Petit aperçu d’un roman en construction (2)

Salutations chers lecteurs ! Aujourd’hui, je viens vers vous avec un autre morceau de ce livre mystérieux dont l’auteur semble refuser – pour l’instant du moins – de se dévoiler. Selon sa volonté, je ne vous donne pas le chapitre Premier qu’il m’a dit vouloir retoucher et vous propose à la place un premier jet de chapitre 5 plutôt prometteur. J’espère que cela vous plaira.

Chapitre 5 : L’homme qui guérissait les maux

Nuit. Cauchemars. Sans fin, ces mots auxquels on a collé une image, une réalité assaillaient Wéone. Sans cesse il transpirait, hurlait, pleurait même, revivant avec horreur tout ce que son esprit avait relégué au fin fond de sa mémoire supposément pour l’éternité. Supposément, c’est bien là le problème. Car à présent, à présent toutes ces images terrifiantes, tous ces démons grimaçant aux griffes immenses dansaient sous ses yeux, le dévoraient, le tétanisaient. Il était aussi fragile que l’enfant qui se cachait en voyant sa mère mourir, aussi faible que celui qui fuyait son village attaqué par un être qui ignorait tout de la pitié, aussi malheureux que le misérable solitaire condamné à l’errance perpétuelle. Il était incapable d’empêcher le noir de l’engloutir. Qui était-il ? Il l’ignorait. Que faisait-li ? Pourquoi vivait ? Il l’ignorait également. Tout cela n’avait plus la moindre importance à présent. Car il se noyait dans un rêve semblable à une mer d’encre sombre et terrifiante. Il perdait pied avec le monde et la vie puisque telle était la volonté du démon qui l’avait frappé. Mais au fond de l’obscurité, une main se tendit, une main blanche et pure, comme un rêve perdu au milieu de ses cauchemars. Cette main lui rappelait quelque chose, un souvenir à demi enterré. Une faiblesse qu’il avait dissimulée derrière son austérité et son dureté. Un souvenir de sa mère. Sa mère, en repensant à elle, son océan de peur s’égaya quelques instants, elle apportait avec elle un peu du rayon de soleil qui l’avait entourée de son vivant. Une lueur qui chassait même le poison qui le rongeait, une lueur d’espoir si brillante qu’elle en devenait irréelle. Celle de Bien.

Alors que son esprit était envahi par cette vision apaisante, son corps lui, luttait toujours avec la mort, livrant un combat sans merci dont la seule issue possible, la seule finalité était encore incertaine. Son front brûlant de fièvre était parcouru de perles de sueur et son souffle saccadé et haletant. Wéone se portait mal. Très mal. Depuis trois jours, Nathaniel et son frère se relayaient à son chevet, changeant ses bandages et surveillant sa température. Depuis trois jours ils ne discernaient aucune amélioration. Mais à présent, l’inquiétude se lisait très clairement sur le visage de Nathaniel ; la fièvre n’avait pas chuté et la respiration du malade se faisait plus difficile, plus sifflante. Trempant un chiffon dans un seau d’eau roide, il l’essora puis le posa délicatement sur le front du souffrant. Le chiffon sécha presque instantanément. C’était inutile. Ils ne pouvaient rien faire pour empêcher leur invité de mourir, ils étaient incapables d’apaiser sa douleur ou même de calmer sa fièvre. Quand Illias entra à son tour pour relayer son frère, il vit son regard sombre et sans prononcer un mot, laissa ses yeux poser la question qui lui brûlait les lèvres : «Comment va-t-il ? » mais son frère secoua négativement la tête. Tout s’accélérait, s’aggravait. Ils ne contrôlaient plus rien, ne pouvaient plus rien. Rien d’autre qu’attendre que la mort vînt l’emporter. Pourtant elle ne venait pas. Le visage congestionné du jeune homme s’était apaisé et son souffle bien que faible s’était fait moins douloureux. La fin approchait. Lorsqu’au bout de trois jours passés à éponger le front de leur patient, ils vinrent à court de provisions de nourriture, Nathaniel se leva. Plus que n’importe qui, il lui importait que ce blessé recouvre la santé ; d’un air résolu, il annonça à son frère :

  • Je vais chercher le guérisseur, lui saura quoi faire.
  • Il n’y a plus rien à faire, il est déjà presque mort ! rétorqua Illias d’une voix cassante.
  • Peu m’importe. J’irai quand même.
  • Mais pourquoi ? Pourquoi risquer tant pour quelqu’un que tu connais à peine ? interrogea son frère avec exaspération.

Nathaniel inspira. Profondément. Pourquoi faisait-il ça ? Pourquoi désirait-il tant aider le jeune homme blessé ? La réponse était simple. Tout était d’une limpidité éclatante.

  • Parce que j’ai enfin la chance d’être quelqu’un de bien, de me dévouer pour quelqu’un d’autre que moi.

Illias ne répondit rien. Dans leur petite maison en lisière de forêt, ils avaient vécu tant de temps seuls, tant de temps reclus et isolés qu’il ne pouvait en vouloir à son frère de désirer donner un autre sens à son existence. Mais même s’il ne disait rien, ses yeux parlaient à sa place, et ils disaient « va. Trouve ton chemin. » Car c’était ainsi entre des frères, entres ces frères. Aucun ne pouvait s’imposer sur le chemin de l’autre, aucun ne pouvait ignorer l’autre. Là était la signification de leur amour fraternel. Et comme ses yeux avaient parlé, comme son cœur s’était ouvert, Nathaniel pût s’en aller. Il sortit dans le froid extérieur, sans la moindre appréhension, sans la moindre hésitation. Il reconnaissait chaque lieu de leur petit village isolé dans les terres du pays de l’eau, sous ses yeux se déroulaient des paysages aquatiques et verdoyants tandis qu’il courait à en perdre haleine jusqu’à la maison du guérisseur. La porte était close, comme toujours. L’homme, bien trop occupé pour y penser la laissait en permanence dans l’état, il ne fallait pas s’en offusquer. Il ouvrit donc la porte, peu rassuré et circonspect. La pénombre qui régnait dans la pièce l’étouffait presque, mouchant la flamme de son esprit comme s’il s’était agi d’une véritable –et non moins insignifiante- flammèche. C’était le calme absolu, l’immobilité complète. Le jeune garçon déglutit bruyamment, mais rien à faire. Le silence était si épais que ce simple bruit ne parvenait même pas à l’entamer. Soudain, une voix dure s’éleva dans le fond de la pièce :

– Ferme la porte, gamin !

Stupeur. C’était la première fois depuis bien des années que l’on entendait le guérisseur parler, lui que l’on croyait reclus pour échapper aux vices de la vie commune. Pourtant, Nathaniel s’empressa de lui obéir, cette voix dissimulait assez mal l’impression d’autorité qui émanait de cet homme qui avait les ombres pour domaine. Il referma donc la porte, le plus silencieusement possible, comme si le silence qui régnait engloutissait toutes ses facultés et le laissait vide et obéissant. Il avait déjà oublié la raison de sa venue, il avait déjà oublié le jeune blessé agonisant dans la chambre de leur maison. Seul comptait cet homme et les mystères qui le ceignaient tout entier tels un voile obscur et terrifiant que l’on n’osait soulever de peur de voir la fureur des tréfonds se déchaîner. Nathaniel plissa les yeux de toutes ses forces dans un effort désespéré pour percer la pénombre de la pièce, à la recherche d’un quelconque lieu où il puisse s’asseoir, mais encore une fois, le vieil homme le devança :

  • Tu peux t’asseoir là, dit-il d’une voix bourrue en déplaçant bruyamment un tabouret.

Se repérant au bruit, le jeune homme s’avança, les mains tendues en aveugle et, trouvant enfin son siège, il s’assit. Puis rien ne se passa. L’immobilité avait repris ses droits, à présent qu’ils étaient plus proches, Nathaniel pouvait voir dans les yeux du vieil homme une profonde lassitude, un sentiment de vide si absolu qu’il lui rappelait ses mornes pensées du matin.

  • Qu’es-tu venu chercher ici mon garçon ? reprit la voix bourrue.
  • Je….je…ne me rappelle plus, souffla le jeune homme intimidé, je n’arrive plus à me souvenir de la raison de ma venue.
  • Eh bien c’est assez fâcheux pour toi. Mais moi je sais ce que tu es venu chercher, ils viennent tous chercher la même chose, des services, toujours des services. Pourtant ils ne se préoccupent guère de tout ce qui peut affecter le sol ou même l’air lorsqu’ils viennent. Non, tout ce qu’ils viennent me prendre ce sont des remèdes miracles pour soigner telle ou telle maladie, tel ou tel petit ennui passager, bougonna le vieux.
  • Vous êtes toujours aussi désagréable ? demanda soudain Nathaniel.

L’homme haussa un sourcil, ce qui passa bien évidemment inaperçu. Ce gamin commençait à l’agacer avec ses manies étranges. Quelle était cette question qu’il posait là ?

  • Et toi tu t’es déjà demandé si tu avis appris tes bonnes manières comme il faut ? grogna-t-il, mais puisque tu sembles t’y intéresser, non je n’ai pas toujours été ainsi. Autrefois j’étais un jeune guérisseur heureux et plein de vie. Mais ce temps s’est envolé avec l’abrutissement des autres habitants de ce maudit patelin !
  • Oui… je vois assez ce que vous voulez dire, concéda Nathaniel, moi aussi j’ai eu à souffrir de cet abrutissement comme vous dites.

Nouveau haussement des sourcils du vieux et toujours invisible. Peut être tenait-il la perle rare ?

  • Dis-moi gamin, tu ne t’es toujours pas présenté ; tu devrais vraiment songer à revoir tes règles de politesse.
  • Je m’appelle Nathaniel, répondit-il, mais vous non plus vous ne vous êtes pas présenté.
  • Parce que ce n’est pas utile pour l’instant, lâcha le guérisseur.

Une petite lueur brillait faiblement dans son regard tandis qu’il regardait ce petit oiseau qui était venu se percher ici, dans cette maison abandonnée depuis si longtemps par les villageois et condamnée à ne devenir qu’un vestige de temps plus joyeux. Ce gamin avait quelque chose de spécial, il le sentait, quelque chose qui ne s’était pas vu depuis bien des siècles.

  • Alors tu ne te souviens toujours pas de la raison de ta venue ici ?

Cette question fut un déclic. Nathaniel se rappela, de tout. Son frère au chevet du blessé, la mort, la fièvre qui avait chuté, la blessure qui refusait de guérir. Un sentiment d’urgence s’empara de lui, ses yeux s’affolèrent, il fallait qu’il aide et homme !

  • Il y a un blessé chez nous, il est presque mort et nous ne voulons pas le voir disparaître !
  • Ah enfin le vif du sujet, râla le vieux. Indique-moi donc où est ta maison mon garçon, je vais aller jeter un œil à ton mourant.

Le jeune homme soupira, toute la tension qui commençait à s’accumuler dans son corps s’échappait lentement, le laissant vidé mais enfin satisfait. Il avait réussi, il allait sauver cet étranger ! De son côté, le vieux guérisseur se leva pesamment. Son corps fatigué par toutes ces années de prostration mettait du temps à redémarrer. Il se frictionna longuement les poignets avant d’empoigner son bâton taillé dans le bois du plus vieux chêne blanc de la forêt. Suivi de Nathaniel, il quitta la maison, le froid lui cingla immédiatement le visage, lui arrachant une exclamation furieuse. Depuis tant d’années qu’il restait reclus chez lui, il fallait vraiment que ce soit ce gamin insolent qui le tire de sa prostration et par ce froid ! Cela lui laissait une impression particulièrement désagréable dans la bouche. Mais il le fallait bien après tout, un guérisseur se devait d’aider ceux qui n’étaient pas encore assez sots pour se penser touts puissants ; et ce gamin tout malpoli soit-il semblait en faire partie. Il supporterait donc le froid, comme il avait appris à supporter la solitude. Une fine pellicule de neige recouvrait le sol autour d’eux rendant tout l’horizon d’un blanc laiteux. La neige, une drôle de chose que cette eau pas si liquide ni si solide, un mystère presque aussi grand que la flamme irrégulière de la vie qui lutte désespérément pour demeurer allumée malgré les épreuves. Mais le temps d’entretenir de telles réflexions était passé, maintenant venait le temps de l’action. Se tournant vers Nathaniel, le vieux demanda :

  • Où se trouve ta maison, gamin ?
  • Je vais vous y conduire, dit l’autre, suivez-moi.

Et ils se mirent enfin en route, tout autour d’eux, alors qu’ils quittaient progressivement les sentiers tracés par les villageois, la forêt reprenait lentement ses droits, son domaine. Çà et là, des feuilles mortes échappaient à l’emprise de la neige tandis que les grands arbres se dressaient, vierges et fiers au bord de la voie. Il n’y avait pus désormais de trace du village, les derniers feux de cheminée qu’ils apercevaient encore étaient loin et la nature sauvage régnait en maîtresse absolue tout autour de la maison des deux frères. Enfin ils étaient arrivés, l’homme prit le temps d’observer cette demeure à l’aspect si peu semblable aux autres ; au lieu de présenter la même géométrie carrée et angulaire que le reste des maisons, celle-ci proposait pour sa part une variation peu orthodoxe. Les murs étaient cylindriques, étrange choix qui permettait néanmoins de conserver la lumière dans la maison de manière homogène. Choix judicieux. Le vieil homme ne pouvait s’empêcher d’admirer l’originalité architecturale de cette habitation décidément bien au-delà des normes. Après s’être attardé sur leur forme, il observa avec attention leur couleur, dégradé de gris sombre et de blanc épousant une parfaite harmonie et à peine altéré par le temps ; décidément, ce gamin était vraiment spécial. L’homme quitta la bâtisse des yeux, il ne voulait pas encombrer son esprit avant le début de son travail. Cependant, alors qu’il s’avançait d’un pas décidé, son regard accrocha une fleur aux grands pétales orangés. Une dahlia, une fleur rare dont la beauté et la rareté étaient sans pareille dans leur village. Remontant le long des plantations, il découvrit bien d’autres merveilles, là une ipomée volubilis, ici, des gagées à fleur blanches…c’était un véritable jardin botanique. De plus en plus amusé, il se tourna vers le gamin et dit :

  • C’est vous qui avez planté tout ça ?
  • Nos parents, ils étaient de véritables amoureux des plantes, répondit Nathaniel avec une pointe de nostalgie dans la voix.
  • Bien, entrons ou nous aurons un mort à déplorer, marmonna le vieux guérisseur.

Ils reprirent leur marche. Du bout de sa canne, le vieux frappa contre la porte qui s’ouvrit aussitôt sur un vestibule pauvre en décorations dont les murs présentaient les mêmes nuances colorées que l’extérieur. Nathaniel regarda son compagnon de voyage avec un air de surprise totale.

  • Comment avez-vous fait ça ? s’enquit-il.
  • Ce petit tour ? Bah tu es trop jeune. Reviens me voir dans cent ans quand tu commenceras à t’intéresser à ce qui t’entoure, lança l’homme depuis l’intérieur de la pièce.

Sans demander, il monta ensuite à l’étage et pénétra dans la chambre occupée par Illias et le blessé. Il s’avança vers le lit et observa attentivement le visage congestionné qui lui faisait face. Un seul coup d’œil lui suffit pour repérer la source du problème : la blessure manifestement non cicatrisée malgré les efforts des deux gosses. Pas étonnant qu’ils soient venus le chercher, lui l’homme dont on disait qu’il pouvait soigner n’importe quelle blessure.

  • Ecarte-toi gamin ! Laisse-moi m’occuper de ça, grogna-t-il de la voix renfrognée qu’il prenait lorsqu’il se trouvait devant un cas difficile.

Sans discuter, Illias lui obéit et alla rejoindre son frère dans l’autre chambre. Il le trouva inquiet, se mordant nerveusement la lèvre. Nathaniel ne pouvait s’empêcher de penser avec appréhension à ce qu’il ferait si malgré tous leurs efforts, le jeune homme venait tout de même à mourir.

De son côté, le guérisseur auscultait son jeune patient ; et une chose était sûre, les choses allaient vraiment mal. Car malgré toutes ses connaissances, malgré tout son savoir, il ne parvenait pas à soigner la plaie. Elle s’infectait à une vitesse effarante et le blessé devenait de plus en plus pâle, mais ses yeux ne s’ouvraient plus. Il était prisonnier d’un monde de peur et de douleur, sa conscience s’effaçait dans des abîmes insondables qui le consumaient entièrement de l’intérieur. C’en était rageant. La solution miracle se faisait toujours attendre et l’odeur de la mort commençait à se répandre dans la pièce, signe de la fin imminente du gamin malgré les efforts de Nathaniel.

– Bon sang, tu vas guérir oui ? Je ne suis pas sorti de chez moi aujourd’hui pour avoir un nouvel échec retentissant sur la conscience. Vis ! Vis tu m’entends ?

Évidemment, l’autre ne pouvait pas répondre, mais cet accès de colère dévoilait une faiblesse, une faille dans la cuirasse de rugosité du vieillard. Son dernier échec lui venait en mémoire, il se rappelait de cette jeune femme qu’il n’avait pas pu sauver, cette jeune femme qu’il n’avait pas su arracher aux griffes de la mort. Et tout son être, tout son esprit se rebellait à l’idée d’avoir à subir cette épreuve à nouveau. Non, il n’affronterait pas à nouveau le visage narquois de la Faucheuse lui ravissant un de ses patients. Il ne la laisserait pas gagner. Un flux d’adrénaline traversa son corps tandis qu’il observait à nouveau ce corps froid et aux prises avec la mort. Quelque chose lui échappait, quelque chose d’essentiel, de vital. Cela faisait trois jours que les gamins avaient récupéré le corps dans la forêt, or trois jours suffisaient à une plaie pour s’infecter. Cependant, celle-ci était toujours aussi claire et nette qu’au moment où elle avait été infligée. De plus, les sillons irréguliers et l’étrange aura de peur qui s’en dégageait laissaient présager une chose : cette blessure n’avait rien de naturel. Il y avait même fort à parier qu’elle ait été infligée par cette créature qui sévissait de l’autre côté de la forêt…or si c’était le cas, comme le soupçonnait le guérisseur, une seule chose pouvait sauver le gamin et cette chose était en lui. Un sourire satisfait éclaira son visage. Il savait quoi faire, il savait comment faire pour ramener ce gamin. Posant ses deux mains sur la plaie, il commença à psalmodier :

  • Je fais appel à toi, ô esprit des anciens guerriers. Toi qui sais les raisons de l’être et du non-être, toi qui peut tout et n’aide que les braves, porte assistance à ce garçon durant sa lutte contre les forces malfaisantes de la peur ! Donne lui la force de surmonter les abysses et de revenir parmi les vivants ! Viens je t’invoque, esprit de victoire, guerrier auréolé de gloire et de puissance !

Un vent violent se leva alors. Il ouvrit d’un seul coup toutes les fenêtres, brisant les carreaux dans un immense et extraordinaire hurlement. Alarmés, les deux garçons accoururent dès qu’ils l’entendirent. Ils ouvrirent la porte à la volée et restèrent interdits, frappés de stupeur devant ce prodige quasi divin. Le vieillard, lui, souriait d’un air tranquille et satisfait. Son invocation avait réussi, il allait sauver ce gamin et récupérer sa dignité. Le vent continuait de souffler tandis que, comme jaillissant de la plaie, une sorte de pestilence noire s’échappa dans l’air et disparut, emportée vers d’autres lieux. La plaie commença à se refermer, la gamin commença à reprendre des couleurs. C’était fini.

Avec un soupir d’épuisement, le vieillard s’affala sur le lit ; de grosses gouttes de sueur coulaient de son front et inondaient sa tunique, ses mains. Une grande lassitude s’était emparée de son corps tandis qu’il appréciait la plénitude de sa réussite. De leur côté, les deux jumeaux, toujours muets de stupéfaction finirent par reprendre leurs esprits. Illias s’avança vers le blessé et jeta un regard à sa blessure, guérie. La peau était fine et blanche, comme si il n’y avait jamais rien eu à cet endroit.

– Comment avez-vous fait ça ? S’enquit-il.

Le vieux ne répondit pas, ce n’était pas nécessaire. Ce gamin n’avait pas besoin de comprendre, pas plus qu’il n’avait besoin d’explications. Ramassant sa besace remplie de remèdes, il se leva, jeta un dernier regard à la pièce, puis avec un léger hochement de tête, s’en alla. Alors qu’il allait passer le seuil de la porte, une voix l’interpella :

– Vous ne m’avez toujours pas dit votre nom.

Il sourit. Le gamin aurait un avenir prometteur devant lui, s’il savait suivre les signes envoyés par le sort.

– Ce n’est toujours pas nécessaire, répondit-il sans se retourner.

– Dans ce cas permettez au moins que je vous remercie, reprit la voix de Nathaniel.

– Cela non plus n’est pas nécessaire. Reviens me voir à l’occasion, on verra ce qu’on fera de toi.

Et le vieillard disparut comme il était venu, simple ombre tirée d’une époque dont il n’était jamais vraiment reparti, il retournait à son silence et sa solitude, il retournait se murer dans une maison que personne ne viendrait plus visiter…jusqu’à ce que Nahaniel revienne bouleverser ses habitudes.

Voilà qui clôt l’extrait actuellement disponible de ce roman que je trouve plutôt encourageant. Prochainement, je négocierai pour vous le Prologue et le Chapitre Premier.

Arnaud