Stewart présente Fourier

Stewart présente Fourier

Ian Stewart, 17 équations qui ont changé le monde, 414 p, traduit de l’anglais par Anatole Muchnik, éd. Robert Laffont, 2014, ISBN : 978-2-221-13334-7 Ce livre publié en anglais en 2012 et disponible en français depuis février 2014 chez Robert Laffont, présente de façon accessible, au long de ses dix-sept chapitres, 17 équations qui ont changé le monde, en partant du théorème de Pythagore (chapitre 1), pour arriver à l’équation Black-Scholes (chapitre 17), en passant par la transformée de Fourier (chapitre 9).

      Stewart    Ian Stewart traite de façon compréhensible de théories ardues et permet au lecteur de les situer dans l’évolution de la connaissance, de mesurer leurs enjeux. C’est naturellement le chapitre 9 consacré à l’équation de la chaleur et à la façon dont Jean Joseph Fourier l’a résolue qui justifie que nous présentions ce livre ici.

Dans l’introduction au chapitre concernant Fourier on trouve « La technique de Fourier est très largement utilisée, que ce soit dans le traitement de l’image, par exemple, ou la mécanique quantique. On s’en sert pour déterminer la structure de grandes molécules biologiques, comme l’ADN, pour compresser les données en photo numérique, pour nettoyer les enregistrements audio anciens ou abîmés ou pour analyser les tremblements de terre. Des variantes modernes servent au stockage efficace des empreintes digitales ainsi qu’au perfectionnement des scanners médicaux modernes. » p. 193 […] L’« analyse de Fourier », ainsi qu’on l’appelle aujourd’hui, fonctionne très bien, mais elle possède des profondeurs cachées dont son auteur n’avait pas conscience. La question, en apparence, était : à quel moment la série de Fourier converge-t-elle avec la fonction qu’elle prétend représenter ? Autrement dit, est-ce qu’à force de comporter de plus en plus de termes, l’approximation de la fonction finit par s’améliorer ? Fourier lui-même savait que la réponse n’est pas « toujours », mais plutôt « généralement, avec toutefois la possibilité que surviennent des problèmes et des discontinuités ». En son point central, par exemple, là où la température fait un bond, la série de l’onde carrée de Fourier converge  – mais vers un nombre erroné. La somme est 0, mais l’onde carrée prend la valeur 1. Pour la plupart des applications physiques, changer la valeur d’une fonction en un point isolé n’a pas vraiment d’importance. Ainsi modifiée, l’onde carré continue de paraître carrée. […] Pour Fourier, ce genre de question ne comptait pas vraiment. Ce qu’il modélisait, c’était le transfert de la chaleur, et peu lui importait que le modèle soit légèrement artificiel ou qu’il requière des modifications techniques sans grande conséquence sur le résultat final. Pourtant la question de la convergence ne pouvait pas être expédiée aussi légèrement, parce que les fonctions présentent parfois des discontinuités beaucoup plus complexes qu’une onde carrée. Cela n’empêchait pas Fourier d’affirmer que sa méthode valait pour n’importe quelle fonction, alors il fallait bien qu’elle s’applique à des fonctions de type f(x)=0 quand x est un nombre rationnel, f(x) =1 quand x est irrationnel. Cette fonction est discontinue partout. Pour les fonctions de ce genre, à l’époque, on ne savait même pas vraiment ce que pouvait signifier la notion d’intégrale. Et c’est en fin de compte là-dessus qu’à porté la controverse.[…] Le verdict final était qu’interprétée de la bonne façon, l’idée de Fourier pouvait être rendue rigoureuse.[…] Le premier champ à en bénéficier en dehors des mathématiques pures n’a pas été la physique de la chaleur mais l’ingénierie. Et plus particulièrement l’ingénierie électronique. Sous sa forme la plus générale, la méthode de Fourier représente un signal, déterminé par une fonction f, comme combinaison d’ondes de toutes les fréquences possibles. On l’appelle la transformée de Fourier de l’onde. Elle remplace le signal original par son spectre : une liste d’amplitudes et de fréquences pour les sinus et cosinus qui le composent, codant la même information d’une autre façon – les ingénieurs parlent de « passage du domaine du temps à celui des fréquences ». Quand on représente les données de plusieurs façon, les opérations qui s’avèrent impossibles ou difficiles dans une représentation deviennent simples dans l’autre. Si l’on part d’une conversation téléphonique par exemple, on peut prendre la transformée de Fourier et ôter tous les éléments dont les composantes présentent des fréquences trop élevées ou trop basse pour l’oreille humaine. Cela permet de transmettre davantage de conversation par les mêmes voies de communication, et c’est l’une des raisons du montant relativement modeste des factures téléphoniques aujourd’hui. On ne pourrait pas jouer à ce jeu-là sur le signal non transformé, parce que la « fréquence » ne fait pas partie de ses caractéristiques évidentes. On ne saurait pas quoi dépouiller. Cette technique s’applique aussi à la conception de bâtiments à l’épreuve des séismes. […] La transformée de Fourier est devenue un outil commun des sciences et de l’ingénierie ; ses applications vont de la suppression du bruit sur des enregistrements anciens, comme les craquements des disques de vinyle, à la détermination de la structure des grandes molécules biochimiques comme l’ADN par la diffraction des rayons X, en passant par l’amélioration de la réception radio, le nettoyage des photographies, les systèmes sonar employés dans les sous-marins ou l’élimination dès la phase de conception des vibrations indésirables d’une automobile. Je m’en tiendrai ici à l’un des milliers d’usages quotidiens de l’idée magnifique de Fourier, dont nous profitions, pour la plupart sans le savoir pendant les vacances : la photo numérique. […] Mon appareil parvient donc, d’une façon ou d’une autre à tasser sur une seule carte de deux gigaoctets environ dix fois plus de données que la carte ne peut en contenir. C’est comme si on versait un litre de lait dans un coquetier. Oui, tout rentre. Mais comment ? Grâce à la compression des données. Les informations qui définissent l’image sont traitées de façon à en réduire la quantité. […] » En toute conclusion de l’ouvrage, la transformée de Fourier inspire encore pour partie un paragraphe à Ian Stewart (p. 393) : « Il est souvent arrivé qu’une équation ne conduise pas à ce qui intéressait son inventeur-découvreur. Qui aurait pu prédire au XVe siècle qu’un nombre déroutant, apparemment impossible, sur lequel on était tombé en résolvant des problèmes d’algèbre finirait un jour par devenir indissociable de l’univers encore plus déroutant et apparemment impossible de la physique quantique – pour ne rien dire du fait qu’il ouvrirait la voie à des appareils miraculeux capable de résoudre un million de problèmes algébrique à la seconde et qui permettrait d’être instantanément vu et entendu par des amis par des amis à l’autre bout de la planète ? Qu’aurait dit Fourier si on lui avait annoncé que sa nouvelle méthode d’observation des transferts de chaleur serait un jour intégrée à des machines de la taille d’un paquet de cartes et capables de peindre des images extraordinairement fidèles et détaillées de ce sur quoi on les pointe – en couleur, et même animées, stockables de surcroît par millions dans un bidule de la taille d’une pièce de monnaie ? »

Notons tout de même que en ce qui concerne les instruments où les théories de Fourier aidaient au moins à la compréhension à son époque, il y avait de son vivant, outre ce qui est lié à la chaleur, de nombreuses problématiques acoustiques. Il faut savoir que certains de ces problèmes contiennent dès le départ certains aspects modernes du traitement du signal (science qui n’existe cependant pas à cette époque). Fourier a donné, dès son manuscrit de 1822 une méthodologie d’attaque des problèmes physiques, insistant sur la dimension instrumentale et calculatoire, et il prévoit d’entrée de jeu que ses relations s’appliqueront de manière quasi-universelle. Dès le départ, il mentionne la chaleur, l’acoustique, des aspects liés aux milieux liquides, etc. Par ailleurs, il va avoir l’occasion d’échanger de son vivant en ce qui concerne l’électricité. Il semble qu’il évoque aussi la lumière et les gaz mais c’est à vérifier. Dans tous les cas, son pari était quelque peu visionnaire !

About cm1

R. Timon, né en 1944 a été instituteur, maître formateur, auteur de manuels pédagogiques avant d’écrire pour le Webpédagogique des articles traitant de mathématiques et destinés aux élèves de CM1, CM2 et sixième.

Category(s): actualité de la recherche, hommages

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