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Chroniques du confinement: partie 1 – Le confinement – dehors

Posted by on 11 avril 2020

Je n’en ai pas tout de suite été consciente. Mais le regard des autres me l’a bien fait comprendre.

« Je suis une menace ».

Quand on est une femme d’1,50m et qu’on est plutôt souriante, c’est un changement de paradigme assez violent.

Bien sûr, dès le dimanche 15 quand un violent mal de crâne m’a cloué au lit tout l’après-midi avec des courbatures dans tout le corps et la nuque raidie, je me suis demandée si je l’avais attrapé. A moins que ce ne soit la grippe. Comment savoir ? Ma première pensée a été vers les personnes proches de moi que j’aurais pu infecter et qui sont particulièrement à risque en raison de leur âge ou de leur état de santé. De premières angoisses m’ont assaillies.

Le thermomètre indiquait 37,6°C. Pas non plus de quoi paniquer. Le soir, le nez légèrement bouché, j’ai quand même bien dormi. Le lundi plus rien. A part cette petite contraction autour du coeur. Comme une péricardite légère mais présente. Le mardi tout a disparu. Mais je suis fatiguée quand même. Habituellement, ce genre d’épisode, j’appelle ça une « attaque de grippe ». Je l’ai toujours attribué à la grippe annuelle qui aurait fait un essai d’incursion dans mon corps mais sans succès.

Mais là, évidemment, j’ai un doute.

Je suis amenée à me déplacer un peu autour de Villejuif pour des raisons personnelles. J’ai visité plusieurs quartiers et d’autres villes. Quelles différences d’ambiance entre les uns et les autres !

Contrairement à ce qu’on aurait pu croire, connaissant les Français, je trouve que le confinement est bien respecté et les gens prennent plutôt bien les consignes de sécurité, même si manifestement les réflexes ne sont pas encore là. Comme cette vielle dame qui porte un masque chirurgical dans la rue et qui en passant la porte du magasin s’essuie les pieds et le descend sur son cou. Comme si c’était un chapeau qu’il fallait ôter par politesse en entrant quelque part.

A l’Epi d’or, le Lidl est vraiment bien achalandé. Je m’interroge, c’est un tel contraste avec le centre ville. Pas de queue pour entrer. Il y a à peu près de tout. Est-ce que les foyers les moins riches n’ont pas paniqué ? Est-ce que ils n’avaient pas assez d’argent pour faire des réserves ? Ou Lidl est particulièrement réactif pour réapprovisionner ses magasins ?

Dehors, ça zone encore pas mal en petit groupe mais on voit quand même les efforts pour se tenir plus loin les uns des autres ou pour éviter les « checks » et autres poignées de mains qui durent trop…Quelques jours plus tard, il n’y aura presque plus personne.

Autres lieux, autres mœurs.

Fresnes. Je déteste cette ville. Je déteste ses habitants – j’espère qu’il n’y a pas trop de Fresnois de coeur parmi les lecteurs… Evidemment je généralise, il y a en a des sympas aussi, des Fresnois !

Bref, médecin et pharmacie. Je sors l’artillerie lourde. Un masque FFP2 de ma réserve personnelle. Certainement périmé depuis plusieurs années. Mais FFP2 quand même. Je m’affuble donc de mon bec de canard avant de sortir de la voiture.

Y’a déjà un médecin qui est en quatorzaine dans le cabinet médical. Pas de secrétaire non plus. Echanges éloignés, rapides et efficaces avec le médecin. Entre canards on se comprend vite.

Je me dirige ensuite vers la pharmacie. Je me place devant la porte pour voir si je peux entrer. Aussitôt placée, aussitôt apostrophée.

– « Eh, mais faut pas vous gêner, vous pourriez faire la queue ! »

Interloquée, je me retourne.

« J’étais là avant vous ! »

– « Euh, désolée, j’ai cru que vous faisiez la queue pour la supérette ».

Je me place derrière elle. Elle me suit du regard, me toise puis aboie :

– « Vous avez un masque, vous ! »

– « Euh oui… »

– « Comment vous l’avez eu d’abord ? » ajoute-t-elle d’un ton soupçonneux et agressif

« Je croyais que c’était réservé aux soignants. Hein comment vous l’avez eu ? »

Je suis tellement surprise par cette question que j’hésite à lui répondre que je l’ai volé au médecin – juste pour voir sa tête.

– « Oui c’est réservé aux soignants, on peut pas en acheter. J’en avais quelques-uns chez moi parce que j’ai travaillé dans l’industrie ».

– « Ah bon » dit-elle d’un ton déçu. Je crois que je lui ai cloué le bec. Mais non. « Et tous ces gens qui sont jeunes et bien portants ils ont un masque, hein, comment ils en ont eu ? hein ? Alors que moi, je suis vieille et j’en ai même pas. » recommence-t-elle à vociférer.

J’ai envie de lui dire qu’en attendant, elle postillonne partout à parler comme ça et elle s’agite trop donc si le virus est dans le coin, elle va l’inspirer encore plus goulûment. Je m’abstiens.

On l’appelle pour entrer.

Ah, Fresnes ! On s’y sent toujours bien accueilli…

Le vrai second choc c’est à Cachan. Dans un magasin d’alimentation en bas de bâtiments déjà plus cossus. Je suis une des rares à porter un masque. Dans les rayons, les gens me regardent inquiets et m’évitent de manière plus ou moins ostentatoire. Une cliente hésite même à passer, comme si elle allait se brûler. Les rayons sont plutôt vides ici aussi. Comme à Villejuif en centre-ville. Je ne comprends pas tout de suite pourquoi je leur fais peur. Puis je me souviens du discours imbécile que j’ai entendu la veille « seules les personnes malades ont besoin de porter un masque ! ». Comment peuvent-ils asséner un conseil pareil alors qu’ils viennent de nous expliquer qu’il y a quelque chose comme 30 % au moins de personnes asymptomatiques mais contagieuses et qu’on peut être contagieux avant d’avoir les premiers symptômes ! La communication de crise de nos responsables politiques a déjà du plomb dans l’aile…

Mais donc voilà, pour les habitants d’ici, quand tu portes un masque tu es malade, un pestiféré au sens propre et figuré. La caissière se lave énergiquement les mains avec une lingette désinfectante après mon passage en caisse.

« Je suis une menace ».

Je vois une amie à qui j’apporte quelques courses. On sait pas trop comment faire pour éviter les contacts. Finalement on va discuter avec moi masquée dans la voiture et elle dehors avec une écharpe sur la bouche. Elle aussi pense qu’elle l’a attrapé. Elle a peur de me le donner. Elle aussi est devenue une menace. Moi j’ai surtout peur pour elle et pour ses enfants. Sont pas tous très solides dans la famille.

Je rentre chez moi. Je suis en train de comprendre, vraiment comprendre que « je suis une menace ». Et les autres aussi.

Aurélia Hurtique

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