonisme des cyrénaiques

Bentham Jérémy, Théorie des peines et des récompenses: aux sources de l’utilitarisme moral contemporain

Durkheim, “Le fait moral”, in Sociologie et philosophie: la morale comme obligation sociale

Engels, Anti-Durhing: les principes moraux comme faits sociaux relatifs à chaque classes sociales

Kant, Critique de la raison pratique.

 

XVII- Les enjeux du savoir


Problème: Le savoir est-il uniquement une recherche désintéressée de la vérité ? A-t-il une utilité sociale ou une finalité morale ? 


Il est possible d’appeler science, le savoir théorique, et philosophie ou sagesse, le savoir pratique. La science et la sagesse sont-elles liées ou sont-elles déconnectées ? La connaissance pratique découle-t-elle d’une connaissance théorique ou toute connaissance théorique est-elle en réalité une connaissance pratique ?  

Si l’on s’appuie sur une anthropologie sensualiste, il n’y a pas de science désintéressée. La connaissance est relative à l’utilité du sujet sensible. Cette utilité peut être celle de la société dans son ensemble ou d’un groupe social en particulier ou d’un individu. 

Si l’on part d’une anthropologie matérialiste rationaliste, la connaissance correspond à une recherche objective de la vérité entendue comme adéquation à la réalité. La connaissance n’a pas de fonction pratique. En effet, la fonction pratique de la connaissance supposerait de pouvoir déterminer des fins utiles ou morales à la connaissance. Tout au plus, la recherche de la vérité peut-elle avoir des conséquences en termes de liberté. En effet, la connaissance des causes objectives qui nous détermine permet d’agir sur celles-ci. Il est possible néanmoins de remarquer également que certaines versions du matérialisme, qui tendent à réduire les productions intellectuelles à des faits sociaux et à une physique des forces, conduisent à remettre en cause la légitimité du savoir scientifique.

Dans une anthropologie idéaliste, la connaissance rationnelle ne permet pas seulement d’établir des faits (raison théorique), mais également des normes (raison pratique). Par conséquent, la recherche de la vérité et du bien moral peuvent apparaitre alors liées.

 

Pour aller plus loin:

Nietzsche, Vérité et mensonge au sens extra-moral

Platon, Le Gorgias

Platon, La république

Bachelard, La formation de l’esprit scientifique

Spinoza, L’éthique

Engels, L’anti-durhing

Kant, Critique de la raison pure

Kant, Critique de la raison pratique

Hegel, Phénoménologie de l’esprit.

 

 

Conclusion: Il est possible d’essayer de montrer à partir de l’analyse grammaticale l’existence de liens entre les présupposés philosophiques à l’oeuvre dans différents domaines et courants philosophiques et politiques. Ainsi, il est possible de remarquer la proximité des présupposés philosophiques entre l’épistémologie empiriste, certaines formes de libéralisme économique et politique et l’utilitarisme moral. De même, le marxisme, en tant que courant politique, s’est appuyé sur une épistémologie matérialiste émergentiste. Enfin, il est possible d’établir certains liens entre les présupposés philosophiques de l’épistémologie idéaliste rationaliste, de certaines formes du républicanisme et de la morale idéaliste rationaliste. 

De manière générale, il est intéressant de noter la congruence entre la République française depuis la IIIe République, la domination de l’idéalisme rationaliste dans la tradition philosophique scolaire (la philosophie de la conscience et du sujet de Descartes, la “volonté générale” du Rousseau du Contrat social, la morale kantienne…), la tradition républicaine sociale et la sociologie rationaliste de Durkheim et l’idéologie républicaine auxquels les enseignants de l’Education nationale adhèrent volontiers.

La philosophie, telle qu’elle est promue dans le système scolaire républicain, peut être analysée comme développant les implicites philosophiques congruants avec le républicanisme social et comme critique des implicites philosophiques de l’utilitarisme libéral d’une part et du socialisme marxiste égalitariste et matérialiste d’autre part.

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