Fourier et l’enseignement

Extrait de l’éloge de monsieur Philibert Joseph Roux (1780-1854)

prononcé en 1854 par monsieur Frédéric Dubois

« … M. Roux naquit à Auxerre, le 26 avril 1780. Son père, maître en chirurgie, jouissait dans cette ville d’une considération méritée ; grâce à de longs services, il y avait obtenu la place de chirurgien en chef de l’Hôtel-Dieu et de l’école militaire.

Philibert Roux

Philibert Roux, espiègle élève de Fourier

Cette école, justement célèbre, était dirigée par des religieux de l’ordre savant et éclairé de Saint-Benoît, le jeune Philibert y fut admis, et c’est là qu’il suivit les leçons du futur secrétaire perpétuel de l’Institut d’Égypte et de l’Académie des sciences, de Joseph Fourrier [sic].

Philibert était un écolier fort dissipé, mais d’une humeur si franche et si ouverte, qu’elle lui gagnait tous les cœurs, sauf cependant celui de son père qui n’augurait rien de bon d’un enfant aussi léger et aussi volage : une mère eût été plus indulgente, mais notre écolier avait perdu la sienne de fort bonne heure.

La révolution s’était fait sentir à Auxerre comme partout ; l’école militaire y était devenue un collège national, les élèves n’en continuaient pas moins d’y suivre les leçons de Fourrier [sic] : leur jeune et savant professeur n’ayant point prononcé de vœux, n’avait eu qu’à déposer l’habit de Saint-Benoît pour rentrer dans l’ordre laïque. Sa retraite eût été, dans ces temps de désorganisation, une véritable calamité ! Il suffisait à tout : on le vit enseigner successivement les mathématiques, la philosophie, la rhétorique et l’histoire générale.

Quant à notre futur collègue, s’il continuait à se distinguer, ce n’était guère que par la vivacité de son esprit et par une ardeur sans égale pour les jeux de son âge ; grâce cependant à la plus heureuse facilité, il se maintenait presque toujours au premier rang parmi ses condisciples. Mais son père n’en était pas plus satisfait ; il ne pouvait croire que les succès obtenus ainsi sans efforts et presque sans travail fussent de bon aloi et durables : aussi, se croyant en face d’une éducation complètement manquée, il crût devoir renoncer à l’idée qu’il avait toujours eu de faire de son fils un ingénieur des ponts et chaussées, et obligé, à son grand regret, de se rabattre sur sa propre profession, il résolut du moins d’en faire un bon et utile chirurgien, comme il l’était lui-même. Pour l’initier aux premières notions de son art, il lui fit suivre ses visites à l’Hôtel-Dieu, et l’exerçait chaque jour à ce qu’on appelle les petites opérations de la chirurgie. … »

Fourier et l’enseignement

Ces souvenirs d’un ancien élève de Fourier, s’ils ne sont que de seconde main sont prononcés par un protagoniste assez proche de la source pour qu’on y accorde foi. Ils invitent à reconsidérer la position de Fourier face à l’enseignement.

Saint-Benoît-sur-Loire une école prestigieuse de la congrégation de Saint-Maur

1787 : Élève du collège militaire d’Auxerre, Joseph Fourier est le prototype du bon élève et ce que l’enseignement d’Ancien Régime pouvait produire de mieux. Sa basse extraction ne lui permettant pas d’accéder à une carrière militaire, il se destine à être clerc de Saint-Benoît-sur-Loire pour devenir ensuite professeur. Au vu de la suite, si l’enseignement pouvait attirer Joseph, le sentiment religieux le laissait indifférent.

La fermeture de Saint-Benoît a été une étape sans être une rupture dans la carrière de Joseph Fourier qui continuera à cultiver sa passion pour l’enseignement.

1789 : La convention décrète la fermeture des établissements religieux. Saint-Benoît sur-Loire est fermé. Religieux, convers, novices, maîtres et élèves doivent cesser leurs activités. Joseph Fourier (novice, mais on lui donne encore tout de même du « monsieur l’abbé ») revient à Auxerre en effervescence. Joseph Fourier n’abandonne pas son souci d’enseigner. Au collège «  Sa retraite eût été, dans ces temps de désorganisation, une véritable calamité ! Il suffisait à tout : on le vit enseigner successivement les mathématiques, la philosophie, la rhétorique et l‘histoire générale » ; très actif à la Société d’émulation, en 1790 il propose, au public adulte, une conférence sur Benjamin Franklin. Mais sa plongée dans la mêlée révolutionnaire ira jusqu’à se faire des ennemis (Ichon à Orléans en 1793), En janvier 1794, il demandera à être affecté à la conservation des lettres et du patrimoine du département de l’Yonne (en retrait de l’action donc, ce qui ne l’empêchera pas d’être inquiété et de risquer sa tête).

Fin 1794 : Il est retenu pour suivre les cours de l’École Normale de l’an III.

Mai 1797 : Joseph Fourier, professeur à l’École Polytechnique, présente un mémoire au colonel Catoire pour organiser un enseignement des professeurs en alternance entre Paris et Metz et augmenter le rayonnement de l’école.

Mars 1798 : Monge réussit à convaincre Fourier de le suivre avec quelques élèves dans une mystérieuse opération à l’étranger. On peut supposer que Monge tabla sur l’intérêt pédagogique de l’expérience pour séduire l’enseignant.

1798-1801 : En Égypte, Fourier, secrétaire de l’Institut du Caire, continue à donner des cours aux élèves de Polytechnique qu’il a amenés avec lui et qui seront examinés par un jury présidé par Monge. Il publie des résultats mathématiques (mécanique générale – 1798 , méthodes d’élimination des inconnues – 1799 …Smilie: ;).

1805 : de retour en France, Fourier est, dès 1802, nommé préfet de l’Isère. Apparemment, de 1802 à 1815, il ne s’occupe plus d’enseignement ; derrière les apparences on peut penser que l’intérêt de l’enseignement persiste chez le préfet pourtant occupé à de nombreuses tâches.

Les universités ont chacune son histoire particulière ; certaines très anciennes (Paris, Montpellier, Douai-Lille, Bordeaux), d’autres récentes, voire très récentes. Leur création se fait hors de tout cataclysme pendant des périodes de calme et de prospérité sans grand lien avec des événements politiques majeurs.

Le 1er novembre 1805, Napoléon, entre Ulm et Austerlitz, signe le décret de création de l’Université de Grenoble. On peut penser que comme pour la route du Saint-Gothard, Fourier a profité des liens tissés en Égypte pour obtenir la signature de l’Empereur, anticipant largement les décisions qui organisent l’enseignement supérieur (loi du 10 mai 1806, décrets de mars 180Smilie: 8).

Faute d’une étude complète, préfecture par préfecture, on peut conjecturer, qu’entre asséchement des marais de Bourgoin et création de la route menant de Grenoble à l’Italie, la création de l’Université semble bien être l’émanation du souci qu’a Joseph Fourier de créer les conditions d’un enseignement de qualité et qu’elle lui est spécifique.

l’Institut de France

1816-1830 : Après les Cent-jours, Fourier est en disgrâce. Il le sait et doit s’y reprendre à deux fois avant d’être reçu à l’Académie des Sciences. S’il avait des idées sur l’organisation de l’enseignement, elles ne seraient pas entendues. Loin de l’exécutif, c’est depuis l’Institut, en toute discrétion, qu’il va se préoccuper du développement de la connaissance et satisfaire ses désirs intimes de promotion du savoir. Il tirera parti des contacts que lui permettront ses postes de secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences, puis de membre de l’Académie Française, pour pousser les jeunes talents.

Avant la passion de la recherche, désir d’apprendre et souci de transmettre sont restés, toute sa vie, le fil directeur des préoccupations de Joseph Fourier ; on ne peut les dissocier.

About cm1

R. Timon, né en 1944 a été instituteur, maître formateur, auteur de manuels pédagogiques avant d’écrire pour le Webpédagogique des articles traitant de mathématiques et destinés aux élèves de CM1, CM2 et sixième.

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