Léa, une nouvelle écrite par Abigail

LEA

Léa leva les yeux de son portable. Le bus était arrivé à son arrêt. Avec un soupir, elle enfonça les écouteurs dans ses oreilles et se leva. L’automne touchait à sa fin et sur les arbres nus quelques feuilles se balançaient, au rythme des bourrasques de vent. La nature elle-même semblait morte. En descendant du bus, Léa songea à l’enfer de ce lundi qu’elle allait devoir affronter. A l’horizon s’entassaient des nuages noirs. Dans le ciel de Léa aussi. Que des soucis, des moqueries…

Elle enclencha la musique de son téléphone. Des airs aux accents rock résonnèrent dans ses oreilles. De toute façon, il valait mieux cela qu’entendre leurs commentaires blessant.

En marchant dans la rue, elle se demandait s’ils se rendaient compte du lent travail de démolition qu’ils accomplissaient en elle. Petit à petit, la confiance et l’estime de soi avaient disparus, suivi de son sourire et de sa joie de vivre. Tout avait commencé à son arrivée dans un nouveau lycée. Elle avait déménagé.

Dès le départ, Léa avait su qu’elle n’était pas la bienvenue. Malgré les sourires et les « bonjour ! » enthousiastes qu’elle leur adressait, ils avaient commencés à se moquer d’elle. A les entendre, elle avait la peau trop claire, le mauvais sac, des chaussures passées de mode… Pourtant, dans son ancien établissement, tout allait bien. Elle avait des amis, elle était heureuse, elle sortait durant le week-end au lieu de rester enfermer dans sa chambre en pleurant. Ensuite étaient venus les coups. Au départ, un coup de coude en se retournant, puis on l’avait plaqué contre le mur à la sortie, et maintenant on la suivait chez elle en la menaçant. Son corps était constellé de bleus qu’elle s’efforçait de dissimuler sous ses habits. Léa n’avait rien dit à ses parents. Qu’aurait-il pensé ? Qu’elle était faible ? Qu’elle ne savait pas se défendre ? Non, tout sauf cela.

Arrivée devant le lycée, Léa songea un instant à faire demi-tour. Elle entra quand même et s’assit dans un coin, seule. Les élèves arrivaient progressivement. On les voyait déjà se moquer de Léa. Ils la montraient du doigt, et chuchotaient entre eux. La jeune fille ferma les yeux pour ne plus les voir, et essaya de se concentrer sur la musique qui sortait de ses écouteurs. Peine perdue. Sous ses paupières, ils étaient encore là.

Soudain, la sonnerie égrena son timbre rêche. Léa se leva et entra dans sa classe. Son professeur n’était pas encore arrivé. En allant s’asseoir au fond, elle remarqua un garçon du premier rang. Alex. Même si il ne lui avait jamais parlé, Léa espérait qu’un jour il fasse cesser ses moqueries. Au fond, c’était le seul qui n’y avait pas pris part. Une voix la tira de ses pensées :

-Eh toi ? Qu’est-ce que tu fais encore ?

-Toujours en train de mater des mecs ?

Léa serra les dents. Surtout, faire comme si de rien n’était. A ce moment-là, Alex ce retourna et s’écria :

-De qui ? La grosse ?

Léa n’était pas grosse, elle était même plus fine que la plupart des filles de sa classe. Le premier reprit :

-Eh ouais, on l’a surpris en train de te regarder. Au fait, quand est-ce que tu te décides à commencer un régime, toi ?

Les élèves riaient bêtement. Léa, elle, aurait voulu disparaître.

Tout d’un coup, elle sentit qu’on lui enlevait sa chaise. Elle tomba par terre au milieu des rires et des moqueries. Les larmes commencèrent à couler. Maintenant, elle  ne faisait plus rien pour les cacher. Son petit monde s’écroulait. Elle pleurait, pendant que les autres riaient. Un élève s’approcha d’elle, le bras en l’air, près à la frapper.

Soudain, la porte claqua, et le professeur entra. En voyant Léa en train de pleurer par terre, elle se figea :

-Que faites-vous à cette jeune fille ? demanda-t-elle, menaçante.

-Rien madame ! Elle est tombée, alors on l’aide à se relever, répondit l’élève, qui tirait Léa par la manche.

-Ah tant mieux. Vous êtes bien gentil. Bon, reprenons. Il me semble que l’on étudiait les vecteurs…

Le cours continua sans que Léa n’y prenne part. Ses larmes coulaient lentement le long de ses joues. Des larmes d’impuissance, de douleur, de peur. Pour elle, tout lui semblait noyé dans un brouillard opaque. Elle ferma les yeux, et se laissa porter par cette brume blanchâtre qui envahissait peu à peu son champ de vision.

Les jours passaient, apportant chacun leur lot de moqueries et  de coups. Léa les endurait sans rien dire. De temps en temps pourtant, sa carapace se fendillait et elle ne pouvait s’empêcher de pleurer. Seule, comme d’habitude.

Elle souffrait. Tous les matins, se lever de son lit était une épreuve. Sans cesse, cette douleur sourde dans la poitrine, ce sentiment affreux de solitude battait doucement, en même temps que son cœur torturé.

En cours, elle restait comme hébétée, sans rien dire. Elle paraissait totalement fermée, hermétique. Comme si elle était entourée d’une bulle que personne ne pouvait briser. Ses parents ne voyaient rien. Elle ne leur disait rien, et leur cachait tout.

Pourtant, un soir où les insultes avaient été plus blessantes qu’avant, et les coups plus forts, Léa rentra chez elle anéantit. Pendant qu’elle marchait, elle laissa ses larmes trop longtemps retenu couler le long de ses joues meurtries.

En arrivant chez elle, elle n’avait plus la force d’affronter le dîner avec ses parents. Elle prétexta un mal de tête pour aller s’enfermer dans sa chambre.

Sa mère, inquiète, lui cria à travers la porte fermée :

-Veux-tu que j’aille te chercher de l’aspirine ?

Léa, en larmes sur son lit, se dit qu’elle ne pouvait plus vivre comme cela. C’était continuer de souffrir, ou bien mourir. Cette idée se développa peu à peu en elle, jusqu’à s’imposer. De toutes façons, n’avait-elle pas envie qu’ils arrêtent ? Après, ce serait fini.

Elle sauta, aussitôt sur ses pieds. L’aspirine…

-Maman ? Je vais chercher l’aspirine moi-même !

-D’accord, Léa, repose toi bien.

Dans l’armoire à pharmacie, elle prit des boîtes de médicament au hasard, et rentra dans sa chambre les bras chargés. Elle déposa tout sur le lit.

La jeune fille, un verre d’eau à la main, regarda les comprimés bariolés. Elle prit une profonde inspiration et les avala, un par un. Elle saisit ensuite une feuille et un stylo, et écrit une lettre à ses parents. Elle raconta tout, dénonça les coupables.

Finalement, la jeune fille s’étendit sur son lit, jeta un dernier regard à sa chambre, puis ferma les yeux. Sa respiration devenait de plus en plus irrégulière.

Quelques heures plus tard, la mère de Léa monta dans la chambre de sa fille pour prendre de ses nouvelles. Elle trouva la jeune fille étendue sur son lit. Son cœur avait déjà cessé de battre, et plus aucun souffle ne sortait de sa bouche. C’était fini.

par Abigail, sde 4