La fonte Fourier

La fonte de caractères Fourier      

     Parmi les polices de caractères disponibles, on trouve un fonte Fourier-GUTenberg, créée, en 2003, par Michel Bovani ; ce qui nous incite à nous interroger sur les rapports que le scientifique Joseph Fourier a pu nouer avec la typographie et l’imprimerie, avant de conclure par une déclaration de l’auteur de la fonte.

1) L’environnement auxerrois : Le 22 avril 1760, Nicolas Restif épouse, à Auxerre, Agnès Lebègue, la cousine de Germaine Lebègue, elle-même épouse du tailleur d’habits, Joseph Fourier et future mère de Joseph Fourier qui deviendra le savant que nous connaissons. Les Fourier tiennent boutique à Auxerre, rue Notre-Dame (aujourd’hui rue Fourier) qui débouche place de l’hôtel de ville où se tient l’imprimerie-librairie Fournier où travaille Nicolas Rétif. Les Fournier, d’Auxerre, sont apparentés avec les Fournier parisiens graveurs-fondeurs reconnus. En 1778, Joseph a dix ans, le tailleur Fourier qui a déménagé pour laisser place à son beau-fils, habite place de Hôtel de ville, très proche donc de l’imprimerie Fournier.

Ces éléments nous permettent d’affirmer que le jeune Joseph Fourier, garçon éveillé, connaissait l’imprimerie Fournier et il est probable que, vers 1775, il la fréquentait et allait y glaner des chutes de papier.

2) Le bouillonnement révolutionnaire à Auxerre : Novembre 1789 : Le pouvoir révolutionnaire supprime les couvents. Libéré de ses engagements monastiques à Saint-Benoît-sur-Loire, le novice Joseph Fourier revient à Auxerre où il participe activement à la vie publique. Joseph Fourier y retrouve Nicolas Maure, membre du directoire révolutionnaire qui a épousé le 27 mai 1782 Anne Marguerite Fournier, la fille de François, l’imprimeur. Pour le compte du directoire, Joseph Fourier prendra des responsabilités qui lui vaudront des déboires sérieux : il ne sera sauvé de la guillotine que par la chute de Robespierre, mais, notre propos n’est pas là.

3) La campagne d’Égypte : 6 fructidor VI (23 août 179Smilie: 8) : Joseph Fourier a accepté la proposition de Gaspard Monge participer à l’expédition secrète préparée par le Directoire. Arrivé en Égypte avec une cohorte de deux cents savants il est nommé secrétaire de l’Institut d’Égypte. A ce titre, il suit de près la rédaction et la fabrication de la gazette voulue par Bonaparte ‘le courier de l’Égypte’ dont le premier numéro est publié le 12 fructidor VI.

4) L’élaboration de l’ouvrage ‘la description de l’Égypte’ : En 1802, Bonaparte charge Joseph Fourier, alors préfet de l’Isère, de suivre les travaux de publication de la description de l’Égypte, recueil des données scientifiques amassées par les savants qui ont participé à l’expédition d’Égypte. Les derniers volumes de cette édition prestigieuse, chef d’œuvre de l’art graphique, paraîtront en 1822.

5) Le Journal de l’Isère : Préfet de l’Isère, Joseph Fourier doit surveiller ce qui s’écrit dans la presse. Il charge Champollion-Figeac de la direction du Journal de l’Isère et se verra contraint de le suspendre de son poste en 1812 pour n’avoir pas censuré les articles relatifs à la chute du fort d’Alba, près de Salamanque en Espagne.

6) La publication de la Théorie de la chaleur : Élu secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences en 1822, Joseph Fourier aura la responsabilité de la publication des compte-rendus, méoires et autres publications. A ce titre, il veille tout d’abord à ce que soit publié sa Théorie analytique de la Chaleur dont le manuscrit avait obtenu, en 1811, le prix de l’Académie, mais qui depuis, dormait dans un tiroir.

Michel Bovani, créateur de la fonte Fourier-GUTenberg :

     Ces différents points indiquent que Joseph Fourier était au fait des questions concernant l’imprimé. Est-ce que pour autant Michel Bovani, auteur de la police Fourier-GUTenberg, a pensé à Joseph Fourier lorsqu’il a baptisé la fonte qu’il venait de créer ?

Il a pu répondre lui-même à cette question : «  La réponse simple à la question « qui de Charles ou de Joseph est le Fourier éponyme de la fonte Fourier ? » est en fait « un peu les deux ». Lorsque le système Fourier est sorti (2003), il me semble que je n’avais pas encore entendu parler de saint Pierre Fourier (et en tout cas ce dernier n’est dans mon esprit en rien attaché à ma fonte).

Le système de fontes scientifiques Fourier a été créé dans le cadre de mes activités pour l’association GUTenberg (groupe français des utilisateurs de TeX), le nom complet de la distribution Fourier étant d’ailleurs Fourier-GUTenberg. Thierry Bouche, maître de conférence en mathématiques à l’Institut Joseph Fourier de Grenoble (et aujourd’hui directeur de la cellule Mathdoc) était à l’époque membre du conseil d’administration de GUTenberg et expert reconnu en typographie numérique : il m’a été d’une aide constante durant tout le temps qu’a duré mon travail sur Fourier-GUTenberg.

Mon idée de départ était de trouver une fonte de texte libre de droits et de dessiner un complément scientifique qui lui serait compatible (cela incluait au moins tout ce que l’on trouve dans les fontes scientifiques par défaut de TeX, en particulier il fallait dessiner un grec). C’est Thierry qui a attiré mon attention sur une fonte créée pour la société Adobe par Robert Slimbach (lauréat en 1991 du prix Charles Peignot de l’Association Typographique Internationale et aujourd’hui directeur de l’Adobe’s type design program). Cette fonte avait été donnée par Adobe au X-consortium, bénéficiait à ce titre d’une licence qui la rendait librement distribuable et se nommait Utopia.

Lorsqu’il s’est agi de donner un nom au système, la première idée fut de trouver un nom de mathématicien français composé d’un seul mot (exit d’Alembert) et sans accent (exit Poincaré). Le lien qui s’était créé avec Thierry Bouche lors de ce travail a fait que j’ai très vite pensé à Joseph Fourier, mais c’est l’existence d’un homonyme (Charles Fourier, donc) dont la philosophie utopiste allait si bien avec le nom de la fonte de base qui m’a vraiment décidé. Je vais maintenant ajouter que le second prénom de Robert Slimbach est Joseph.

Voilà donc en gros toute l’histoire. Michel Bovani »

About cm1

R. Timon, né en 1944 a été instituteur, maître formateur, auteur de manuels pédagogiques avant d’écrire pour le Webpédagogique des articles traitant de mathématiques et destinés aux élèves de CM1, CM2 et sixième.

Category(s): étude, hommages
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