Fourier et Champollion

Fourier et Champollion

En cette année 2022 seront commémorés deux bicentenaires qui sont liés : celui de la publication de la Théorie de la chaleur par Joseph Fourier et celui du déchiffrage des hiéroglyphes par Jean-François Champollion, ce qui n’est pas un hasard, les deux hommes se sont connus et appréciés, nous allons voir comment.

Jacques Joseph Champollion, frère aîné du découvreur des hiéroglyphes

Jean François Champollion

Fourier et l’Égypte

     Joseph Fourier a découvert l’Égypte en 1798. Le 19 mai 1798, en effet, il embarque sur le Franklin sans connaître la destination finale du voyage. Il a été convaincu par Monge de participer, comme scientifique, à une expédition dont le but se révélera être l’Égypte. A partir de ce moment, l’Égypte ne quittera plus Joseph Fourier. Pendant trois ans, il va découvrir le pays, interroger les traces des civilisations anciennes qui s’y trouvent ; il sera amené, au plus haut niveau, à partager les préoccupations des responsables de l’expédition militaro-scientifique.

     De retour en France, il va suivre et coordonner durant toute sa vie, l’édition du compte rendu du travail des scientifiques durant ces trois ans et en rédiger la présentation. Cette tâche va le préoccuper une grande partie de sa vie.

     Les anciens de la campagne d’Égypte auront en commun des souvenirs qui ne s’effaceront pas. Ainsi, le comte de Chabrol, saura aider Fourier lorsqu’il sera en disgrâce auprès de Louis XVIII, après les Cent-Jours, et lui trouver un emploi au service statistique de la ville de Paris.

     Sur la fin de sa vie, Joseph Fourier, qui cultivait volontiers l’art de la conversation, revenait souvent sur ses souvenirs d’Égypte ; Arago rapporte, dans l’éloge qu’il prononcera après le décès de Joseph Fourier, une anecdote : « …Fourier avait conservé dans sa vieillesse, la grâce, l’urbanité, les connaissances variées qui, un quart de siècle auparavant, donnèrent tant de charme à ses leçons de l’École polytechnique. On prenait plaisir à lui entendre raconter même l’anecdote qu’on savait par cœur, même les évènements auxquels on avait pris une part directe. Le hasard me rendit témoin de l’espèce de fascination qu’il exerçait sur ses auditeurs, dans une circonstance qui mérite, je crois, d’être connue, car elle prouvera que le mot dont je viens de me servir n’a rien de trop fort.

     Nous nous trouvions assis à la même table. Le convive dont je le séparais était un ancien officier. Notre confrère l’apprit, et la question : avez-vous été en Egypte ? servit à lier conversation. La réponse fut affirmative. Fourier s’empressa d’ajouter : quant à moi, je suis resté dans ce magnifique pays jusqu’à son entière évacuation. Quoique étranger au métier des armes, j’ai fait, au milieu de nos soldats, le coup de feu contre les insurgés du Kaire ; j’ai eu l’honneur d’entendre le canon d’Héliopolis. De là à raconter la bataille, il n’y avait qu’un pas. Ce pas fut bientôt fait, et voilà quatre bataillons carrés se formant dans la plaine de Qoubbèh et manœuvrant aux ordres de l’illustre géomètre. avec une admirable précision. Mon voisin, l’oreille au guet, les yeux immobiles, le cou tendu, écoutait ce récit avec le plus vif intérêt. Il n’en perdait pas une syllabe : on eût juré qu’il entendait parler pour la première fois de ces évènements mémorables. Il est si doux de plaire, Messieurs ! Après avoir remarqué l’effet qu’il produisait, Fourier revint, avec plus de détails encore, au principal combat de ces grandes journées ; à la prise du village fortifié de Mattaryèh ; au passage de deux faibles colonnes de grenadiers français, à travers des fossés comblés des morts et des blessés de l’armée ottomane. Les généraux anciens et modernes ont quelquefois parlé de semblables prouesses, s’écria notre confrère; mais c’était en style hyperbolique de bulletin ; ici le fait est matériellement vrai : il est vrai comme de la géométrie. Je sens, au reste, ajouta-t-il, que pour vous y faire croire, ce ne sera pas trop de toutes mes assurances !

     Soyez sur ce point sans nulle inquiétude, répondit l’officier, qui, dans ce moment, semblait sortir d’un long rêve. Au besoin, je pourrais me porter garant de l’exactitude de votre récit. C’est moi qui, à la tête des grenadiers de la 13e et de la 8e demi-brigades, franchis les retranchements de Mattaryèh en passant sur les cadavres des janissaires !

     Mon voisin était le général Tarayre. On concevra bien mieux que je ne pourrais le dire, l’effet du peu de mots qui venaient de lui échapper. Fourier se confondait en excuses, tandis que je réfléchissais sur cette séduction, sur cette puissance de langage qui, pendant près d’une demi-heure, venait d’enlever au célèbre général, jusqu’au souvenir du rôle qu’il avait joué dans les combats de géants qu’on lui racontait…. »

     Le compagnonnage initié en Égypte se prolonge au-delà de la mort : les tombes de Joseph Fourier et de Champollion sont voisines au cimetière du Père-Lachaise ; avec quelques autres, ils forment le groupe des « tombes égyptiennes ».

Les frères Champollion :

     En 1803, Joseph Fourier, préfet de l’Isère, a, en plus de ses fonctions préfectorales, en charge de coordonner les travaux d’édition de la description de l’Égypte. Il fréquente la Société des Sciences et des Arts de Grenoble où il rencontre, en décembre 1803 Jacques-Joseph Champollion, dit Champollion-Figeac (né le 5 octobre 1778 à Figeac dans le Lot et mort le 9 mai 1867 à Fontainebleau), un archéologue français. Les deux hommes s’apprécient, Fourier propose à Champollion-Figeac de travailler avec lui à la Description de l’Égypte ; ils resteront proches jusqu’à la chute de l’Empire. Témoin privilégié de la vie grenobloise de Fourier, Champollion-Figeac racontera sa collaboration avec Fourier dans un recueil de souvenirs.

     Champollion-Figeac dirige l’éducation de son frère, Jean-François, de douze ans son cadet (né le 23 décembre 1790 à Figeac et mort le 4 mars 1832 à Paris) qu’il accueille à Grenoble dès 1801, à qui il trouve un professeur ; l’abbé Dussert, qui lui enseigne le latin et le grec ; Jean-François Champollion aborde aussi l’étude de l’hébreu et acquiert des rudiments d’arabe, de syriaque et de chaldéen, encouragé par son frère, grand admirateur de l’Orient. En mars 1804, après en avoir brillamment passé le concours, il est admis avec une bourse au lycée impérial de Grenoble et le fréquente jusqu’en août 1807. Cependant, s’il est brillant élève, il se plie mal à la discipline quasi militaire du lycée.

partie hiéroglyphique de la pierre de Rosette

   Les contacts étroits et fréquents entre les frères Champollion et le préfet Fourier, l’accès aux documents ramenés d’Égypte par Joseph Fourier orientent l’intérêt de Jean-François vers l’étude de l’écriture hiéroglyphique. Un prêtre égyptien, Geha Cheftitchi, lui apprend le copte, langue héritière de l’égyptien ancien. Ces recherches passent par des études très spécialisées que Jean-François va mener à Paris de 1807 à 1809. Il suit les cours de langues orientales au Collège de France, et plus particulièrement ceux d’arabe par Silvestre de Sacy, de persan par Langlès et d’hébreu par Audran. Il fréquente la Bibliothèque impériale.

     1809, retour à Grenoble, où Jean-François est nommé, à dix-huit ans, professeur adjoint d’histoire à l’université. Il retrouve son frère, toujours familier de Joseph Fourier, ils animent les soirées de l’hôtel de Lesdiguières au côté des plus éminents représentants de la société grenobloise.

Joseph Fourier, préfet, saura éviter la conscription à Jean-François, par ailleurs de santé fragile.

     Jacques-Joseph Champollion sera chargé par Joseph Fourier en septembre 1811 de porter à l’Académie des Sciences le manuscrit de la Théorie de la Chaleur, « Voilà, monsieur, une des commissions les plus importantes que je puisse donner de ma vie. »

     En dépit des troubles politiques, Jean-François Champollion restera professeur, à Grenoble, jusqu’en 1821, mais sans retrouver, avec la préfecture, la qualité de collaboration des années 1805-1815.

     À partir de 1821, Champollion déchiffre les premiers cartouches royaux, dont celui de Ptolémée V sur la pierre de Rosette, puis celui de Cléopâtre sur la base d’un obélisque et sur un papyrus bilingue. Sur des reproductions de détails issus des temples d’Abou Simbel nouvellement découverts, Champollion y repère dans un cartouche le signe solaire de Râ (Rê), un autre signe qu’il savait être M et deux S : RâMSS, donc Ramsès, ce qui en même temps signifie « Rê l’a mis au monde ». De même pour ThôtMS, Thoutmôsis : le 14 septembre 1822, il peut donc aussi lire les noms égyptiens, s’exclamer « je tiens mon affaire » puis selon la légende familiale tomber dans un coma quelques jours. Ce déchiffrement signe l’acte de naissance d’une nouvelle science.

     En 1822, Jean-François écrit et publie sa Lettre à M. le rédacteur de la Revue encyclopédique, relative au zodiaque de Dendérah. Le zodiaque avait été amené en France en 1821. Il remet en question la méthode et donc la pertinence de la datation du zodiaque nouvellement avancée par Jean-Baptiste Biot (soit l’an 716 avant notre ère). Pour Champollion, il ne faut pas confondre un objet de culte avec un objet astronomique ; ensuite il ne faut pas interpréter les signes trop vite car certains ne sont qu’un « système d’écriture ». Il infirme enfin l’interprétation de Biot concernant quatre étoiles supposées identifiées.

     Fourier n’en voudra pas à son ancien protégé de battre en brèche les assertions qu’il avait lui-même encouragées à propos de l’ancienneté du zodiaque. Fourier, devenu, depuis son départ de Grenoble, membre de l’Académie des sciences avant que d’en être bientôt élu, le 18 novembre 1822, secrétaire perpétuel, est surtout préoccupé alors par la publication du travail qui lui a valu, en 1811 le prix de l’Académie : la Théorie analytique de la chaleur, que, pendant l’effondrement de l’Empire, l’Académie avait oublié dans un tiroir sans le publier.

     Jean-François Champollion demandera à être inhumé près de Joseph Fourier (décédé deux ans auparavant) auquel, depuis les heures passées en sa compagnie à la préfecture de Grenoble, il pensait devoir sa vocation.

Tombe de Joseph Fourier (mars 2022) en cours de rénovation

Tombe de Jean François Champollion

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R. Timon, né en 1944 a été instituteur, maître formateur, auteur de manuels pédagogiques avant d’écrire pour le Webpédagogique des articles traitant de mathématiques et destinés aux élèves de CM1, CM2 et sixième.

Category(s): actualité, hommages
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