Tout effet de serre mis à part…

par Robert Timon

Même s’il évoque pour partie la mémoire de Joseph Fourier; les assertions polémiques de cet article n’engagent que son auteur. La Société Joseph-Fourier a pour but d’honorer la mémoire et les travaux de Joseph Fourier (1768-1830) ; elle n’a pas vocation à prendre position dans les débats qui agitent le XXIe siècle.

Note : Cet article est sous-tendu par huit questions (et un peu plus) à Chat GPT que l’on pourra lire questions/réponses in-extenso ou avoir le plaisir de les découvrir au fil des liens (ce qui sera plus délectable pour les gourmets).

à l’époque de Fourier

Joseph Fourier était peu disert sur ses états d’âme et il ne s’est pas étendu sur les motivations intimes de travaux qu’il a entrepris. Il a produit des calculs qui permettaient d’établir l’âge de la Terre. Il s’est abstenu de les exploiter, nous l’avons déjà relaté ici.

James Hussher (1581-1656)

Quelles étaient donc les motivations intimes de Joseph Fourier ? En ce début de XIXe siècle, l’idée commune quant à l’âge de la Terre s’alignait sur les calculs de James Husser (1581-1656) qui détermina que « la Création eut lieu dans la nuit précédant le dimanche 23 octobre 4004 avant Jésus-Christ ». Le savoir populaire, les religieux et les scientifiques s’accor-dant sur une origine à partir de matières en fusion, un esprit rationnel en vient très vite à s’interroger : « Si 5 800 ans ont permis à une masse en fusion de se refroidir, combien de temps reste-t-il avant qu’un froid insupportable s’installe sur l’ensemble du globe ? »

Les quatre premières lignes du Discours préliminaires à La Théorie de la Chaleur fixent d’emblée les ambitions : « Les causes primordiales ne nous sont point connues ; mais elles sont assujetties à des lois simples et constantes, que l’on peut découvrir par l’observation, et dont l’étude est l’objet de la philosophie naturelle. »

Joseph Fourier ne reviendra plus sur les « causes primordiales », s’en tenant à l’étude des lois découvertes par l’observation.

Au début du XIXe siècle, la crainte était surtout le refroidissement du globe terrestre consécutif à une perte de la chaleur terrestre vers les espaces sidéraux. Heureusement, ce refroidissement n’est pas aussi net que redouté et Joseph Fourier a expliqué pourquoi en 1827 dans son étude : « Mémoire sur les températures du globe terrestre et des espaces planétaires », posant les bases de la climatologie et de ce qui est devenu plus tard l’Effet de serre.

Pour ce qui est des « causes primordiales », ChatGPT, tout en habillant sa réponse d’un savoir élaboré au XXe siècle n’est pas très explicite. [ChatGPT Question 1]

Cependant, l’observation pourrait rassurer les contemporains de Joseph Fourier qui auraient craint l’installation d’un froid universel : les mesures de températures concordent pour annoncer un réchauffement, c’était déjà le cas en 2021, aujourd’hui, en 2023, la tendance ne s’est pas démentie. [ChatGPT Question 2]

Le rôle de l’activité humaine…

L’analyse du consensus universel laisse entrevoir un raccourci « la principale cause du réchauffement climatique /…/ en raison des émissions de gaz à effet de serre qu’elles entraînent. » [ChatGPT Question 3] qui sous-entend une conclusion fallacieuse « puisque l’électricité que j’utilise est majoritairement nucléaire et n’émet donc pas de carbone, je peux la consommer sans retenue… avec une voiture à hydrogène, je pourrai rouler sans retenue, limite, ni mauvaise conscience ! »

Raisonnement qui fait fi des milliards d’années nécessaires pour la désintégration de l’uranium naturel, [ChatGPT Question 4] ce qui n’est pas le cas de l’uranium enrichi utilisé dans les réacteurs avec des réactions en chaîne pour accélérer le processus. Quant à l’hydrogène, qu’il soit produit ou non avec l’aide de l’électricité, il est loin d’être propre. [ChatGPT Question 5]

Tout gaz à effet de serre mis à part, qu’elle est la part du réchauffement climatique qui est liée à l’augmentation de la consommation d’énergie ? [ChatGPT Question 6] En brûlant, sans considérer les gaz produits, le pouvoir calorifique moyen du pétrole est d’environ 42 à 45 mégajoules par kilogramme [ChatGPT Question 7]. Ainsi, tout gaz à effet de serre exclu, les 70 m³ de kérosène nécessaires pour un Paris-New-York [ChatGPT Question 8] vont libérer au bas mot, directement à la sortie des tuyères 70 000 x 40 MJ (28 x 105 MJ). Les gaz à effet de serre ne viendront qu’ensuite pour ralentir le refroidissement naturel que Fourier craignait tant.

Un calcul du même ordre appliqué à un véhicule électrique (avion ou voiture) réputé non polluant devrait aboutir à des résultats du même ordre de grandeur.

L’idée dominante aujourd’hui est de trouver de l’énergie, encore plus d’énergie (car personne ne propose un schéma sans énergie ou même à consommation d’énergie décroissante). Quelle que soit sa source (soyons fous : imaginons le réacteur ITER mis au point dès aujourd’hui), si elle est terrestre, cette production d’énergie apportera à la Terre un supplément de chaleur qui amplifiera un mouvement maintenant si sensible qu’il n’est plus contesté.

Joseph Fourier et ses contemporains peuvent être rassurés : le refroidissement de la Terre n’est pas pour demain !

[Note annexe, Fourier qui est allé en Égypte à la force du vent irait sans doute aujourd’hui à New-York en A 320 dont la chaleur des réacteurs ferait fondre un peu moins de 100 kg de glace (supposée à 0°C). [ChatGPT Question 9]

Il ne prendrait pas le vol retour, [ChatGPT Question 10] car il saurait calculer que les 90 litres d’eau à 0°C obtenus par la fonte de la glace à l’aller seraient vaporisés avant même qu’il survole Terre-Neuve. Et si nous avions assez d’imagination pour songer à une piscine olympique pleine d’une eau à 0°C, il saurait nous rétorquer qu’à l’arrivée à Paris les 2 500 mètres-cube contenus par la piscine seraient portés à près de 27°C… [ChatGPT Question 10b] et que la banquise polaire, tant quelle existe, est un amortisseur thermique d’une remarquable efficacité.]

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Rafraîchissant

Merci à la chorale du collège Robert Le Frison, de Cassel pour

ces dix minutes rafraîchissantes (cliquez pour les retrouver sur YouTube ).

(Nous n’avons pas entendu citer Joseph Fourier à qui ce blog est dédié, mais la chorale du collège Robert le Frison a de beaux jours devant elle…Smilie: ;)

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Fourier d’hier à aujourd’hui

Dès 1808, Joseph Fourier avait clairement en tête les principes de sa théorie analytique, même s’il lui faudra attendre 1822 pour en voir une officialisation imprimée avec la publication son ouvrage « La Théorie analytique de la chaleur », présenté àau jugement de l’Académie en 1811. Dans un premier temps, l’œuvre de Fourier n’a pas rencontré l’enthousiasme de Laplace et de Lagrange ; les deux mathématiciens majeurs du XVIIIe siècle étaient sceptiques sur la méthode, sans pourtant y trouver de vice de raisonnement, ils l’ont reçue par défaut sans la comprendre intimement.

Dans la suite du XIXe siècle, les mathématiciens ont été de plus en plus convaincus de la pertinence et de l’intérêt du point de vue de Fourier, mais les applications qu’ils pressentaient se heurtaient au mur de calculs nécessaires lors du calcul des transformées. Pour contourner le problème, certains (Helmhotz, Kelvin, Michelson…Smilie: ;) ont élaboré des machines qui, mécaniquement, donnaient les résultats inaccessibles autrement, faute d’une puissance de calcul suffisante.

Coradi réalisa plusieurs machines sur commande. Un exemplaire de ces analyseurs se trouve sur les rayons du Musée de l’École Polytechnique ; un autre plus élaboré et précis, est détenu par le Bassin d’essais des carènes (Ministère de la défense, Chaussée du Vexin) où il fut en service jusque vers 1930.

Un analyseur de Coradi

Sur le portail de l’École polytechnique, Aurélien Genin présente un exemplaire réalisé récemment à l’aide d’une imprimante 3D.

La réplique moderne de l’analyseur ci-dessus

« L’analyseur Coradi est une machine entièrement mécanique qui permet de calculer les coefficients du développement en séries de Fourier d’une fonction.

Un exemplaire en est conservé au mus’X. Dans le cadre du cours d’Histoire des sciences et techniques de Frédéric Brechenmacher, une modélisation en 3D en a été faite, ainsi qu’une reproduction de l’appareil.

Très utile avant le développement des calculateurs informatiques, il servait par exemple, comme l’a montré le Mathouriste, pour la prédiction des marées , en extrayant la transformée de Fourier des mesures de hauteur d’eau.

Ce modèle a connu de nombreuses modifications et améliorations au fur et à mesure de l’avancée de la fabrication…. »

La suite est à lire sur le portail de l’École Polytechnique.

Merci à Alain Juhel pour sa veille technologique

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Un cours retrouvé

Le cours retrouvé de Fourier

Séminaire « Histoire des Mathématiques »

Laboratoire Paul Painlevé (UMR 8524)1 de l’Université de Lille,

vendredi 7 avril 2023, 13:00 – 14:00

par Alain Juhel, membre de la Société Joseph Fourier

Salle visiconconférence, M3

On connaît bien des détails de la vie de Joseph Fourier. Malgré le soin qu’il a mis à effacer tout élément personnel des papiers qu’il a laissés, ce qui subsiste permet de reconstituer assez précisément son agenda. Une recherche patiente permet de combler les vides qui subsistent et d’avancer encore un peu.

Lorsque la Révolution se déclenche, Joseph Fourier, professeur enthousiaste enseigne au collège d’Auxerre ; sélectionné pour suivre les cours de l’École Normale de l’An III, il est remarqué et recruté par Monge pour enseigner à l’École Polytechnique nouvellement créée ; c’est ainsi qu’il enseigne à la première promotion, 1794-95. Arago déplore dans son éloge que contrairement aux principes adoptés ensuite, ce cours n’a pas été publié au journal de l’École. Quelques fragments en étaient connus, mais on vient de découvrir un manuscrit plus complet mystérieusement conservé dans les papiers de Joseph Bertrand, légués à l’Institut par sa veuve. Le cours n’est pas de la main de Fourier, mais de celle d’un élève non identifié et ce n’est pas la seule interrogation qu’il suscite… Jamais étudiées jusqu’ici, ces notes brutes révèlent des informations inédites sur un style d’enseignement, dans lequel on perçoit déjà la pédagogie du rédacteur de la Théorie Analytique de la Chaleur, soucieux d’aménager la progression dans la difficulté. Il contient un joyau : la preuve d’irrationalité de e, dont on ne pensait pas qu’il existât de trace écrite. Or, si elle revient effectivement à l’encadrement issu de la série entière de l’exponentielle (version connue par le recueil d’exercices de Janot de Stainville, présenté et commenté sur le site de la bib-num), l’approche de Fourier est différente et, loin de s’inscrire en rupture avec la méthode d’Euler exploitant un développement en fraction continuée, elle la prolonge avec une grande élégance.

Dans son intervention annoncée pour le 7 avril, Alain Juhel s’efforcera de donner une vision d’ensemble des leçons, suivie de la présentation de cette perle arithmétique.

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1Le Laboratoire Paul Painlevé est situé dans les bâtiments M2 et M3 du campus « Cité Scientifique » de l’Université de Lille, sur la commune de Villeneuve d’Ascq, accessible en véhicule et par les transports en commun.

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Quand Fourier éclaire l’IA

     Reconnaissance, analyse, fabrication d’images, aide au diagnostique, analyse et fabrication de discours… l’Intelligence Artificielle (IA) présente de résultats bluffants dans des domaines variés. Ces résultats sont obtenus en fournissant aux logiciels des données déjà analysées (deep learning) qui lui permettent ensuite de donner des résultats qui respecteront les règles de construction des données d’apprentissage.

     Une équipe de l’Université Rice (Texas) se préoccupe d’aller au-delà de l’utilisation de cette ‘boîte noire’ et de comprendre le fonctionnement des logiciels d’IA. Nous proposons ci-après la traduction d’un communiqué de presse dont l’original est ici en anglais.

La « boîte noire » de l’IA n’a pas de secret pour une méthode vieille de 200 ans.

La transformation de Fourier révèle comment un réseau neuronal à apprentissage profond apprend la physique complexe

     L’un des outils de calcul les plus anciens de la physique -une technique mathématique vieille de 200 ans connue sous le nom d’analyse de Fourier- peut révéler des informations cruciales sur la façon dont un procédé d’intelligence artificielle appelé réseau neuronal profond (deep neural network) apprend à effectuer des tâches relevant d’une physique complexe, telle que la modélisation du climat et de la turbulence.

Les chercheurs de l’Université Rice ont entraîné un modèle d’intelligence artificielle, appelé réseau neuronal d’apprentissage en profondeur, à reconnaître des flux complexes d’air ou d’eau et à prédire leur évolution au fil du temps. Ces images montrent les différences substantielles d’échelle des motifs caractéristiques que le modèle rencontre pendant la phase d’apprentissage (en haut) et ceux qu’il apprend à reconnaître (en bas) pour effectuer ses prédictions. (Image reproduite avec l’aimable autorisation de P. Hassanzadeh/Rice University)

      Ce sont des chercheurs en génie mécanique de l’Université Rice qui sont à l’origine de cette découverte, présentée dans une étude en libre accès publiée dans PNAS Nexus, une publication sœur des Actes de l’Académie nationale des sciences. « Il s’agit du premier cadre rigoureux pour expliquer et guider l’utilisation des réseaux de neurones profonds pour des systèmes dynamiques complexes tels que le climat », a déclaré le professeur Pedram Hassanzadeh. qui a supervisé ces travaux. « Cela pourrait accélérer considérablement l’utilisation de l’apprentissage profond (deep learning) en climatologie, et conduire à des prévisions du changement climatique beaucoup plus fiables. »

     L’article qu’il a écrit avec deux anciens étudiants, Adam Subel et Ashesh Chattopadhyay, et un chercheur postdoctoral associé, Yifei Guan, détaille leur utilisation de l’analyse de Fourier pour étudier un réseau neuronal d’apprentissage profond conçu et entraîné à la reconnaissance des flux complexes de fluides (air en dynamique atmosphérique, eau en dynamique des océans) et de prédire leur évolution temporelle.

     Selon Hassanzadeh, leur analyse a révélé « non seulement ce que le réseau de neurones avait appris, mais encore permis de relier directement cet acquis à la physique du système complexe qu’il modélisait », ajoutant : « Les réseaux de neurones profonds sont abominablement difficiles à comprendre, ce qui fait qu’on les considère souvent comme des boîtes noires  C’est l’une des principales préoccupations liées à leur emploi dans les applications scientifiques. L’autre est leur capacité d’adaptation :  ces réseaux ne peuvent pas fonctionner pour un système différent de celui pour l’apprentissage duquel ils ont été entraînés. »

     Subel, qui a piloté l’étude, précise : ce cadre pourrait être utilisé en le combinant avec des techniques d’apprentissage par transfert (transfer learning) afin de « permettre la généralisation et, en fin de compte, accroître la crédibilité de l’apprentissage scientifique en profondeur ».

     Il s’agit donc pour eux « d’ouvrir la boîte noire , de regarder à l’intérieur pour comprendre ce que les réseaux ont appris et pourquoi, et permet également de relier cela à la physique du système étudié ».

     Le peu de résultats des nombreuses études antérieures pour révéler comment ces réseaux apprennent à faire des prédictions, a poussé Hassanzadeh, Subel, Guan et Chattopadhyay à aborder le problème sous un angle différent. « Les outils d’apprentissage automatique courants pour comprendre les réseaux de neurones n’ont pas montré beaucoup de succès pour les applications aux systèmes naturels ou d’ingénierie, du moins pour que les résultats puissent être connectés à leur physique. », a déclaré Hassanzadeh. « Alors nous nous sommes dit :  Faisons quelque chose de différent. Utilisons un outil familier dans l’étude de la physique et appliquons-le à celle d’un réseau de neurones qui a appris à faire de la physique ».

     À ce titre, l’Analyse de Fourier, introduite par l’auteur en 1807 et publiée en 1822, est rapidement devenue l’outil de prédilection des physiciens et mathématiciens pour identifier par leur fréquence des motifs dans l’espace et le temps. « Les gens qui font de la physique regardent presque toujours les données dans l’espace de Fourier », a-t-il poursuivi. « Cela facilite la compréhension de la physique et des mathématiques. »

La formation efficace de réseaux de neurones profonds nécessite une grande quantité de données, et le fardeau du recyclage, avec les méthodes actuelles, est toujours important. Après avoir formé et recyclé un réseau d’apprentissage en profondeur pour effectuer différentes tâches impliquant une physique complexe, les chercheurs de l’Université Rice ont utilisé l’analyse de Fourier pour comparer les 40 000 noyaux des deux itérations et ont découvert que plus de 99 % étaient similaires. Cette illustration montre les spectres de Fourier des quatre noyaux qui différaient le plus avant (à gauche) et après (à droite) le réentraînement. Les résultats démontrent le potentiel de la méthode pour identifier des voies de recyclage plus efficaces qui nécessitent beaucoup moins de données.

(Image reproduite avec l’aimable autorisation de P. Hassanzadeh/Rice University)

    Par exemple, un relevé de la température extérieure pendant un an, minute par minute, est une chaîne de 525 600 nombres : les physiciens nomment série chronologique un tel ensemble de données. Après transformation dans l’espace de Fourier, on obtient un autre ensemble de 525 600 nombres, contenant les mêmes informations, mais sous une forme assez différente, car seuls quelques uns d’entre eux auraient une valeur non négligeable. Graphiquement, au lieu de la lente variation de la température, on ne verrait que quelques ?pics? sporadiques signalant chacun un des rythmes importants de cette évolution, l’un journalier, quelques autres liés aux saisons… outre la grande économie en volume de données, cela éclaire chacun des moteurs de cette évolution. Subel commente le premier :

     « L’un serait un cosinus de période 24 heures, qui représenterait le cycle diurne des hauts et des bas. Ce signal était là tout au long de la série chronologique, mais l’analyse de Fourier vous permet de le repérer facilement, et il en irait de même pour les autres. Plus généralement, elle met en évidence ces types de signaux à la fois dans le temps et dans l’espace. »

     En s’appuyant sur cette méthode, les scientifiques ont développé des outils de filtrage, analogiques puis numériques. Par exemple, les transformations passe-bas éliminent le bruit de fond et les filtres passe-haut font l’inverse, permettant de se concentrer sur l’environnement.

     Hassanzadeh et son équipe ont d’abord appliqué la transformation de Fourier au modèle d’apprentissage profond, après son apprentissage complet. Ses quelque 1 million de paramètres agissent comme des multiplicateurs, qui appliquent plus ou moins de poids aux entrées des neurones, ce qui, par somme, influencera (ou non) le déclenchement du neurone par dépassement d’un seuil convenu.

     Dans l’état initial du réseau, les paramètres ont des valeurs aléatoires. Ceux-ci sont ajustés et affinés au fur et à mesure de la phase d’apprentissage. Pendant celle-ci, l’algorithme est confronté à des cas aux résultats connus, et apprend progressivement à parvenir à des prédictions de plus en plus proches des résultats attendus. Structurellement, les paramètres du modèle sont regroupés dans quelque 40 000 matrices cinq par cinq, dénommées noyaux.

     « Lorsque nous avons pris la transformée de Fourier de l’équation, cela nous a dit que nous devrions regarder la transformée de Fourier de ces matrices », a déclaré Hassanzadeh. « Nous ne le savions pas. Personne n’avait jamais fait cette étude auparavant, regardé les transformées de Fourier de ces matrices et essayé de les relier à la physique. Et lorsque nous l’avons fait, il est apparu que ce que le réseau neuronal apprend est une combinaison de filtres passe-bas, de filtres passe-haut et de filtres Gabor. Et ce qui est magnifique là-dedans, c’est que le réseau de neurones ne fait rien de magique. Il ne fait rien de fou ; il fait ce qu’un physicien ou un mathématicien auraient pu essayer de faire. Bien sûr, sans la puissance des réseaux de neurones, nous ne savons pas comment combiner correctement ces filtres. Mais quand on parle de ce travail aux physiciens, ils adorent ça. Ils disent « Oh! Je sais ce qui se passe. C’est ce que le réseau de neurones a appris. Je le vois. »

     Subel pense que leurs découvertes auront des conséquences importantes dans l’apprentissage en profondeur, et suggère même que certaines choses que les scientifiques ont apprises en étudiant l’apprentissage automatique dans d’autres cadres, comme la classification des images statiques, peuvent ne pas s’appliquer dans un contexte scientifique. Et de conclure : « Nous avons constaté, dans la littérature sur l’apprentissage automatique, que certaines des connaissances et des conclusions obtenues dans des travaux sur des applications commerciales et médicales, par exemple, ne se transfèrent pas à de nombreuses applications critiques en science et en ingénierie, telles que la modélisation du changement climatique. Ce qui, en soi, est d’une portée majeure. »

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Fourier et l’enseignement

Extrait de l’éloge de monsieur Philibert Joseph Roux (1780-1854)

prononcé en 1854 par monsieur Frédéric Dubois

« … M. Roux naquit à Auxerre, le 26 avril 1780. Son père, maître en chirurgie, jouissait dans cette ville d’une considération méritée ; grâce à de longs services, il y avait obtenu la place de chirurgien en chef de l’Hôtel-Dieu et de l’école militaire.

Philibert Roux

Philibert Roux, espiègle élève de Fourier

Cette école, justement célèbre, était dirigée par des religieux de l’ordre savant et éclairé de Saint-Benoît, le jeune Philibert y fut admis, et c’est là qu’il suivit les leçons du futur secrétaire perpétuel de l’Institut d’Égypte et de l’Académie des sciences, de Joseph Fourrier [sic].

Philibert était un écolier fort dissipé, mais d’une humeur si franche et si ouverte, qu’elle lui gagnait tous les cœurs, sauf cependant celui de son père qui n’augurait rien de bon d’un enfant aussi léger et aussi volage : une mère eût été plus indulgente, mais notre écolier avait perdu la sienne de fort bonne heure.

La révolution s’était fait sentir à Auxerre comme partout ; l’école militaire y était devenue un collège national, les élèves n’en continuaient pas moins d’y suivre les leçons de Fourrier [sic] : leur jeune et savant professeur n’ayant point prononcé de vœux, n’avait eu qu’à déposer l’habit de Saint-Benoît pour rentrer dans l’ordre laïque. Sa retraite eût été, dans ces temps de désorganisation, une véritable calamité ! Il suffisait à tout : on le vit enseigner successivement les mathématiques, la philosophie, la rhétorique et l’histoire générale.

Quant à notre futur collègue, s’il continuait à se distinguer, ce n’était guère que par la vivacité de son esprit et par une ardeur sans égale pour les jeux de son âge ; grâce cependant à la plus heureuse facilité, il se maintenait presque toujours au premier rang parmi ses condisciples. Mais son père n’en était pas plus satisfait ; il ne pouvait croire que les succès obtenus ainsi sans efforts et presque sans travail fussent de bon aloi et durables : aussi, se croyant en face d’une éducation complètement manquée, il crût devoir renoncer à l’idée qu’il avait toujours eu de faire de son fils un ingénieur des ponts et chaussées, et obligé, à son grand regret, de se rabattre sur sa propre profession, il résolut du moins d’en faire un bon et utile chirurgien, comme il l’était lui-même. Pour l’initier aux premières notions de son art, il lui fit suivre ses visites à l’Hôtel-Dieu, et l’exerçait chaque jour à ce qu’on appelle les petites opérations de la chirurgie. … »

Fourier et l’enseignement

Ces souvenirs d’un ancien élève de Fourier, s’ils ne sont que de seconde main sont prononcés par un protagoniste assez proche de la source pour qu’on y accorde foi. Ils invitent à reconsidérer la position de Fourier face à l’enseignement.

Saint-Benoît-sur-Loire une école prestigieuse de la congrégation de Saint-Maur

1787 : Élève du collège militaire d’Auxerre, Joseph Fourier est le prototype du bon élève et ce que l’enseignement d’Ancien Régime pouvait produire de mieux. Sa basse extraction ne lui permettant pas d’accéder à une carrière militaire, il se destine à être clerc de Saint-Benoît-sur-Loire pour devenir ensuite professeur. Au vu de la suite, si l’enseignement pouvait attirer Joseph, le sentiment religieux le laissait indifférent.

La fermeture de Saint-Benoît a été une étape sans être une rupture dans la carrière de Joseph Fourier qui continuera à cultiver sa passion pour l’enseignement.

1789 : La convention décrète la fermeture des établissements religieux. Saint-Benoît sur-Loire est fermé. Religieux, convers, novices, maîtres et élèves doivent cesser leurs activités. Joseph Fourier (novice, mais on lui donne encore tout de même du « monsieur l’abbé ») revient à Auxerre en effervescence. Joseph Fourier n’abandonne pas son souci d’enseigner. Au collège «  Sa retraite eût été, dans ces temps de désorganisation, une véritable calamité ! Il suffisait à tout : on le vit enseigner successivement les mathématiques, la philosophie, la rhétorique et l‘histoire générale » ; très actif à la Société d’émulation, en 1790 il propose, au public adulte, une conférence sur Benjamin Franklin. Mais sa plongée dans la mêlée révolutionnaire ira jusqu’à se faire des ennemis (Ichon à Orléans en 1793), En janvier 1794, il demandera à être affecté à la conservation des lettres et du patrimoine du département de l’Yonne (en retrait de l’action donc, ce qui ne l’empêchera pas d’être inquiété et de risquer sa tête).

Fin 1794 : Il est retenu pour suivre les cours de l’École Normale de l’an III.

Mai 1797 : Joseph Fourier, professeur à l’École Polytechnique, présente un mémoire au colonel Catoire pour organiser un enseignement des professeurs en alternance entre Paris et Metz et augmenter le rayonnement de l’école.

Mars 1798 : Monge réussit à convaincre Fourier de le suivre avec quelques élèves dans une mystérieuse opération à l’étranger. On peut supposer que Monge tabla sur l’intérêt pédagogique de l’expérience pour séduire l’enseignant.

1798-1801 : En Égypte, Fourier, secrétaire de l’Institut du Caire, continue à donner des cours aux élèves de Polytechnique qu’il a amenés avec lui et qui seront examinés par un jury présidé par Monge. Il publie des résultats mathématiques (mécanique générale – 1798 , méthodes d’élimination des inconnues – 1799 …Smilie: ;).

1805 : de retour en France, Fourier est, dès 1802, nommé préfet de l’Isère. Apparemment, de 1802 à 1815, il ne s’occupe plus d’enseignement ; derrière les apparences on peut penser que l’intérêt de l’enseignement persiste chez le préfet pourtant occupé à de nombreuses tâches.

Les universités ont chacune son histoire particulière ; certaines très anciennes (Paris, Montpellier, Douai-Lille, Bordeaux), d’autres récentes, voire très récentes. Leur création se fait hors de tout cataclysme pendant des périodes de calme et de prospérité sans grand lien avec des événements politiques majeurs.

Le 1er novembre 1805, Napoléon, entre Ulm et Austerlitz, signe le décret de création de l’Université de Grenoble. On peut penser que comme pour la route du Saint-Gothard, Fourier a profité des liens tissés en Égypte pour obtenir la signature de l’Empereur, anticipant largement les décisions qui organisent l’enseignement supérieur (loi du 10 mai 1806, décrets de mars 180Smilie: 8).

Faute d’une étude complète, préfecture par préfecture, on peut conjecturer, qu’entre asséchement des marais de Bourgoin et création de la route menant de Grenoble à l’Italie, la création de l’Université semble bien être l’émanation du souci qu’a Joseph Fourier de créer les conditions d’un enseignement de qualité et qu’elle lui est spécifique.

l’Institut de France

1816-1830 : Après les Cent-jours, Fourier est en disgrâce. Il le sait et doit s’y reprendre à deux fois avant d’être reçu à l’Académie des Sciences. S’il avait des idées sur l’organisation de l’enseignement, elles ne seraient pas entendues. Loin de l’exécutif, c’est depuis l’Institut, en toute discrétion, qu’il va se préoccuper du développement de la connaissance et satisfaire ses désirs intimes de promotion du savoir. Il tirera parti des contacts que lui permettront ses postes de secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences, puis de membre de l’Académie Française, pour pousser les jeunes talents.

Avant la passion de la recherche, désir d’apprendre et souci de transmettre sont restés, toute sa vie, le fil directeur des préoccupations de Joseph Fourier ; on ne peut les dissocier.

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Fourier honoré

Le quotidien l’Yonne Républicaine donne le 27 décembre 2022 des informations concernant l’actualité de Joseph Fourier. Juste 200 ans après la publication, en 1822, de son monumental traité « La Théorie analytique de la chaleur » qui allait fonder l’analyse mathématique sources de découvertes et d’utilisation fondamentales à la fin du XXe et en ce début de XXIe siècle, la mémoire du savant continue d’être honorée comme le montre la restauration de sa tombe.

Page 1 : Joseph Fourier va retrouver son buste au Père Lachaise

PATRIMOINE. Dans le courant du premier trimestre 2023, le buste du mathématicien et physicien auxerrois devrait à nouveau trôner sur sa sépulture au sein du cimetière du Père-Lachaise, à Paris. Des passionnés et des mécènes se mobilisent pour faire réaliser une sculpture identique à celle disparue depuis de longues années.

Voir PAGE 5

l’annonce en ‘une’.

l‘article de Marc Charasson en page 5 :

Yonne Actualités

PATRIMOINE : Le buste avait disparu de la sépulture du mathématicien auxerrois au cimetière du Père-Lachaise

Fourier va bientôt retrouver sa tête

Au cimetière du Père-Lachaise, à Paris, Joseph Fourier devrait retrouver son buste, disparu depuis très longtemps, début 2023.

Marc Charasson écrit :

Le mathématicien et physicien auxerrois Joseph Fourier (1768-l830) est enterré à Paris, au Père-Lachaise. Sa sépulture alimente les nombreuses anecdotes narrées par les guides du cimetière.

Pendant plusieurs dizaines d’années, le buste qui trônait sur sa tombe n’était pas le sien mais celui du docteur bourguignon François Chaussier. Il avait été emprunté à une tombe voisine pour remplacer la tête de Fourier, disparue mystérieusement depuis des lustres.

Un buste identique à l’abbaye St-Germain

Ce n’est plus le cas depuis le mois de mars. La Ville de Paris a fait procéder à la restauration de la sépulture de Fourier et en a profité pour enlever le buste du docteur. Des passionnés se mobilisent en coulisses pour que le mathématicien retrouve sa tête.

Tadeusz Sliwa, le président de la société des Amis de Joseph Fourier, évoquait déjà ce projet en 2018, « Nous avons retrouvé dans des archives à Paris de nombreux détails sur la tombe de Fourier et sur le buste datant de 1830. Nous avons retrouvé le même à Auxerre, conservé dans les réserves de l’abbaye Saint-Germain ! » L’association a missionné le sculpteur icaunais François Gilles afin qu’il réalise un moulage, au cours de l’été.  » L’original était en plâtre bronzé, précise Tadeusz Sliwa. Là, c’est une résine. François Gilles a réalisé un travail de qualité. Il s’occupe actuellement des finitions et travaille sur la patine bronze.

Une cérémonie à Paris, en début d’année,

Le coût de cette réalisation devrait avoisiner les 1 800 euros. Le projet a été en partie financé par la société des Amis de Joseph Fourier. « Trois mécènes nous accompagnent : l’Académie des sciences, la Société mathématique de France et le club des enseignants et chercheurs EEA. »

Une cérémonie devrait être organisée au Père-Lachaise « dans le courant du premier trimestre 2023 », pour marquer le retour du buste de Joseph Fourier après tant d’années d’absence.

Note (15/02/2023) : Les opérations nécessaires pour obtenir la copie du buste conservé au Musée d’Auxerre sont décrites sur le site de la Ville d’Auxerre (télécharger directement le pdf ici).

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Fourier et les Champollion

Une façon d’inventer ?

Joseph Fourier et la chaleur,

les Champollion,

légyptologie et le déchiffrement des hiéroglyphes

Jean Dhombres, mathématicien et historien, EHESS

jean.dhombres@ehess.fr

Résumé du texte complet, incluant les illustrations, disponible en pdf, ici

     Je tente la difficile tâche d’indiquer une sorte de façon commune d’inventer qu’on appelle analyse et synthèse, à partir de deux auteurs, le mathématicien physicien Joseph Fourier qui a établi les équations de diffusion de la chaleur et le savant linguiste Jean-François Champollion dont on connaît le succès pour le déchiffrement des hiéroglyphes, et qui fut aidé par son frère aîné. Bien sûr je juxtapose des situations savantes bien différentes, mais je peux le faire dans la mesure où les deux hommes se rencontrèrent, Fourier étant préfet à Grenoble au moment où le jeune Champollion commençait au lycée à se passionner pour les langues en vue de penser le déchiffrement des hiéroglyphes. Une date alors les réunit, l’année 1822, devenue pour nous un bicentenaire : c’est celle de la publication de la Théorie analytique de la chaleur par Fourier, et c’est aussi celle de la publication de la Lettre de Champollion à Dacier dans laquelle il explique son déchiffrement à partir des noms grecs lus sur la pierre de Rosette découverte par le polytechnicien Bouchard en 1799, et présentée à Fourier à l’Institut d’Egypte. Car Champollion et Fourier, tous les deux ont connu la terre d’Egypte, l’un avant son travail scientifique, et l’autre après avoir réussi le déchiffrement. Voilà bien des mots et des faits qui peuvent étonner aujourd’hui, et on peut en faire un récit, plusieurs en fait, en faisant vivre les conditions intellectuelles et idéologiques de l’après Révolution, des Lumières aussi à transmettre en un Orient qui voit la conquête comme une nouvelle croisade, les gens qui la mènent ayant remplacé la religion par le progrès scientifique.

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Fourier aujourd’hui

Une présentation du professeur Sliwa.

Le 8 octobre 2022, à Auxerre, dans le cadre de l’exposition présentée dans la salle des conférences du Musée Saint-Germain, le professeur Sliwa fait une présentation de l’actualité de Joseph Fourier. Pour la visionner, vous pouvez la télécharger à votre choix :

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Pierre Bouchard

découvreur de la Pierre de Rosette

Par Ahmed Youssef

conférence donnée le 8 octobre 2022 à Auxerre devant la Société Joseph-Fourier

[Ce texte a été réduit pour les besoins de la mise en ligne ; le texte complet de monsieur Youssef est à télécharger ici.]

Né en 1771 à Orgelet, alors village blotti dans les hauteurs du Jura avec sa somptueuse église fortifiée et sa fière tour qui ressemble à un phare plutôt qu’à une sentinelle, l’enfant Bouchard aurait contemplé cette tour tendue vers le ciel comme une passerelle entre ciel et terre. N’y a -t-il pas ici le début d’une passion vers la balbutiante aérostatique qui le mena vers l’école polytechnique à Paris, puis en Égypte ?

Pierre François Xavier, fils de Pierre BOUCHARD, maître menuisier, demeurant à Orgelet et de Pierrette JANNET, est né en légitime mariage le 29 avril 1771 et a été baptisé le même jour ; ses parrain et marraine ont été François Xavier CHAVET d’AUGISEY et Marie Claudine BOUCHARD ; M C BOUCHARD -F X CHAVET – MENOUILLARD, prêtre [http://archives39.fr/ark:/36595/a011541691344zU3uAy/9d6316177b]

l’église d’Orgelet

Cette église est étrangement fortifiée avec une grande enceinte et de nombreux dispositifs et motifs de défense comme si le dogme avait besoin d’épouser l’architecture.

Ainsi, l’homme qui offrira à l’antiquité égyptienne une seconde vie, comme Champollion lui donna une voix, restera un soldat qui ne savait faire que son métier de militaire à l’ombre de ce Bonaparte qu’il a côtoyé au Caire et à Rosette et qui est devenu ce Napoléon qui fit trembler le monde.

Ce soir du 19 juillet 1799, Bonaparte préparait en catimini son retour en France, la ville de Rosette, dernier point dans le Delta ou le Nil se jette en Méditerranée, se préparait, elle, pour son rendez-vous avec cet orgelétain de 27 ans. La ville portuaire était riche, plus riche encore que le Caire et qu’Alexandrie, grâce à son commerce florissant avec Venise, Naples et Marseille et grâce à tous ces consuls européens qui habitaient ces somptueuses maisons aux briques rouge ocre. En effet, parmi toute la misère infligée à l’Égypte par l’occupation Ottomane depuis 1517, seule Rosette vivait dans l’opulence et le luxe à tel point que Chateaubriand dira quelques années plus tard, en 1805, que Rosette lui semblait être le paradis sur terre.

Il ne faut pas oublier le général Menou, commandant de la place de Rosette, qui venait de se convertir à l’islam et de se marier à une belle fille de notables de la ville, Zoubida. Bouchard décide de transférer la lourde stèle de 800 kilos jusqu’au quartier général de Menou.

C’est dans ce cadre de richesse et d’euphorie collective (un mariage traditionnel en Égypte dure une semaine) que la Pierre atterrit chez le général Menou qui prend alors trois grandes décisions :

– transférer la Pierre à l’Institut d’Égypte au Caire

– prendre, par précaution, l’emprunte des inscriptions en trois langues gravées sur la Pierre

– charger Bouchard en personne d’escorter la Pierre avec ses soldats par le Nil jusqu’au Caire.

     Ainsi, Bouchard porta sa découverte comme on porte son bébé au baptême. Comme Bouchard, le destin de son bébé tournera court pour tomber rapidement dans les mains des Anglais triomphants en Égypte. Ils prendront, curieusement, et Bouchard et la Pierre comme prise de guerre. Ils vont ramener Bouchard jusqu’à Marseille mais la Pierre, elle, va être expédiée à Londres où elle confère au British Muséum une aura toute particulière.

 

I : Un pionnier de l’aérostat

Fils de menuisier dans un milieu rural et austère, Bouchard a connu la faim et la difficulté de s’instruire. Mais, il n’avait point la crainte du lendemain, il avait une raison d’être : entrer dans l’armée comme on entre en religion. En effet, Bouchard a su très tôt, mesurer sa misère, ne pas la laisser le ronger.

Après un passage obligé au collège d’Orgelet, il complète des études par deux années de philosophie et de mathématiques à Besançon. « dans la première de réquisition de 1793, Bouchard, qui n’avait que 22 ans est nommé sergent major d’une compagnie de grenadiers à Paris »1

Bouchard res tera toute sa vie fidèle à son métier de militaire, une fidélité qui ne lui était pas souvent malheureusement redevable. Quiconque s’élèvera, dit le proverbe, sera abaissé, et quiconque s’abaissera sera élevé. Malheureusement, Bouchard a opté pour la seconde voie mais les circonstances ne l’ont pas aidé à y aller jusqu’au bout. Sa compagnie sera vite appelée pour s’engager dans les difficiles fronts de la Champagne et de la Belgique En août 1794, Bouchard est envoyé à la 2e compagnie d’aérostiers.

La France révolutionnaire découvrait alors cette arme nouvelle qui pourrait donner à ses armées un avantage décisif sur les coalitions des monarchies européennes contre elle2. Après un stage rapide d’un mois, il est affecté à la toute nouvelle école nationale aérostatique à Meudon. Le directeur de l’école n’est autre que le célèbre Conté qui jouera dorénavant et jusqu’à la fin de ses jours le rôle du guide-protecteur. Cette amitié qui a commencé à Meudon, elle les propulsera jusqu’au pied des Pyramides.

Nicolas-Jacques Conté était de seize ans l’aîné de Bouchard. Être directeur d’une école d’excellence n’était que le fruit de sa renommée fulgurante dans le monde des innovations : la physique, la mécanique, la chimie, l’anatomie et la peinture dans cette France qui cherchait obstinément le moindre génie dans ses rangs pour vaincre les ennemis de sa révolution.

Le comité de salut public songea alors à l’utilisation de l’aérostat dans les opérations militaires. Les regards sont alors tournés vers ce jeune inventeur passionné de mécanique aérostatique. Conté est d’abord chargé de former une commission de savants spécialistes. Il y intègre Bouchard, et, lorsque Conté est appelé à diriger la première école d’aérostation, il fera nommer Coutelle (l’observateur de Fleurus, une autre grande figure inventive de l’époque) et Bouchard directeurs adjoints. Un boulevard s’ouvre alors devant l’enfant d’Orgelet.

Le célèbre portrait de Conté que le graveur Robert de Launay nous a légué est marqué par ce bandeau couvrant un œil. L’histoire nous raconte que Bouchard était lié à l’incident de laboratoire qui causa la perte de l’œil de Conté puisqu’ il y était présent et a failli, lui aussi, perdre ses yeux. Le destin lui a peut-être épargné un tel malheur pour son rendez vous avec son aventure égyptienne. Un peu avant l’aventure égyptienne, que les deux amis de l’école d’aérostation vont entamer ensemble, Conté a inventé le crayon à mine de graphite que nous utilisons encore aujourd’hui, sans savoir combien cette invention aller bouleverser le monde du dessin, de la géométrie, et surtout, de la démocratisation de l’écriture à l’aube de la deuxième révolution qui pointait alors : la révolution industrielle.

Il se trouva que Conté et Coutelle furent intimement liés à deux autres vedettes de la science parisienne, Monge et Berthollet, créateurs de l’école Centrale des Travaux publics, qui apportèrent avec enthousiasme leur concours aux expériences de Conté non seulement sur l’aérostatique mais aussi sur la poudre. Lorsque Bonaparte, au lendemain de son retour triomphant d’Italie en 1797, chargea Monge, Berthollet et Fourier de recruter une pléiade de savants pour l’expédition d’Égypte, ils pensèrent alors aux deux amis de l’école de Meudon. Commencera alors, pour les deux, leur belle virée égyptienne.

II : Le voyage en Egypte

Au lendemain de la Révolution, la France manquait cruellement d’ingénieurs et de cadres supérieurs. A l’instigation de Gaspard Monge et quelques savants ralliés aux idées de la Révolution, le Comité de salut public créé la Commission des travaux publics (décret du 21 ventôse an II, 11 mars 1794). Les savants se voient confier la mission d’organiser une nouvelle école centrale des travaux publics. Le 7 vendémiaire an III, 28 septembre 1794, l’école est créée mais peu de temps après, elle est rebaptisée l’École polytechnique .

Le 21 novembre 1796, Bouchard est admis à cette prestigieuse école grâce, peut-on penser, à une certaine intervention dont le crédita son mentor, Nicolas Conté3. Il y suivit, entre autres, toujours sous l’œil de Monge et de Berthollet, des cours sur les techniques de fortifications. C’est son excellence dans cette spécialité qui fera de lui le fortificateur par excellence en Égypte et ailleurs, par la suite. Et c’est par l’art des fortifications qu’il trouvera sa gloire en Égypte le jour où il dirigera les travaux de fortifications du Fort Julien (ou Jullien) à Rosette.

Le 6 germinal an VI (26 mars 179Smilie: 8), Letourneux, le ministre de intérieur, reçoit de Bonaparte une liste de personnes auxquelles il faut donner l’ordre d’être prêts à partir . Les noms de Monge, Berthollet, Fourier et Conté y occupent les premières places4

Le 13 germinal an VI (2 avril 179Smilie: 8), Monge reçoit directement une lettre de Bonaparte lui demandant de tout faire pour s’accaparer de l’imprimerie arabe de la Propagande (du Vatican), « dussé-je remonter le Tibre avec l’escadre pour vous prendre », lui dit il5.

Le 20 avril de la même année, Bouchard est affecté à l’armée d’Orient. Bonaparte fera à plusieurs reprises allusion à lui en Égypte.

Vers Alexandrie avec Kléber

On sait bien que Bonaparte qui occupait le navire amiral l’Orient, s’est attaché définitivement Monge et Berthollet. A bord, pendant la traversée en Méditerranée, les discussions portaient souvent sur l’histoire et, souvent, sur l’avenir. Le souvenir d’Alexandre le Grand n’est pas loin. Seul bémol de jalousie l’âge de son maestro. En effet, le général en chef de cette belle Armée d’Orient avait 29 ans alors que son mythique prédécesseur grec n’avait, au moment de la conquête de la terre des pharaons, que 26 ans.

Les questions d’âge sont toujours sujets à moqueries quand on s’appelle Napoléon et quand on a sous ses ordres des généraux plus âgés. En effet, pas loin du navire amiral, Orient, séparé par quelques grosses vagues et vents chauds en ce fin juin 1798, se trouvait Le Franklin, navire du ténébreux strasbourgeois et général sans rêve mais grand militaire dans l’âme : le général Kléber. Les liens affectifs vont rapidement se créer entre Kléber et Conté, et par conséquent, avec Bouchard. D’ailleurs, des trois commandants en chef de l’armée d’Orient (Bonaparte, Kléber et Menou) le seul qui va citer nommément Bouchard dans sa correspondance, avec sa qualité de découvreur de la Pierre de Rosette, c’est Kléber. Les deux autres se contentent d’y faire accidentellement allusion lorsqu’il est question de génie militaire ou d’inspection dans le lac Manzaleh.

III : A l’ombre de l’Institut d’Égypte

l’Institut d’Égypte

     Pendant que Bouchard coulait des jours heureux dans la chaleur estivale d’Alexandrie sous l’ombrelle protectrice de Kléber devenu commandant de la place d’Alexandrie, et de Conté, retenu provisoirement par Kléber, Bonaparte signe, le 5 fructidor an VI ( le 22 août 179Smilie: 8) l’arrêté historique créant l’Institut d’Égypte6. Bouchard est désigné (certainement par Monge ou Berthollet puisque Conté était encore entre Alexandrie et Rosette) membre de la commission dans le groupe des aérostiers de Nicolas Conté. Comment ne pas choisir Conté dont Monge disait qu’il a « toutes les sciences dans la tête et tous les arts dans la main »7.

Bouchard reste à Alexandrie jusqu’au 7 septembre où il est enfin convoqué au Caire par la Commission des sciences et des arts. Premier pas sur la route de Rosette.

Avant la découverte de la Pierre de Rosette qui ne surviendra que dans dix mois, Bouchard doit affronter, en tant qu’élève en polytechnique, sa première mission scientifique dans dans l’immense lac Menzaléh sous les ordres du général Andréossy et passer son examen de sortie devant un jury de prestige présidé par Monge en personne.

Cette mission de recon­naissance du plus grand lac d’Égypte couvrant tout l’espace entre Damiette et Port Saïd (qui n’existait pas encore évidemment) offrit à Bouchard deux grands rendez-vous avec l’histoire : travailler sous les ordres du très respecté et influent général Andréossy (cela lui servira par la suite au lendemain des évènements dramatiques du siège d’El Arich, on le verra). Ensuite, à deux reprises, d’être l’objet d’une allusion à son travail dans le génie par Bonaparte.

En effet, c’est Bonaparte qui désigne l’équipe qui va à l’exploration du Menzaléh. Dans la lettre adressée au général Caffarelli, le 28 fructidor an VI (14 septembre 179Smilie: 8), on lit « je donne ordre, citoyen général, au général Andréossy de se rendre à Damiette. Je vous prie de lui fournir deux ingénieurs géographes (non identifiés), un officier des Ponts et Chaussées (Jean Baptiste Simon) deux jeunes gens de l’école polytechnique » (ce sera Bouchard et Pottier)8

Il est difficile d’étaler ici les résultats scientifiques, militaires et économiques de cette reconnaissance dans ce lac réputé (encore aujourd’hui) très riche en ressources mais aussi, abri de toutes sortes de criminels, rebelles, politiques en fuite, et encore, avec ses poissons géants et ses moustiques. Bonaparte en était tellement satisfait qu’il commandera, le 21 brumaire an VII, (11 novembre 179Smilie: 8), la même équipe pour explorer le lac Burlos9.

A Menzaléh, il restera 40 jours et sera surtout contraint de rentrer au Caire pour passer, vers mi-novembre, son examen de sortie de l’École polytechnique devant un jury présidé par Monge. Succès. Bouchard est promu, le 28 novembre 1798, lieutenant de génie de 2e classe. Il a 27 ans. Il quitte la commission des sciences pour rejoindre définitivement l’armée. Il sera militaire le restant de sa vie. Il servira Bonaparte en Égypte puis Napoléon dans des guerres européennes. Mais avant tout cela il a un rendez vous avec l’histoire. On va l’envoyer à Rosette.

IV : La découverte de la Pierre de Rosette, quelques interrogations.

La ville de Rosette offrait aux visiteurs comme aux habitants un luxe exceptionnel. Blottie sur l’embouchure du Nil, avant que celui-ci se jette dans la Méditerranée, entourée de quelques millions de palmiers-dattiers, la petite ville égyptienne contrastait considérablement avec le reste du pays.

C’est dans ce cadre que le lieutenant du Génie, Bouchard, est affecté depuis juin 1799 dans le bataillon de Génie de Rosette sous les ordres du Capitaine d’Hautpoul (Charles Marie Benjamin 1772-1853) mais aussi de l’ingénieur des Ponts et Chaussées Michel-Ange Lancret (1774-1807) qui sera, par la suite, commissaire du gouvernement près la commission d’édition de la Description de l’Égypte). Les trois sont placés sous les ordres du général Menou, commandant de la place de Rosette qui, on l’a vu, venait de se convertir à l’islam et de se marier à une fille d’un notable de la ville. Généreux, Menou se servait des richesses de la ville pour conforter sa popularité dans sa province et consolider son autorité dans l’armée.

Le vieux général Menou avait en effet cette aménité qui faisait de lui une figure de à la fois militaire et paternelle. Depuis qu’il a donné l’ordre à d’Hautpoul d’effectuer des travaux de fortification dans le fort de Qaït bey, rebaptisé, on l’a vu, Fort Jullien, le général Menou suivit de près ces travaux afin d’en rendre rapidement compte à l’état major au Caire. Mais le général Menou qui était occupé surtout par les interminables cérémonies festives de mariage qui durent depuis début juillet lorsque, le 19 au soir, Bouchard lui apporta la stèle que ses manœuvres égyptiens ont retrouvée lors du terrassement de la cour du Fort. L’intuition de l’orgelétain avait en effet sauvé in extremis la stèle des pioches des ouvriers.

Bouchard avait deviné l’importance archéologique de cette stèle qu’on appellera désormais la Pierre de Rosette. Menou ordonna immédiatement le transfert de la Pierre à l’Institut d’Égypte au Caire sous escorte commandée par Bouchard en personne. Avant ce voyage de Rosette au Caire par le Nil, Menou ordonne Bouchard, Lancret et d’autres, de prendre l’emprunte des inscriptions sur la Pierre.

Dans le djerme qui transporte la pierre, on peut imaginer des conversations à l’infini entre Bouchard et Lancret sur l’histoire de l’Égypte et l’Institut dont ce dernier était membre. Rappelons que Bouchard n’était plus dans la commission des sciences et des arts depuis le 15 novembre 1798. Ce petit détail, ce grain de sel, changera complètement la suite des événements, car, à l’arrivée au Caire, c’est Lancret qui fera le discours (ou fera lire sa lettre sur la Pierre devant les membres de l’Institut dont les trois anciens maîtres de Bouchard : Monge, Berthollet et Conté, et non pas Bouchard.

Un autre événement heureux se passait pas très loin de l’embarcation de la Pierre. En route vers le Caire, dans le Nil de Rosette, Bouchard et Lancret entendirent le fracas des canons de la bataille terrestre d’Aboukir ou Bonaparte écrasa les Ottomans le 25 juillet .

Au Caire, la séance historique du 29 juillet 1799, l’Institut était tellement euphorique suite aux deux événements, la découverte de la Pierre et la victoire d’Aboukir, que Monge décida d’y inviter quelques membres du Divan du Caire dont le célèbre cheikh Al Mohdi10.

Après cette journée mémorable à l’Institut, Bonaparte donna l’ordre à l’amiral Ganteaume (Honoré Joseph Antoine 1755-1818 commandant des forces navales en Égypte) de préparer, dans la discrétion totale, son retour en France. Comme si le général Bonaparte avait besoin de ces deux victoires qui étaient à l’image de sa conquête (à savoir, scientifique et militaire) pour pouvoir rentrer dans le pays avec des trophées multiples pour asseoir sa légende. Dans la toute première séance de l’Institut de France à laquelle il a assisté, Bonaparte, devenu consul à vie, place la découverte de Bouchard en tête de la liste des « gains » de l’expédition. Ce prestige archéologique fut nécessaire pour son projet impérial, aussi nécessaire que son triomphe militaire sur les Turc.

V : Bouchard, révélateur de légendes

A la fin du mois d’octobre 1798, le commandant des armes d’Alexandrie, Dumanoir Le Pelley, informa Bonaparte de la recrudescence des mouvements de croiseurs anglais devant Alexandrie. Craignant un débarquement sur les côtés égyptiennes, Bonaparte ordonna le renforcement et l’armement des côtes dont le fort Jullien à Rosette11.

Il s’agissait d’une citadelle maritime que le sultan mamelouk Quaït Bey (1416-1396) avait construit à Alexandrie12.

Que raconte la Pierre de Rosette ? C’est un autre Ptolémée qui laissa, par le hasard des entrepreneurs, la stèle qui porte son décret à la connaissance de son peuple égyptien. Il s’agissait du pharaon Ptolémée V, Épiphane (210-180 avant notre ère), descendant direct des deux Ptolémée du Phare d’Alexandrie. Comme si Bouchard, de par sa découverte, avait réuni la dynastie des Ptolémée à celle du grand sultan Qaït Bey. Rien donc ne doit en nous étonner si Bonaparte, lui aussi futur souverain d’Égypte, est appelé par les Égyptiens « le sultan el-kebir », le grand sultan.

Ce n’était pas un hasard si Bonaparte, fraîchement élu Consul rangea, dans son premier discours à l’Institut de France, on l’a vu le 27 novembre 1799, la Pierre de Rosette parmi les trois « gains » de l’expédition d’Égypte (avec le projet de percement de l’isthme de Suez et les fouilles d’Alexandrie).

 

VI : Bouchard, héros médiatique et prisonnier des Ottomans.

Cette séance à l’Institut d’Égypte du 29 juillet consacrée à la Pierre de Rosette fut annoncée au monde dans le journal francophone du Caire, Le Courier (sic) d’Égypte le 29 fructidor an VII (15 septembre 1799), numéro 37. On peut y lire : « cette Pierre offre un grand intérêt pour l’étude des caractères hiéroglyphiques ; peut être en donnera-t-elle la clef ». Ainsi le ton est donné et le monde entier est désormais averti de ce trésor entre les mains des savants de l’armée française d’Égypte.

Aussitôt, le jeune Jomard (1777-1862), ingénieur géographe qui sera le maître d’œuvre de la publication de la Description de l’Egypte et jouera un rôle considérable par la suite dans les relations entre l’Egypte de Mohamed Ali et La France de Napoléon et ses successeurs) se mit à dessiner fidèlement les inscriptions tandis que Joseph Marcel, directeur de l’imprimerie y appliqua sa méthode de l’autographie pour obtenir une reproduction du texte que le général Dugua rentrant en France, à la fin d’octobre, communiqua à l’Institut de France. C’est par cette copie de l’Institut d’Égypte que Champollion percera, plus tard, le mystère des hiéroglyphes.

D’autres méthodes de reproduction avaient été mises au point par Nicolas Conté (le cuivre gravé) et on peut imaginer que son ami Bouchard avait assisté à ces expériences. Adrien Raffeneau-Delille (1773-1845, ingénieur des ponts et chaussées), lui, réalisa un moulage à base de souffre.

Revenons à la presse, car, pendant que les savants de l’Institut d’Égypte rivalisaient pour réaliser la reproduction non seulement la plus fidèle mais surtout la plus facile, l’impact de l’annonce du journal Le Courier d’Égypte suscita une multitude d’échos à Paris.

Le premier apparaît dans le journal Le Rédacteur, numéro 1376 du 2 vendémiaire an 8 (24 septembre 1799 ) qui n’oublia surtout pas Bouchard comme découvreur mais cita aussi le général Menou et le lieutenant d’Hautpoul. Pour le journal, la découverte de Rosette est une affaire collective suscité par l’audace d’un seul héros : le lieutenant Bouchard.

Un autre quotidien parisien consacre un reportage sur cette Pierre de Rosette qui suscite tant de curiosité dans l’opinion. Le Journal de Paris donne les détails de la découverte de Bouchard le 17 janvier 1800. Le jour même, son concurrent parisien La Gazette Nationale fait la part belle à Bouchard à sa découverte.

Où était le lieutenant Bouchard pendant ce temps où son nom devenait synonyme de grand conquérant des civilisations anciennes ? Il se trouvait au cœur de la bataille dont dépendait le sort de l’armée française en Égypte, et au delà, tout le symbole d’une présence française en Orient. Dans un autre fort, moins célèbre et surtout moins glorieux que celui de Rosette où il trouva la Pierre : le fort d’El Arich, à l’extrémité du désert du Sinaï égyptien. Il subissait des Ottomans, les affres d’un siège atroce qui se termina dans un bain de sang.

Bonaparte rentré en France, le 23 août, c’est Kléber qui lui succède dans un climat de désarroi total. Kléber n’avait envie que de rentrer avec son armée en France et mettre fin à ce qu’il pensait une aventure montée de toute pièce pour la gloire de Bonaparte. Il décida d’entamer des négociations de capitulation avec les Ottomans et les Anglais. Dans la confusion ou par mauvaise foi, les Ottomans pressés de reprendre l’Égypte aux Français, mettent le siège devant El Arich le 29 décembre 1799. La ville antique d’Al Arich (ou d’El Arich comme l’écrivait Bouchard) est située sur les frontières de l’est égyptien, dans le Sinaï. Elle fut le théâtre de toutes les invasions terrestres de l’Égypte. Parmi les plus célèbres, citons celles de Cyrus, d’Alexandre le Grand, de Pompée et de Bonaparte lui même qui l’a prise, en route vers sa conquête de la Palestine.

Le pire viendra lorsque les soldats de la garnison française du fort refuseront de combattre. Dans l’espoir ou l’illusion d’être graciés par l’assiégeant ottoman, certains soldats français jetteront même des cordes pour permettre aux assiégeants turcs de pénétrer facilement dans le fort ; situation dramatique qui augure mal l’issue du combat. Coup de théâtre, devant une telle situation, le général Cazals (Louis Joseph Élisabeth 1774-1813) commandant de la place, désigne Bouchard comme parlementaire auprès des assiégeants. L’homme de la Pierre de Rosette, le polytechnicien parisien, l’inventeur d’aérostats va parlementer avec de rudes d’adversaires. Bouchard était-il au courant de cette parabole turque « qui veut parlementer est prêt à se rendre » ?. Les Ottomans, auraient-ils entendu parler de cet officier français dont tout Paris parle ? Les Anglais qui épaulaient les Ottomans dans leur reconquête de l’Égypte recevaient toute la presse française. Le nom de Bouchard devient en soi un enjeu politique. Les Turcs ne changeront de toute façon pas leur nature de prédateurs politiques à l’égard de la garnison française. A peine arrivé à leur camp, Bouchard est arrêté et considéré comme un prisonnier de guerre.

Bouchard est immédiatement envoyé en prison à Damas où il restera quarante jours. Étrange sort réservé à celui qui réunissait, on l’a vu, par un seul acte les souverains de légendes d’hier et un empereur en gestation en France.

Sous une pluie de battante, les Ottomans pénétrèrent enfin dans le fort d’Al Arich. La première chose à faire à leurs yeux était de passer les soldats de la garnison française qui les avaient aidé au fil de l’épée dans un bain de sang inouï. Ils prennent d’assaut l’hôpital du fort et commencèrent une effroyable mise à mort des malades et médecins.

Après ce carnage, Kléber décida de tourner la page de la capitulation. Il abandonna son projet d’évacuer honorablement l’Égypte13. Dans un désespoir et une colère noire, Kléber marche avec ce qui lui restait de l’armée. Il écrase, dans une bataille mémorable, l’armée turque à Héliopolis le 20 mars 1800 (les pertes françaises étaient environ 600 tués et blessés. Les Turcs perdent 9 000 hommes environ) .

Maintenant qu’il est vainqueur, il peut reprendre les négociations pour une évacuation honorable du pays. Reprises donc des négociations avec la médiation, semi-neutre, des Anglais. On aboutit difficilement à un accord d’évacuation avec armes et munitions, mais surtout avec la possibilité de retour des savants français avec leurs travaux, leurs découvertes, leurs documents. On ne parlait pas encore de la Pierre de Rosette.

Entre temps, Kléber est lâchement assassiné par un fanatique syrien et c’est Menou, le commandant de Rosette, qui lui succède. Bouchard est libéré mais affreusement atteint physiquement et moralement par le drame d’El Arich . Il décide de alors de laisser à l’histoire son témoignage sur le siège d’El Arich14. Au Caire, Bouchard ne croyait pas ses yeux, les généraux Reynier et Belliard contestent l’autorité du nouveau général en chef, et surtout, son intention de rester en Égypte.

Devenu musulman, marié à une femme de Rosette, le général Menou était ainsi, fidèle au projet initial de Bonaparte. Il se consacre entièrement au redressement administratif et financier du pays. Mais les savants de l’Institut ne trouvaient pas dans Menou un vrai protecteur. Ils vivront leurs dernières heures en Égypte dans le plus pénible des désarrois où ils seront ballottés, avec leurs effets, de bateaux en bateaux entre les Anglais qui convoitaient le fruit de leur travaux scientifiques et Menou en colère contre eux car ils décidèrent de rentrer avec l’aide des Anglais.

Pour Bouchard, la partie n’est pas encore terminée. Une grande surprise l’attendait. Le général Menou le charge des fortifications des côtes du Delta du Nil. Un retour à Rosette et en perspective.

VII

A son retour au Caire, au terme d’un difficile emprisonnement à Damas, Bouchard assiste au procès militaire des soldats d’El Arich qui restèrent en vie après le massacre de décembre 1799. Ils seront fusillés dans la citadelle du Caire. Une tache noire dans l’histoire de l’Armée d’Orient. Bouchard, lui, sera accueilli en héros par Kléber et Conté. Il est promu capitaine et envoyé se reposer à la Rosette.

Après l’assassinat de Kléber, Menou prendra soin de Bouchard. Le général compte bien, en pleines négociations avec les amiraux britanniques Sydney Smith, Keith et Hutchinson, garder la Pierre de Rosette que les Anglais considèrent comme une prise de guerre et non pas comme un banal objet que Menou prétendrait avoir acheté chez un antiquaire dans le souk du Caire. Bouchard, que la presse décrit comme le découvreur de la Pierre, pourrait être alors utile dans ce jeu de dupes entre Français et Anglais.

Le congé de Rosette tourne tôt au vinaigre. Dans sa hargne épistolaire avec les amiraux anglais pour une évacuation qu’il ne souhaite pas du tout, la Pierre de Rosette est devenue le centre des négociations. Menou a tout fait pour garder la Pierre à la France.

Menou demande alors à Bouchard de prendre de le commandement du Génie à Rosette et réunir la garnison dans le fameux fort où il a trouvé la Pierre quelques mois plutôt. Il n’y avait dans le fort que quelques centaines de soldats qui manquaient de tout mais qui avaient, contrairement à ceux d’El Arich, la volonté de se battre jusqu’au dernier.

Devant l’attaque de la puissante marine anglaise, la garnison, affaiblie, capitule le 9 avril 1801. Bouchard est fait prisonnier, encore une fois, mais renvoyé en France où il arrivera à Marseille le 30 juillet 1801. Quand les britanniques ont pénétré dans le fort Jullien, ils n’en crurent pas leurs yeux, la résistance héroïque des Français ne correspondait point avec leur nombre. Le général Hutchinson qui avait fait venir l’orientaliste Hamilton pour décider de la Pierre de Rosette, est alors allé visiter l’endroit où Bouchard avait trouvé la Pierre.

En France, Bouchard, avec ténacité et presque obstination va continuer de porter les armes dans d’autres guerres napoléoniennes sans être jamais récompensé avec générosité, ni lui ni sa femme et ses enfants. Il mourra en militaire pauvre à Givet (Ardennes) le 5 août 1822. Le 27 septembre de la même année, Champollion publie sa célèbre lettre à monsieur Dacier où il annonce au monde sa découverte de la clef du déchiffrement des hiéroglyphes. Il aura toute la gloire de l’égyptologie naissante et de l’égyptophilie en gestation. Mais il lui sera interdit par les Anglais de voir cette Pierre que Bouchard découvrit et porta, comme on porte son bébé vau baptême, jusqu’au Caire.

Bien que victime, à plusieurs reprises, de malheurs militaires, le nom de Bouchard reste attaché à sa découverte. N’y a -t-il pas ici une ressemblance avec le sort de la campagne de Bonaparte dans son ensemble ? Échec militaire et succès scientifique ?

Il y a peu d’années, l’Agence européenne de l’espace a lancé la sonde Rosetta en hommage à l’épopée française de la Pierre de Rosette. La lumière de la découverte de Bouchard circule dans l’espace. En l’année 2021 ou le monde a célébré le 250e anniversaire de la naissance de Pierre Bouchard à Orgelet, l’espoir de perpétuer son souvenir s’est rallumé.

 


1 voir l’individu, la guerre et la révolution française, Patrice Leclercq . La revue Hypothèses 1999, pp 37 à 43.
2 « la première compagnie avait participé à l’observation du champ de bataille de Fleurus, dit Jacques Laurens, et on lui attribuait, au grand agacement de Jourdan, une part importante du succès ». Pierre Bouchard, soldat et ingénieur, inventeur de la Pierre de Rosette. Dans la Jaune et la Rouge. Avril 1991. p 14.
3 bulletin de l’Asphor, p 1 . 11/09/ 2017
4 Napoléon Bonaparte, Correspondance générale, tome 2, lettre 2344. P 56. Ed, Fayard 2005.
5 idem . La lettre 2361 . Page 67.
6 l’arrêté portant création de l’Institut d’Égypte est suivi, dans le même ordre, par une liste « des personnes proposées pour composer l’Institut d’Égypte ». Il est divisé en quatre sections (mathématique, physique, économie politique, littérature et arts). Il y a trente-six membres. Bonaparte est membre de la section mathématique . Le premier président est Monge, Bonaparte est vice-président et Fourier secrétaire perpétuel. Les objectifs de l’Institut sont : apporter une aide technique aux militaires et administrateurs, étudier, rechercher et publier toutes les connaissances sur l’Égypte. Voir la lettre de Bonaparte au général Caffarelli du Falga, commandant du génie de l’armée (numéro 2897 dans la Correspondance page 313. Cet ordre de Bonaparte précise également d’autres détails sur le lieu choisi comme siège de l’Institut.
7 cité par Robert Solé dans Bonaparte à la conquête de l’Égypte, éd Seuil 2006 . p 152.
8 Correspondance . Lettre 3189,p 429
9 Correspondance . Lettre 3657, p 614
10 cheikh Mohamed El Mohdi (ou Al Mahdi) vers 1735-1810 . Ce copte converti à l’islam fut membre et secrétaire général du Divan du Caire .  » Le Divan du Caire a une influence réelle dans la ville, dit Bonaparte, et est composé d’hommes bien intentionnés. Il faut le traiter avec beaucoup d’égards et avoir une confiance particulière dans le commissaire Zoulfikar et dans le cheikh El-mohdi ». Correspondance .lettre au général Dugua, le 21 pluviôse an VII (9 février 1799) . Voir aussi les lettres 4290
11 correspondance, lettre numéro 3375 au général Menou. Page 583.
12 à 50 km environ à l’est de la côte Alexandrine.
13 le débat sur le rôle négatif du général Kléber dans l’effondrement du projet oriental de Bonaparte est presque un tabou en France. Soit par rancune à l’égard de Bonaparte (la correspondance de Bonaparte en dit long ) qui est rentré (ou a déserté selon son expression) sans le mettre au courant. Soit par conviction que la situation de l’armée en Egypte est devenue intenable. Le général Berthier qui fut le chef d’état major en Egypte avant de devenir ministre de la guerre sous Napoléon en France, développe largement cette question dans un rapport célèbre dans lequel il contredit les arguments de Kléber.
14 Ahmed Yossef, Le Capitaine Bouchard, l’Harmattan, 2021, p. 57 et suivantes.

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