La Photographie au XIXe siècle. Introduction (2).

La Photographie au XIXe siècle. Introduction (2).

Revendiquer le statut d’art.

Un immense paradoxe traverse l’histoire de la photographie au XIXe siècle : en 1839 on affirme le caractère universel du médium dont l’objet est la fixation des images de la nature produites par la lumière selon une technique déjà ancienne, celle de la chambre noire. Et pourtant, tout au long du XIXe siècle les grands photographes, professionnels ou amateurs, tentent de défendre l’idée que la photographie est un art ou en tout cas de se faire une place entre les artistes et les photographes professionnels.

C’est une des questions fondamentales, celle de l’existence d’un art photographique et par là même à l’essence d’une photographie en tant qu’objet : est-elle une oeuvre d’art au même titre qu’une peinture ou une sculpture ?

Elle a été portée par les critiques, des théoriciens mais aussi par les photographes eux-mêmes. Or, contrairement au cinéma, le 7e art, (pourtant qualifié également d’industrie), elle a mis du temps à être défintivement tranchée, soumise depuis son invention à l’accusation d’être une simple copie du réel et une pratique d’un nombre d’amateurs, ou de photographes professionnels qui en faisaient commerce, de plus en plus nombreux.

Le premier à avoir posé la question esthétique de manière subjective, donc artistique est Henri Fox Talbot (pourtant pas un photigraphe artiste au départ) de même que des grands noms de la photographie en France Gustave Le Gray et Félix Nadar. Tout au long du XXe siècle d’ailleurs, l’intérêt croissant du marché de l’art pour la photographie ce qui fait parler François Brunet dans La naissance de l’idée photographique de long « processus de dévulgarisation ».

Le prix atteint par ce cliché du célèbre bandit du Far West Billy the Kid en train de jouer au crocket a atteint en 2011 2,3 millions de $.

Talbot : premier artiste photographe ?

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/3/39/William_Henry_Fox_Talbot%2C_by_John_Moffat%2C_1864.jpg/607px-William_Henry_Fox_Talbot%2C_by_John_Moffat%2C_1864.jpg

William Henry Fox Talbot, par John Moffat of Edinburgh, Mai 1864

« Un rayon de soleil fortuit ou une ombre à travers le chemin, un chêne desséché par le temps, une pierre couverte de mousse peuvent éveiller une série de pensées, de sensations et d’imaginations pittoresques » :

William H. F. Talbot (1800-1877)

The Pencil of nature : https://fr.wikipedia.org/wiki/The_Pencil_of_Nature

La totalité des clichés présentés ici :

https://www.gutenberg.org/files/33447/33447-h/33447-h.html#toc2

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/1/13/The_Pencil_of_Nature.jpg/444px-The_Pencil_of_Nature.jpg

Couverture de The Pencil of Nature inspirée des manuscrit irlandais du Haut Moyen Age. Livre considéré comme le premier livre d’art photographique grâce à des photos comme celles-ci : parmi les 24 incluses dans son ouvrage

Parmi les compositions les plus admirées de Talbot, The Open Door est une tentative consciente de créer une image photographique en accord avec le goût britannique renouvelé pour la peinture de genre hollandaise du XVIIe siècle. Dans son commentaire dans The Pencil of Nature, où cette image apparaît sous la planche 6, Talbot écrit:

« L’école d’art hollandaise a suffisamment d’autorité pour prendre comme sujets de représentation des scènes de faits quotidiens et familiers. L’œil du peintre aura souvent être arrêté là où les gens ordinaires ne voient rien de remarquable. »

Fort de ce concept, Talbot se détourna des bâtiments historiques de l’abbaye de Lacock pour se concentrer sur le vieux cadre de porte en pierre et la simple porte en bois de l’écurie et sur l’humble balai, harnais et lanterne servant de support à un essai sur l’ombre et la lumière. , intérieur et extérieur, forme et texture.

 

En France, Baudelaire avait réduit la photographie  dans son Salon de 1859 au rang d’accessoire, «humble servante des arts ».

« (…) S’il est permis à la photographie de suppléer l’art dans quelques-unes de ses fonctions, elle l’aura bientôt supplanté ou corrompu tout à fait, grâce à l’alliance naturelle qu’elle trouvera dans la sottise de la multitude. Il faut donc qu’elle rentre dans son véritable devoir, qui est d’être la servante des sciences et des arts, mais la très-humble servante, comme l’imprimerie et la sténographie, qui n’ont ni créé ni suppléé la littérature. Qu’elle enrichisse rapidement l’album du voyageur et rende à ses yeux la précision qui manquerait à sa mémoire, qu’elle orne la bibliothèque du naturaliste, exagère les animaux microscopiques, fortifie même de quelques renseignements les hypothèses de l’astronome ; qu’elle soit enfin le secrétaire et le garde-note de quiconque a besoin dans sa profession d’une absolue exactitude matérielle, jusque-là rien de mieux. Qu’elle sauve de l’oubli les ruines pendantes, les livres, les estampes et les manuscrits que le temps dévore, les choses précieuses dont la forme va disparaître et qui demandent une place dans les archives de notre mémoire, elle sera remerciée et applaudie. Mais s’il lui est permis d’empiéter sur le domaine de l’impalpable et de l’imaginaire, sur tout ce qui ne vaut que parce que l’homme y ajoute son âme, alors malheur à nous !

Je sais bien que plusieurs me diront :  « La maladie que vous venez d’expliquer est celle des imbéciles. Quel homme, digne du nom d’artiste, et quel amateur véritable a jamais confondu l’art avec l’industrie ? « Je le sais, et cependant je leur demanderai à mon tour s’ils croient à la contagion du bien et du mal, à l’action des foules sur les individus et à l’obéissance involontaire, forcée, de l’individu à la foule (…) »

Charles Baudelaire (1821-1867) Extrait du Salon de 1859

L’aspect illustratif et documentaire, son usage devenu rapidement très populaire semblaient la ranger au rang d’accessoire limité à une « mise en image du monde » alors que les intentions des photographes étaient autrement plus sérieuses.
Car, en effet, la photographie est omniprésente à l’histoire qu’elle soit officielle ou individuelle. Elle sert à écrire l’histoire mais elle écrit aussi sa propre histoire par les mutations internes des images photographiques. Elle a contribué à l’écriture de l’histoire de l’art (par l’illustration puis par le zoom et le surgissement du détail p. ex.) mais son histoire interne ne doit pas suivre les schémas de l’histoire de la peinture p.ex.

Quelle esthétique pour la photographie à ses débuts ?

Et pour l’aspect esthétique privilégier la technique du flou du calotype ? Ou la netteté du daguerréotype ? Précision des détails ou «théorie des sacrifices » ?  Intervenir en multipliant et en fusionnant les négatifs, voire manuellement par la retouche du négatif et du positiif, ou privilégier la vérité, la captation directe et instantanée du réel ?

Prenons l’exemple du portrait, genre majeur de la photographie à ses débuts.

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/0/00/Nadar_selfportrait.jpg/390px-Nadar_selfportrait.jpg

Felix Nadar (1820-1910), Autoportrait, argentique, 20×17 cm. Coll. du Getty Center, Los Angeles.

Dans son ouvrage très étrange Quand j’étais photographe, Flammarion, 1899), Nadar expose des anecdotes et souvenirs tirés de sa vie de photographe et consacre un chapitre plus historique aux « Primitifs de la photographie ».

Rosalind Krauss qui consacre un article à Nadar et aux débuts de la photographie dans son ouvrage Le photographique, 1990 (6e édition 2013) , commence par évoquer cet étrange livre quasi disparu aujourd’hui, écrit par ce  pionnier encore en activité au début du XXe siècle comme pour marquer la fulgurante ascension de la photographie depuis son invention.

Il essaye de communiquer l’importance de cette formidable invention qu’il place au même niveau (voire plus haut) que  » « la machine à vapeur, la lumière électrique, le téléphone ou le phonographe, la bactériologie… ). De tous ces « prodiges nouveaux » n’est-il pas un qui détient la palme de l’étrangeté ? « Le plus troublant de tous : (…) semble donner à l’homme le pouvoir de créer, lui aussi à son tour, en matérialisant le spectre impalpable qui s’évanouit aussitôt aperçu sans laisser une ombre au cristal du miroir, un rissoler, à l’eau du bassin ? »

Il voit donc rétrospectivement la transformation de la photographie de mystère fascinant de laboratoire ou de foire à une activité ordinaire et très populaire. Et ce mouvement sera amplifié au XXe siècle la photographie devenant un fait de société à la fois et trait culturel fondamental aux effets de masse bouleversant complétement la création artistique et la définition même  de l’oeuvre d’art comme le montre Walter Benjamin dans ses deux opuscules fondateurs : Petite histoire de la photographie (1931) et L’oeuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité mécanique (1936).

Mais la photographie a eu un impact majeur sur les arts. Le portrait p. ex.  fut renouvelé par la photographie comme le montre ce daguerréotype de Balzac que possédait Nadar et auquel il fait référence dans son ouvrage :

Louis – Auguste Bisson, portrait d’Honoré de Balzac, daguerréotype, 1842, 8,3×8,7 cm. Bibliothèque de l’Institut.

Cette photographie de Balzac est célèbre à double titre, car il s’agit du seul portrait photographique authentifié de l’écrivain et de la plus ancienne épreuve précisément datée de l’atelier Bisson.

Ce portrait, qui se démarque nettement de la production stéréotypée de l’époque,

P. ex. :

Louis-Auguste Bisson (1814–1876), Portrait de femme au ruban 1840–1849, daguerréotype oval, (15 x 12 cm)

Louis-Auguste Bisson (1814–1876), Portrait de famille vers 1840, daguerréotype (7 x 8,5 cm)

Balzac lui, est représenté dans une pose non conventionnelle, en buste, une main posée à hauteur du cœur sur la chemise largement ouverte, la tête légèrement de biais. Le fait que Balzac ne regarde pas l’objectif traduit sa défiance vis-à-vis du nouveau procédé – il lui prêtait un caractère magique et redoutait qu’il le prive de son enveloppe charnelle.

Justement, le chapitre de Nadar sur Balzac tourne autour des superstitions de l’écrivain par rapport à la photographie.

Nadar magnanime face à ces fantasmes, défend bien sûr la science mais aussi plus loin l’idée de la nécessaire co-presence du photographe et du modèle dans une forme d’intimité qui conditionne l’acte photographique. Mais cette « Théorie des spectres » de Balzac n’était pas aussi farfelue que cela.

L’idée que l’homme est composé de couches emboîtées d’images de lui même (y compris ses vêtements dont Balzac écrit pour un personnage de la Comédie humaine :

« son vêtement convient si bien à sa manière d’être et à ses défauts, et exprime si complètement sa vie qu’il semble être né tout habillé ».

Conformément aux idées de Lavater, dont la théorie de la Physiognomonie  connaissait un grand succès au XIXe siècle, pour Balzac l’apparence extérieure de l’homme était le reflet de son monde intérieur. Le romancier composait d’ailleurs ses caractères non seulement d’après ses observations, mais aussi à partir des dizaines de modèles de tempéraments tirés de L’Art de connaître les hommes par la physiognomonie (1783) de Johann Gaspar Lavater qui avait créé un système d’indices soit physiques : forme du crâne, des lèvres etc. Soit tirés de son cadre de vie : maison, meubles, vêtements…
Le caractère était comparable à un générateur d’images que projette tout un chacun sur le monde comme des ombres multiples. Il agit ainsi sur son enironnement comme ce dernier agit sur lui. Et cette interaction passe par la lumière.

C’est cette même lumière qui permet selon Nadar « de rien faire une  chose ». Ce « rien », on a pu le penser à la fin du siècle, pourrait être un esprit lors des séances de spiritisme. C’est aussi le portrait post-mortem qui se développe à partir des années 1860. la photographie mortuaire était une des activités principales des photographes dans la 2e moitié du XIXe siècle :

Le XIXème siècle et l’art délicat de la photographie post-mortem

Porte-morts. Les yeux ouverts pouvaient être des retouches faites à la main.

Ces préoccupations étranges des premiers photographes liées au caractère mystérieux du médium photographique étaient tout à fait sérieuses même si cela nous semble farfelu aujourd’hui. L’idée que l’action de la lumière peut rendre visible quelque chose à partir de rien (:la plaque vierge) et surtout agir en transformant les corps matériels. Ella a très vite été associée au spiritisme mais aussi au rapport avec le cosmos, l’univers. On ainsi une association d’aspects scientifiques et métaphysiques.

Willliam Henry Felix Talbot dans son ouvrage The Pencil of Nature (1844) évoque une photographie de rayons de sa bibliothèque :

William Henry Fox Talbot, « Scène dans une bibliothèque (Planche VIII de l’ouvrage The Pencil of Nature, 1844)
« Dans ce petit ouvrage présenté aujourd’hui au public, j’ai entrepris de publier pour la première fois une série de planches -ou d’images- qui relèvent entièrement de ce nouvel art qu’est le dessin photogénique, c’est-à-dire des images où le crayon de l’artiste n’est intervenu en aucune façon. »

in ‘Remarques d’introduction à l’ouvrage ».

Chaque planche fait l’objet d’un cartel argumenté de l’auteur. Les 24 planches constituent un catalogue raisonné d’un oeuvre photographique. Ici la liste : http://www.arpla.fr/canal2/archeo/livre/foxTalbot.html

La Meule de foin. (planche du même livre).

Une foule de détails réunis par l’appareil créant ici une vision unifiée les incluant alors que les yeux voient de manière plus synthétique.

Fox Talbot avait breveté en 1841 le calotype un procédé d’impression par contact prolongé d’un papier négatif préparé vers un papier positif lui aussi préparé. Il est parti de la camera lucida outil des peintres pour projeter grâce à la lumière du soleil les grands traits d’un paysage sur un papier pendant qu’il le reprenait au crayon et il a eu l’idée de fixer par un procédé cette image reflétée sur le papier sans interventions du crayon d’où le titre « the pencil of nature », chose impossible auparavant.

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/b/bb/Talbot_foto.jpg

Image par calotype de William Henry, Fox Talbot vers 1843,1844.

Si Daguerre est toujours resté naturaliste, Fox Talbot saisit immédiatement la possibilité qu’avait l’appareil photo d’isoler des formes que l’œil nu ne saisit pas forcément et que la peinture n’avait jamais reproduites.

Dentelle, Planche de l’ouvrage de Talbot The Pencil of Nature.

Selo Rosalind Kraus, Talbot incarne à la fois l’aspect artistique de la photographie qui se substitue au dessin et la modernité par les effets quasi abstraits obtenus dans ces images d’objets isolés de leur environnement. C’est une nouvelle esthétique. L’essence artistique de la photographie ne se limite pas à l’aspect flou des images.

Une histoire et une  première théorie de la photographie.

Il s’agit d’étudier le premier siècle de la photographie, depuis les précurseurs et les pionniers jusqu’à l’émergence de la photographie « moderne » au début du XXe siècle, notamment avec le pictorialisme et en particulier avec la figure d’Alfred Stieglitz, les premiers collages et les premières photographies dada et surréalistes. J’emploie à dessein le terme « moderne » mais qui, appliqué à la photographie, mériterait discussion. En effet, n’y a-t-il pas tautologie entre modernité et ce médium dont la caractéristique principale fut justement d’être d’une « absolue nouveauté » et de constituer, malgré ses rapports étroits avec la peinture, une rupture par rapport à tout ce qui a précédé jusque-là dans les arts de la (re)présentation ?

Ce rapport photo – peinture est fondamental pour comprendre la spécifcité, l’essence de la photographie mais aussi son histoire. Il est corrélé à une autre question essentielle : la photographie est-elle un art ou simplement une affaire de technique ?

Si l’on remonte aux origines, elle est issue de spectacles optiques et des arts du dessin (Daguerre était directeur du Diorama de Paris et peintre de décors de théâtre reconnu). Elle fut à ses débuts une affaire d’inventeurs (Niépce, Talbot et Daguerre) et de politique publique (discours d’Arago à l’Académie des Sciences en 1839 annonçant l’invention de la photographie que l’État français offre à toute l’humanité tout en ouvrant droit à une pension aux promoteurs du procédé  en France  vivants Isidore Niépce et Louis Daguerre.https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/8/88/WIKITIMBRES.FR_POSTE-1939-24.png/640px-WIKITIMBRES.FR_POSTE-1939-24.pngTimbre de 1939 : Le 7 janvier 1839 Arago annonce la découverte de la photographie.

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/0/00/W_H_F_Talbot.jpg/410px-W_H_F_Talbot.jpg

Antoine Claudet, portrait de William Henry Fox Talbot (1800 -1877), daguerreotype de 1844.

(Nous reviendrons sur les rapports photographie – peinture mais on peut d’ores et déjà lire l’article de l’Universalis :

https://drive.google.com/open?id=1T_3NB5EYbkZrox43M8tmvEBLkynTrXc1

Qu’est-ce l’histoire de la photographie au XIXe siècle sachant que le regard sur l’appareil, la technique comme la fonction de la photographie ont évolué tant grâce aux inventions et aux nouvelles pratiques entre les premiers daguerréotypes et les photos de New York de Stieglitz ?

Louis Daguerre, Atelier de l’artiste, Daguerréotype 1837.

S’agit-il de l’histoire d’une invention, de sa réception et de son impact sur la société ? Certainement dans les premières décennies. Dans une approche sociologique, Gisèle Freund (Photographie et société)  associe la naissance de ce nouveau mode d’expression, par sa proximité technique, et par l’émergence de la bourgeoisie et de son goût très prononcé pour le portrait, lui-même hérité de la noblesse dès le XVIe siècle. avec l’imprimerie au XVe siècle.

Pour Walter Benjamin (Petite histoire de la photographie (1931), il s’agit de montrer le rôle essentiel de l’invention technique son le rapport avec la tradition de l’art pictural et le nouveau statut de l’oeuvre d’art et de l’image qui s’impose avec la photographie. Si l’exposition du MOMA « Before Photography » (1981) inscrivait la photographie dans la continuité de la peinture début du XIXe siècle, Roland Barthes et la critique d’art américaine Rosalind Krauss se fixent comme objet de rechercher « le génie propre de la photographie », son essence et son sens, c’est à dire en quoi les caractéristiques propres au médium photographique affectent-elles ses significations.

Mais il ne s’agit pas d’étudier uniquement l’histoire de cet art nouveau (la photographie, un art ? cette question sera également posée). Comment se construit parallèlement à son évolution une, ou plutôt se construisent des théories de l’art photographique au XIXe puis au XXe siècle.

Pour Susan Sontag, comme pour Rosalind Krauss, il s’agit au contraire de montrer qu’il est possible, et même indispensable, d’écrire non seulement une histoire (et non pas l’histoire) de la Photographie mais aussi l’instituer comme « objet d’art » soumis à une réflexion théorique sur son essence, ou encore l‘intégrer dans une approche plus politique pour saisir la manière dont la photographie est une « image » de la société et influence en retour le regard de la société sur elle-même, il s’agit enfin de s’interroger sur l’existence d’une véritable esthétique de la photographie même lorsque l’intention du photographe « prédateur » se limite essentiellement à la captation d’un fragment de réel.

Quatre ouvrages fondamentaux nous serviront de source dans l’approche théorique de la photographie, La petite histoire de la photographie de Walter Benjamin, La Chambre claire de Roland Barthes, l’ouvrage de Susan Sontag Sur la photographie et celui de Rosalind Krauss Le Photographique. Plus récemment, François Brunet dans l’édition condensée de sa thèse intitulée Naissance de l’idée photographique, emploie le terme de « dé-vulgarisation » pour caractériser l’évolution historiographique et théorique dans l’approche de l’objet photographique, évolution indissociable de l’importance qu’a pris la photographie aussi bien dans la critique et le monde universitaire (d’abord anglo-saxon) que dans l’art moderne et post-moderne. Alors que dans les années ’60, Pierre Bourdieu, dans La Photographie un art moyen, considérait la photographie comme un art certes socialement normé mais accessible à tous, grâce aux travaux de Rosalind Krauss, notamment son ouvrage Le Photographique, elle est devenue aujourd’hui « un objet théorique » et même une œuvre d’art dont la « valeur » l’ancienneté et de rareté (Aloïse Riegl, le culte moderne du monument, sa nature, son avènement) font grimper le prix sur le marché de l’art. D’autre part, si la peinture et la sculpture comme signes iconiques inspirés du tableau avaient trouvé en la personne de Picasso une sorte d’accomplissement, avec Marcel Duchamp et sa Mariée mise à nu par ses célibataires l’œuvre tableau est remplacée par un objet dont les signes deïctiques sont incertains

Comme l’affirme Rosalind Krauss, là où la sculpture et la peinture relèvent de l’iconique, du symbolique, de la création artistique, la spécificité de la photographie est qu’elle « fait écart » par rapport à des notions comme œuvre d’art, création, unicité. Elle est le fruit d’un processus qui fait appel à la machine et à des phénomènes physico-chimiques, ainsi elle est plutôt trace, indice, qu’œuvre faite de la main d’artiste. Elle montre ce qui est, là, devant l’objectif, alors que dans son célèbre tableau :     La trahison des images (1928-29, Musée d’art du comté de Los Angeles),

René Magritte, La Trahison des images, 1929, Huile sur toile, 59 × 65 cm, Musée d’art du comté de Los Angele.

René Magritte, Les Deux mystères, 1966, huile sur toile, 60 × 80 cm, collection particulière, Londres.

René Magritte mettait en garde le spectateur sur l’illusion de réalité qu’apporte la peinture (rompant de manière paradigmatique avec la composante « réaliste » de l’héritage classique, celle de la grappe et des oiseaux de Zeuxis).

Or, pour la photographie, « je ne puis jamais nier que la chose a été là. Il y a une double position conjointe : de réalité et de passé. (…) Le nom du noème de la photographie sera donc : « ça a été ». (Barthes). Personne ne peut contester son existence. Pour Roland Barthes, le médium photographique se place au milieu de trois pôles = l’Operator (le photographe), le Spectator (celui qui regarde la photo), et l’eidôlon (ou « Spectrum », le « référent », le modèle représenté), trois pôles correspondant à trois émotions, trois pratiques, trois « intentions » : faire, sentir, (se) regarder ailleurs et autrement que dans un miroir :

« La photographie me touche si je la retire de son bla bla ordinaire : « Technique », « Reportage », « Art », etc. : ne rien dire, fermer les yeux, laisser le détail remonter à la conscience affective ».

Aucune théorie n’est possible en partant de la réflexion – introspection de Roland Barthes qui se place d’emblée dans un registre affectif car, ne pratiquant pas l’art photographique, il s’exclue de la vision fragmentaire du photographe à travers le trou de la serrure, la « sténopé », et des émotions qui s’y rattachent. Il se limite à la sensation du « référent » et aux émotions du Spectator. Pour Barthes, une fois la photographie regardée « il n’y a rien à ajouter » et surtout pas des discours théoriques ou historiques qui sont des généralisations alors que la photographie n’est que « trace », contingence, témoin brut et muet de ce qui a été à un moment donné et qui fut photographié.

Comment écrire une histoire de la photographie qui soit autonome de l’histoire de l’art générale ?

Les rapports photographie – peinture, l’aspect monochrome proche du dessin et de la gravure et l’ostracisme qu’elle a pu subir de la part d’une histoire de l’art consacrée essentiellement aux arts du dessin ont longtemps marginalisé la photographie dans le champ historique, en tout cas en France, et ce jusqu’aux années ’70.

Baudelaire l’avait réduite dans son Salon de 1859 au rang d’accessoire, «humble servante des arts ».

« (…) S’il est permis à la photographie de suppléer l’art dans quelques-unes de ses fonctions, elle l’aura bientôt supplanté ou corrompu tout à fait, grâce à l’alliance naturelle qu’elle trouvera dans la sottise de la multitude. Il faut donc qu’elle rentre dans son véritable devoir, qui est d’être la servante des sciences et des arts, mais la très-humble servante, comme l’imprimerie et la sténographie, qui n’ont ni créé ni suppléé la littérature. Qu’elle enrichisse rapidement l’album du voyageur et rende à ses yeux la précision qui manquerait à sa mémoire, qu’elle orne la bibliothèque du naturaliste, exagère les animaux microscopiques, fortifie même de quelques renseignements les hypothèses de l’astronome ; qu’elle soit enfin le secrétaire et le garde-note de quiconque a besoin dans sa profession d’une absolue exactitude matérielle, jusque-là rien de mieux. Qu’elle sauve de l’oubli les ruines pendantes, les livres, les estampes et les manuscrits que le temps dévore, les choses précieuses dont la forme va disparaître et qui demandent une place dans les archives de notre mémoire, elle sera remerciée et applaudie. Mais s’il lui est permis d’empiéter sur le domaine de l’impalpable et de l’imaginaire, sur tout ce qui ne vaut que parce que l’homme y ajoute son âme, alors malheur à nous !

Je sais bien que plusieurs me diront :  « La maladie que vous venez d’expliquer est celle des imbéciles. Quel homme, digne du nom d’artiste, et quel amateur véritable a jamais confondu l’art avec l’industrie ? « Je le sais, et cependant je leur demanderai à mon tour s’ils croient à la contagion du bien et du mal, à l’action des foules sur les individus et à l’obéissance involontaire, forcée, de l’individu à la foule (…) »

Charles Baudelaire (1821-1867) Extrait du Salon de 1859

L’aspect illustratif et documentaire, son usage devenu rapidement très populaire semblaient la ranger au rang d’accessoire limité à une « mise en image du monde » alors que les intentions des photographes étaient autrement plus sérieuses.
Car, en effet, la photographie est omniprésente à l’histoire qu’elle soit officielle ou individuelle. Elle sert à écrire l’histoire mais elle écrit aussi sa propre histoire par les mutations internes des images photographiques. Elle a contribué à l’écriture de l’histoire de l’art (par l’illustration puis par le zoom et le surgissement du détail p. ex.) mais son histoire interne ne doit pas suivre les schémas de l’histoire de la peinture p.ex.
En effet, les premiers grands ouvrages tendaient à se limiter à une histoire de la photographie comme un art à part entière (égal de la peinture) manquant ainsi de vision globale du phénomène et surtout laissant de côté les significations spécifiques de l’image qu’impliquait la technique photographique et ce dès ses débuts.

Il en ressort qu’une histoire purement chronologique n’est pas pertinente et qu’on doit prendre en compte ce qui est propre à la photographie :

la pratique de la série,

Voir p. ex celle d’Achille Melandri (1845-1905) sur Sarah Bernhardt : https://www.roger-viollet.fr/fr/asset/fullTextSearch/search/melandri/page/1

et à l’opposé des photographies d’humbles anonymes comme celles de Giacomo Caneva (1813-1865) à Rome dans les années 1850 (il a pratiqué le daguerréotype, puis le calotype à partir d’un papier négatif): http://www.artnet.fr/artistes/giacomo-caneva/2

Giacomo Caneva Pécheur a Rome vers 1850, papier sensibilisé au sel d’argent.

Giacomo Caneva, Jeune paysanne romaine posant sur le balcon de la maison du photographe. 1852.

Figures populaires de paysans, de marchands ambulants posant dans leur milieu social, leur activité ou des vedute de Rome :

G. Caneva, La place de la colline du Pincio à Rome. 1850-55.

On sent ici l’influence de la peinture et du dessin.

la temporalité, le point de vue (de prise de vue), les écarts de certaines photos par rapport à la norme en une période donnée.

Une vue de la vie quotidienne :

Joseph Byron (1847-1923) Rue de New York vers 1890, papier albuminé (voir ici), 40×50 cm.

Joseph Byron se photographiant avec une lentille à grand angle, vers 1910-1920.

Un selfie à New York en 1920 par les photographes de la Byron Company – Joseph Byron, Ben Falk, Pirie MacDonald, le colonel Marceau et Pop Core.

Ainsi, grâce aux procédés et aux points de vue particuliers la photographie crée un monde d’images qui révèlent la vie et les objets qui nous entourent.

Qu’est-ce que la photographie ?

Un ensemble hétéroclite d’images qui ont comme point commun d’être engendrés par l’action de la lumière sur une surface photo-sensible. Pour les uns elle est un document, un inventaire du monde. Pour d’autres, une vision absolument subjective , le photographe étant un artiste qui s’approprie la réalité afin de se montrer lui même.

Il faut sortir de cette dichotomie et montrer la variété des intentions, des pratiques et des usages. Car les destinations qui déterminent la forme sont multiples : archive, livre d’art, album de famille, cheminée, presse, cimetière… TAinsi, toutes les photographies sont soumises à des champs et pas seulement à des données techniques. Elle s’intègre dans des filiations et influences, des déterminations sociales, des codes de lecture. Chaque photo répond à une intention atteinte ou pas. Mais au-delà des intentions il y a les usages, privés ou médiatiques qui sont aussi le reflet de la réalité photographique.
Au-delà du sujet représenté et du système de représentation de la peinture, la photographie révèle le sens du fortuit, la forme en image de tout ce qui nous entoure et qui advient autour de nous grâce aux photons.
L’histoire de la photographie ressemble à l’archéologie d’un médium dont les pièces sont dispersées et sur lesquelles est appliquée une seconde lecture qui leur confère une aura inattendue. Il s’agit aussi d’examiner le devenir de ces objets périmés mais survivants. Prendre en compte le regard du photographe et du spectateur dans leur variation historique et montrer comment la société dans sa totalité est impliquée dans et par la photographie

Jean-Baptiste Louis Gros (1793-1870), Pont et bateaux sur la Tamise, vue prise lors de l’Exposition universelle de 1851, daguerreotype.

Les reflets de l’eau et les nuances du ciel sont admirablement traduits grâce au miroitement de la plaque daguerrienne. Gros était diplomate, il a été un des premiers daguerréotypistes qui a pratiqué la photographie lors de ses déplacements.

L’invention suscita un véritable engouement au sein d’un public cultivé d’intellectuels et d’artistes attirés par ses multiples possibilités d’enregistrement du réel. Se substituant à la gravure, le daguerréotype offrait par sa fidélité inconditionnelle à la réalité et une nouvelle manière de voir le monde, plus exacte et exempte de tout remaniement. Grâce à la technique du cadrage, il permettait par ailleurs de faire ressortir certains détails ou, au contraire, de replacer les objets dans leur environnement, comme dans le cas des vues urbaines. S’attaquant à un vaste répertoire de sujets, les daguerréotypistes ont ainsi ouvert la voie à un nouveau genre de photographie dite documentaire, appelé à un grand avenir.

Le photographe sélectionne, édulcore ou exacerbe en tout cas agit dans son siècle. La photo s’est rapidement diffusée massivement comme jadis la gravure au XVIe puis la lithographie au XIXe et l’imprimé au XXe siècle.

Les catégorisations faciles : photo scientifique, de reportage, de publicité ou d’art sont à éviter. La photographie a une certaine unité même si certains blocs gardent leur pertinence : photo familiale,  publicitaire, vue touristique ou documentation exotique.
L’histoire de ces champs n’avance pas au même rythme. Histoire des fonctions, histoire des faits optiques (inventions, nouvelles approches), histoire du sens des images photographiques. Un de ces sens, et non des moindres, c’est que la photographie est le fondement visuel des sociétés modernes, un des indices les plus visibles de la quête de modernité.

Anonyme, Daguerréotype colorié, vers 1850-60, coll uwe Scheid

L’invention d’une « machine à lumière ».

Elle a lieu dans le milieu de savants et d’érudits de cette époque.
L’année 1839 marque la naissance « officielle » de la photographie ou plutôt du daguerréotype, une certaine pratique de la photo. Elle n’est pas le fruit d’une « évolution » linéaire avec quelques précurseurs qui cherchaient à l’inventer. Au départ : un concept technologique issu d’une accumulation séculaire de connaissances qui trouve ensuite en la personne de Niépce une volonté d’être un inventeur dans le domaine de l’image mécanique et et de créer une industrie de cette image nouvelle (c’était bien le seul véritable « inventeur »).

Poser la question du pourquoi.

La science comparera avec l’invention de la machine à vapeur, l’histoire de l’art avec la peinture à l’huile ou la gravure au XVe siècle. La photographie est à la fois fruit de science (appareil) et d’art (image créée et regardée).
Elle appartient à l’ensemble des inventions du XIXe en tant que machine (« machine Daguerre » p. ex.) qui transforme l’énergie lumineuse pour produire une image fixe, stable en gradations de noirs et blancs. Le terme « machine » convient très bien, il était employé par Niépce lui même, Talbot également travaillait à inventer ou améliorer diverses machines. Mais au XVIIe, « machines » désignait aussi les décors mobiles des théâtres.

Les machines à dessiner.

La photographie est donc proche à la fois des machines « scientifiques » et des machines d’art les machines à dessiner.
Le dispositif de « silhouette » issu des recherches de Léonard permettait de tirer le profil du modèle comme cela :

Machine sûre et commode pour tirer des silhouettes, extrait de l’Essai sur la physiognomonie de Lavater, 1781-1803, BN

Plus généralement, depuis le XVIIIe, des inventeurs tentent de mécaniser le dessin par divers instruments comme le « physionotrace »de Gilles-Louis Chrétien.

Gilles-Louis Chrétien , Portrait d’une femme au chapeau, 1793, Physionotrace, 5,6 cm (diameter), George Eastman Museum, New York

C’est dans ce contexte que s’implante l’usage de la chambre noire au XVIIIe avant de se diffuser plus largement au début du XIXe siècle.

Connue depuis Aristote, elle revient à la Renaissance dans le cadre des recherches optiques sur la perspective. Mais il s’agit encore de chambres à hauteur d’homme. Elle devient un objet portatif dans une illustration du livre de Zahn Oculus artifcialis, (1685) muni d’un objectif tubulaire (gravure) :

Zahn, Johannes (1641-1707), Camera oscura Oculus Artificialis Teledioptricus.

C’est à la fois un objet de curiosité, un instrument scientifique et un accessoire de dessin pour le voyage.


Au XVII – XVIIIe siècle, la chambre obscure est à la fois utilisée par le charlatanisme et par des scientifiques sérieux comme Kepler. Les artistes s’en emparent en y ajoutant un miroir incliné qui reflète l’image de l’objet sur une plaque de verre servant de support au papier du dessin.

De la magie ?

La photo sensibilité des sels d’argent était connue depuis le Moyen Age, mais il a fallu que l’idée de photographie naisse pour que ces connaissances soient appliquées dans des explorations nouvelles. Les expériences visaient quasi exclusivement à faciliter le dessin et si possible de « fixer » l’image sensibilisée par la lumière. Nicéphore Niépce s’appuie sur l’invention de la lithographie par le munichois Senefelder (1796).

L’héliographie.

Si les expériences lithographiques des frères Niépce ont été un échec, l’idée d’une image encrée et imprimée sur la pierre lithographique par empreinte lumineuse grâce à la chambre noire semble concentrer leurs efforts. Mais l’impulsion décisive sera donnée par l’association sous contrat entre Niépce et Daguerre, directeur du Diorama de Paris, artiste peintre de décors et graveur. Daguerre maîtrisait très bien à la fois le domaine de la lumière et celui des machines.

(voir aussi l’eidophysikon du peintre strasbourgeois Philippe de Loutherbourg (:1740-1813)

Explications :

Niépce ayant déjà produit une « héliographie » en vue d’une gravure, (le Point de vue pris à la fenêtre du Gras), il s’agissait de trouver un procédé pour produire une image définitive et de réduire le temps de pose.

La révélation photographique 1839-1840

Loin de se limiter à la consécration officielle de Daguerre par le discours d’Arago à l’Académie de Sciences, en réalité ce sont trois figures qui marquent le tournant photographique.
A quelques semaines près : Bayard présente à Arago puis au public dans une exposition personnelle son invention de « positif direct » obtenus dans la chambre noire, mais en vain, Fox Talbot lit devant la Royal Society de Londres un mémoire préparé en toute hâte pour lui assurer l’antériorité sur « l’art du dessin photogénique ou procédé par lequel les objets naturels peuvent se tracer eux-mêmes sans l’aide du crayon de l’artiste. ».
Le même Talbot invente en 1840 le calotype avec le principe du négatif/positif qui fonde tout un pan de l’histoire de la photographie.
Ces trois figures dominent les années 1839-1840 mais, malgré leur esprit inventif, ils ne savaient pas vraiment ce qu’ils cherchaient. Le seul savoir prospecté en commun était la fixation chimique des images produites par les rayons solaires et plus précisément celles visées dans la chambre noire.
Pourquoi Daguerre obtient-il le titre d’inventeur attitré avec le daguerréotype et non pas les procédés de Talbot ou de Bayard ?

C’est l’exactitude parfaite, la netteté et la précision qui ont été appréciées par les académiciens. Les photos sur papier de Bayard «étaient non reproductibles, le temps de pose d’une heure environ quand Daguerre, en remplaçant le bitume de Judée par l’argent et en ajoutant l’iode le réduisait à quelques minutes. Sa notoriété parisienne a fait le reste. L’État accorde une rente viagère de 4000 Francs à Isidore Niépce et à Louis Daguerre.

Arago s’est donc précipité pour faire reconnaître l’origine française de l’invention face à Talbot (Nicéphore Niépce était le précurseur incontestable) et a ignoré les demandes de Bayard. Scientifique reconnu, professeur à Polytechnique, il avait le souci de l’enseignement pratique des techniques et de leur diffusion au plus grand nombre. Partisan d’une vulgarisation scientifique et de l’éducation des masses, il se tourne vers le parti républicain mais dans une tendance modérée, positiviste et saint-simonienne qui voyait en la machine l’auxiliaire du travail qui allait libérer l’homme de ce fardeau. Mais Arago devait aussi affronter la méfiance des artistes et académiciens ainsi que le rejet de ce procédé expéditif et mécanisé vis à vis d’un médium.

Le succès est là. Finalement la paternité du procédé lui est reconnue et « donné au monde » : « La France dote noblement le monde entier d’une découverte qui peut tant contribuer aux progrès des arts et des sciences ».
Marc Antoine Gaudin, daguerréotypiste de la première heure qui a assisté à la fameuse séance décrit la fièvre qui saisit les amateurs :

« Bientôt la foule entoure un nouvel initié. Et celui-ci nous dit que c’est l’iode et le mercure, sans autre commentaire (…) Peu de jours après (…) chacun voulut copier la vue qui s’offrait à sa fenêtre, et bienheureux celui qui du premier coup obtenait la silhouette des toits sur le ciel (…) »

En effet, le daguerréotype s’avère être un procédé qui, après quelques mois de perfectionnement est accessible à tous avec des résultats étonnants. Les premiers clichés de Daguerre sont des natures mortes avec arrangements de statuettes, des vues de Paris et des collections de fossiles et coquillages.

Louis Daguerre Le Louvre vu de la rive gauche de la Seine, daguerreotype, 1839, Musee national des techniques.

L. Daguerre, nature morte avec Jupiter Tonans (pose correspondant au Jupiter du temple érigé par Auguste sur le Capitole en 22 av. JC), daguerréotype, 1839, coll. National Technical Museum, Prague.

 

Talbot poursuit ses recherches.

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/b/be/Latticed_window_at_lacock_abbey_1835.jpg

Fox Talbot, Window in the South Gallery of Lacock Abbey made from the oldest photographic negative in existence. August 1835.

http://www.diptyqueparis-memento.com/fr/henry-fox-talbot/

Plus tard, ses « photogenic drawings » consistent à poser un objet plat tel que dentelle, herbe, fleur ou feuillage pendant 10 à 30 minutes sur un papier enduit d’une solution de nitrate ou chlorure d’argent. Les parties non protégées du rayonnement solaire noircissent alors que le papier reste blanc sous l’objet. Il fixe ensuite chimiquement les parties claires et sombres dès 1839.

Voir exempleshttps://www.alamyimages.fr/photos-images/photogenic-drawing.html

Contrairement à la qualité très moyenne des photogenic drawings l’effet produit par le daguerréotype était spectaculaire : Morse p. ex. :

« On ne peut imaginer à quel point la minutie des traces est exquise. Nulle peinture ou gravure ,e peut prétendre s’en approcher. Par exemple en parcourant une rue du regard , on pouvait noter la présence d’une pancarte lointaine sur laquelle l’oeil arrivait simplement à distinguer l’existence de lignes ou de lettres, ces signes étant trop menus pour qu’on puisse les lire à l’oeil nu. Grâce à l’aide d’une lentille, dirigée suce détail, chaque lettre devenait parfaitement et clairement lisible (…) EN revanche les objets en mouvement ne laissent aucune empreinte (…) ».

L’inconvénient majeur du daguerréotype était cependant la non reproductibilité de l’image obtenue sur la plaque. C’est sur ce défaut qu’insistera Talbot mettant en avant la reproductibilité de ses images et l’histoire lui donnera raison : le daguerréotype sera abandonné pour cette raison justement.

 

Il prend un caractère officiel lorsque les élus députés et sénateurs en 1841 sont tenus de se faire daguerréotyper par les frères Bisson entre autre.

Tous les métiers, toutes les activités humaines donnent lieu à des prises de vue y compris des mises en scène, des études de nus, des « spécimens » d’autres peuples, des lieux de vestiges archéologiques etc.

Bayard, un photographe déçu, oublié mais au combien important.
Ses images sur papier, proches du dessin, ont un velouté, des dégradés subtiles et ont incité les observateurs d’y voir davantage de l’art que la science de précision du daguerréotype. Pourtant certaines vues de Paris de Bayard possèdent une vérité perspective et un effet pittoresque, voir documentaire.

Hippolyte Bayard, Barricades tue Royale a Paris, 1848.

Hippolyte Bayard dans le jardin en 1847.

Proches des productions de Talbot, ses papiers n’auront pas le succès du daguerréotype. Seuls quelques académiciens des Beaux Arts l’ont soutenu.

Hippolyte Bayard (français, 1801 – 1887), Étude de statuettes, 1839, 9,5 x 7 cm.

Bayard ne parviendra pas à s’imposer pour consolider une véritable oeuvre de photographe. Entre daguerréotype et calotype, son procédé d’impression directe, sans négatif sans développement qui ressemble au Polaroïd n’a pas trouvé preneur, lui même l’ayant abandonné.

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/4/4f/Bayard%2C_Hippolyte_1801-1887_-_Selfportrait_as_a_Drowned_man_1840.jpg

Hippolyte Bayard, Autoportrait en noye 1840, positif direct sur papier

Son Autoportrait en noyé est une oeuvre singulière qui fait « écart » dans l’histoire de la photographie. Première photo fiction, accompagnée d’une plainte, témoigne de l’oubli auquel tombera son invention morte née.

Sur Le fameux autoportrait en noyé de Bayard lire l’encadré : https://photos.app.goo.gl/MW12K49Tc6rBeCQRA

Brevet acheté par l’Etat après dédommagement des inventeurs français et la photo devient chose publique.

Le daguerréotype va offrir soudainement une image très précise et efficace du monde tel qu’on ne l’avait jamais perçu. Lorsque le portrait devient techniquement réalisable (son prix atteignait les 26 francs or les lois du marché jouent en faveur de la bourgeoisie aisée des villes. L’amélioration du procédé amène cependant l’ouverture de nombreux ateliers et favorise la constitution d’un réseau de photographes itinérants.

 

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/en/thumb/5/55/William_Fox_Talbot_1853.jpg/726px-William_Fox_Talbot_1853.jpg

L’Atelier de Henry Fox Talbot, 1846.
Il réalisait ici des portraits mais aussi les illustrations de son ouvrage The pencil of Nature.

ou encore les scènes de genre :

Fruit-Sellers.JPG

“Fruit-Sellers” (vers 1845) attribué à William Henry Fox Talbot, Metropolitan Museum of Art

Un véritable musée d’images, un inventaire de curiosité du monde va naître : société, lieux, phénomènes invisibles à l’oeil nu. La possibilité de duplication sur papier accélère et accroit les possibilités.

Le XIXe, siècle du progrès croit à la machine et l’appareil photoraphique en est une. De grandes expositions contribuent à la diffusion : Paris en 1844, Londres en 1851 des centaines de daguerréotypes sont exposés..Aux Etats-Unis il faut attendre la grande exposition industrielle internationale de 1853 à New York.

Les sujets.

La grande majorité des clichés se veulent « animés ». « Animer », au XIXe siècle, signifiait « donner de l’éclat, de la vivacité » ; animer une oeuvre d’art, c’était lui insuffler « un air de vie » (Littré 1873, p. 148), un supplément d’âme (anima). De même, dans les premières décennies de la photographie, une vue animée se caractérisait par la présence de vie humaine ; ainsi trouve-t-on parmi les « sujets animés » photographiques, plus convoités et de fait plus chers que les vues dénuées de vie en raison des longs temps de pose, des scènes telles que des « dîners, thés, déjeuners sur l’herbe, mariages, baptêmes, bals costumés, etc.
En effet, le portrait et les scènes de genre dominent les premiers temps de la photographie.

Certains passionnés créent de véritables scènes en recrutant des « acteurs » dans la famille et les domestiques pour les faire « poser ». C’est le cas de Louis Humbert de Molard, amateur passionné d’abord du daguerréotype puis dès 1850 du calotype, qui photogaphie par exemple son intendant, Louis Dodier, en prisonnier aux fers. Une scène inspirée par la peinture romantique.

Voir analyse de l’image ici :
http://www.musee-orsay.fr/fr/collections/oeuvres-commentees/photographie/commentaire_id/louis-dodier-en-prisonnier-1847-15523.html?tx_commentaire_pi1%5BpidLi%5D=847&tx_commentaire_pi1%5Bfrom%5D=844&cHash=d02a9d7cc5

Les amateurs comme Molard, n’ayant pas à pratiquer la photograpie pour vivre mettaient en avant leur réflexion esthétique. Le phénomène amateur a donc depuis le début favorisé une approche plus libre, plus esthétique de la phootographie.  Ici la monumentalité de la figure s’accompagne d’une pose – fiction ce qui dénote d’une grande intimité entre les deux hommes.

Molard a souvent présenté ses domestiques dans des scènes de genre qui évoquent la vie paysanne.

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/b/bc/1850_le_depecage_de_porc_par_Louis_Humbert_de_Molard_1847_1898.jpg

Louis Humbert de Molard, Scène paysanne : le dépeçage du porc (vers 1847), 22,8 × 18,1 cm, épreuve sur papier salé à partir d’un négatif papier. Paris, musée d’Orsay.

Louis Humbert de Molard (1800-1874) Deux chasseurs (dont Louis Dodier) 1850 epreuve sur papier sale Orsay

Sa préoccupation, malgré le caractère artificiel de ses mises en scène, est d’être le plus proche de l’image « naturelle » qui n’obéit pas aux poncifs du genre en peinture comme le clair obscur. Molard crée ainsi une sorte de « tableau vivant » ou « théâtre vivant ».

Le succès du portrait.

L’ère du daguerréotype correspond au premier grand essor du portrait photgraphique. Toutes les classes moyennes voulaient fixer leur image et très vite des opérateurs itinérants sillonnaient les villes et les lieux touristiques, voire les campagnes.

Pourquoi un tel succès ?

Le daguerréotype est une image « scientifique » par son exactitude, sa vérité d’où l’extraordinaire éclectisme des sujets et la finalité annoncée par Arago : démocratisation du portrait. Français et Anglais s’emparent du procédé pour démontrer ses possibilités. L’avantage de la photographie sur la peinture était évident; rapidité et faible coût.

Gaspard-Félix Tournachon, dit Nadar, né en 1820 et mort en 1910 est resté restera dans l’histoire comme le photographe du « tout-Paris » de la deuxième moitié du XIXe siècle.  Alors que l’accès à la photographie se démocratise, notamment par le portrait, il oppose son approche artistique et psychologique du portrait à la photographie pousse-bouton des simples « opérateurs ».

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/0/00/Nadar_selfportrait.jpg/488px-Nadar_selfportrait.jpg
Nadar, Autoportrait (vers 1860).

Nadar écrit en 1858 :

« « La théorie photographique s’apprend en une heure ; les premières notions de pratique, en une journée (…) Ce qui ne s’apprend pas (…) c’est le sentiment de la lumière, c’est l’appréciation artistique des effets produits par les jours divers et combinés, c’est l’application de tels ou tels de ces effets selon la nature des physionomies qu’artiste vous avez à reproduire…Ce qui s’apprend encore moins, c’est l’intelligence morale de votre sujet, c’est ce tact rapide qui vous met en communion avec le modèle (…) et vous permet de donner, non pas banalement et au hasard, une indifférente reproduction plastique à la portée du dernier servant de laboratoire, mais la ressemblance la plus familière et la plus favorable, la ressemblance intime. C’est le côté psychologique de la photographie, le mot ne me semble pas trop ambitieux »

Ces « opérateurs » opportunistes et incultes sont très vite dénoncés par des caricaturistes comme Honoré Daumier :

https://www.histoire-image.org/fr/etudes/vogue-daguerreotype-france

ou dans une veine visionnaire, Théodore Maurisset dénonçant les effets désastreux de la « daguerréotypomanie » dès l’annonce de François Arago en 1839 :

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/9/9d/Theodore_Maurisset_%28French%2C_active_about_1839%29_-_Daguerreotypomania_-_Google_Art_Project.jpg

Lithographie de Théodore Maurisset parue dans La Caricature en décembre 1839 quatre mois seulement après la divulgation du brevet sur le procédé de Daguerre.

De longues files de personnes attendent de se faire photographier, tandis que d’autres font la queue pour s’initier à la daguerréotypie. Sur les pancartes, on peut lire : « Section des daguerrotypomanes », « Section des daguerrotypolâtres », « Épreuve daguerrienne sur papier », « Étrennes daguerrotypiennes pour 1840 » et « Potences à louer pour MM. les graveurs », cette dernière annonçant la mort de l’art et la naissance de la photographie. Dans le ciel, un ballon dirigeable porte une chambre photographique dans son panier.
Dans les deux cas, on remarque bien que c’est le portrait qui domine dans l’usage et le succès de la photographie à ses débuts.

Le portrait est individuel mais aussi collectif (familles, vie des acteurs cf. les photos de théâtres à New York par Joseph Byron ici et surtout scènes de genre où le portrait immortalise des anonymes au travail dans une approche sociale inspirée de la peinture.

Les portraits « artistiques » en calotype de David Octavius Hill : une réponse à la vulgarisation du daguerréotype ?

Rappelons le calotype de William Henry Fox Talbot (1800-1977) qui demande une redevance alors que l’invention de Daguerre a été « donnée au monde ».

Voir explications ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/Calotype

Oeuvres ici : https://commons.wikimedia.org/wiki/Category:Henry_Fox_Talbot?uselang=fr

W.H. Fox Talbot, calotype (: négatif et positif d’un arbre)

Parce qu’il correspond à la photographie dans son acception la plus générale :

-l’utilisation du papier sensibilisé au sel (papier salé),

-notion de négatif – positif : c’est l’innovation majeure, qui fait la grande qualité du procédé. Les termes ne seront inventés qu’en 1840 par Sir John Herschel. On pratique un tirage par contact à partir du négatif : on applique sur le négatif une feuille de papier sensibilisée, et on les place dans un châssis-presse au soleil. La feuille est sensibilisé au sel c’est pourquoi on parle de tirage sur papier salé.

-image latente : « apparaît comme par magie » progressivement

reproduction ? daguerréotype non reproductible

Le calotype semble être plus que le daguerréotype l’ancêtre de la photographie moderne. Il est compris comme un lent dépôt de lumière sur une surface avec un résultat graphique proche du dessin monochrome d’aspect granuleux et estompé (du fait de son support papier, il a toujours un léger voile flou).

Développé essentiellement en Grande Bretagne, il se caractérise par sa relation ambiguë avec les arts picturaux qu’il imite souvent tout en démontrant sa capacité d’enregistrer toutes les formes sans rien omettre. Le procédé, plus difficile, plus minutieux, produit une photographie très différente du daguerréotype dont l’image est unique et la réalisation beaucoup plus simple. Le calotype est une « belle image », ressemblant au dessin sepia, gardée à l’abri de la lumière conservée comme une estampe ancienne.

Loch Katrine - William Henry Fox Talbot - BMA.jpg

W. H. Fox Talbot, Photographie d’un lac extraite de la série sur souscription Sun Pictures in Scotland.

London Street, Reading, c. 1845.jpg

Fox Talbot, London Street, Reading (ville au bord de la Tamise). East side, vers 1845.

Hippolyte Bayard utilise les deux procédés alors que son positif direct a été négligé par Arago et qu’il a souffert de la concurrence des deux autres pionniers. Ses photographies sont très particulières et témoignent d’un « traitement photographique du sujet  » : monuments, vie à la campagne (travail…) avec des arrangements d’outils

Hippolyte Bayard, « Nature morte au chapeau avec chaise, instruments de jardinage », 1842

comme dans son autoportrait de 1847.

Par sa réputation et ses adeptes le calotype a été compris comme une technique plus artistique et artisanale constamment perfectible. Sa diffusion réduite contenue dans un cercle d’amis élitistes plutôt qu’à une production commerciale et populaire.

Octavius Hill (1802-1870): premier photographe artiste.

Parmi les premiers à produire dès 1843 un grand nombre de photographies au caractère artistique inégalé, le peintre Octavius Hill (1802-1870) et le photographe Robert Adamson sont surtout connus pour les centaines de portraits rembranesques réalisés au cours de leur partenariat bref mais prolifique.

Originaire de Perth, en Ecosse, Hill est d’abord connu pour ses peintures et lithographies. En 1843, la commande d’une toile monumentale devant représenter en assemblée les membres fondateurs de l’Eglise libre d’Ecosse, dissidente de l’Eglise d’Angleterre (événement appelé Disruption), motive son recours à la photographie.

Sur le conseil d’un ami d’Henri Fox Talbot, il sollicite le photographe Robert Adamson (mort en 1848) pour obtenir le portrait calotype de chaque congressiste devant figurer sur la toile.

La peinture fait 340×135 cm. National gallery of Scotland.

C’est une peinture historique. Terminée en 1866 après vingt-trois ans de réalisation, elle est la première peinture de portrait de groupe réalisée à partir de photographies. David Octavius ??Hill était présent et, avec l’encouragement des pères fondateurs de l’Église libre, se mit à travailler sur le tableau à partir de portraits en calotypes de presque toutes les personnes présentes (450, de tout milieu social).

Voir de très beaux portraits de Hill ici

Sa série de scènes et portraits de genre à Newhaven avec Robert Adamson est une des plus belles de l’histoire.

Il s’agit d’un documentaire social – le premier de la photographie – que l’équipe a réalisé à Newhaven et dans d’autres petites villes de pêche près d’Edimbourg.

David Octavius Hill et Robert Adamson,  Femmes en train de piquer des lignes d’appâts pour la pêche. Fishergate, North Street, St Andrews, 1845.

dont la fameuse Marchande poisson dont parle Walter Benjamin :

« David Octavius Hill, portraitiste renommé, réalisa une longue série de portraits pour sa fresque du synode de l’église écossaise. Mais il fit ces photographies lui-même. Et ce sont ces images sans valeur, simples auxiliaires à usage interne, qui confèrent à son nom sa place historique, alors qu’il s’est effacé comme peintre. Sans doute, plus encore que la série de ces têtes en effigie, quelques études nous font pénétrer plus profondément dans la nouvelle technique : non des portraits, mais les images d’une humanité sans nom. Ces têtes, on les voyait depuis longtemps sur les tableaux. Lorsque ceux-ci demeuraient dans la famille, il était encore possible de s’enquérir de loin en loin de l’identité de leur sujet. Mais après deux ou trois générations, cet intérêt s’éteignait : les images, pour autant qu’elles subsistaient, ne le faisaient que comme témoignage de l’art de celui qui les avait peintes. Mais la photographie nous confronte à quelque chose de nouveau et de singulier : dans cette marchande de poisson de Newhaven, qui baisse les yeux au sol avec une pudeur si nonchalante, si séduisante, il reste quelque chose qui ne se réduit pas au témoignage de l’art de Hill, quelque chose qu’on ne soumettra pas au silence, qui réclame insolemment le nom de celle qui a vécu là, mais aussi de celle qui est encore vraiment là et ne se laissera jamais complètement absorber dans l' »art » (ici on trouve l’inspiration de Roland Barthes lorsqu’il énonce que la photographie montre ce qui fut là, mais pourBenjamin, l’image de la personne photographiée est toujours vue au présent) .  » Et je demande : comment la parure de ces cheveux/Et de ce regard a-t-elle enveloppé les êtres passés !/Comment a embrassé ici cette bouche où le désir/Absurde comme fumée sans flamme s’enroule »

(Walter Bejamin, Petite histoire de la photographie, 1931)

Parce que leur processus de papier négatif (calotype) ne pouvait pas enregistrer les pêcheurs en mer, Hill et Adamson se sont plutôt concentrés sur les femmes de pêcheurs de Newhaven ; vêtues de tabliers rayés traditionnels et de jupons de laine, les femmes sont saisies en train d’appâter les lignes, décharger et nettoyer les prises de leurs maris, transporter les paniers de saules chargés sur la colline jusqu’à Edimbourg et colporté leurs poissons.

Quelques photos de marins pêcheurs de retour de mer :

ou qui posent nonchalamment à côté de leur barque :

James Linton et ses fils.

Plusieurs photographies de cette série en grand format figuraient parmi celles que Hill avait choisies comme ses plus belles réalisations, assemblées en albums et présentées à la Royal Scottish Academy en 1852. Mais Hill et Adamson ont également photographié des notables comme ici :

M-7.tif

David Octavius Hill et Robert Adamson, Les Chalmers dans leur jardin, Edimbourg 1844 épreuve sur papier salé 23×30 cm

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/a/ac/Thomas_Chalmers_by_David_Octavius_Hill%2C_c1843-47.jpg/573px-Thomas_Chalmers_by_David_Octavius_Hill%2C_c1843-47.jpg

Thomas Chalmer était un ministre écossais, professeur de théologie, économiste politique et chef de l’Église d’Écosse et de l’Église libre d’Écosse qualifié de « plus grand ecclésiastique du XIXe siècle en Ecosse ».

Même si Hill est un des premiers « photographes – artistes », il montre  que la photographie, contrairement à la peinture, vise à enregistrer le plus grand nombre de sujets sans les hiérarchies académiques de la peinture. La beauté de leur travail ne se limite pas aux portraits les plus « nobles ».

Mais les calotypes « artistiques » de Hill appellent d’autres enjeux. Ils s’opposent sciemment aux daguerréotypes français dont l’image était beaucoup plus nette.

Walter Benjamin insiste sur cette opposition technique – art. Certes chez Hill aussi il y avait un « conditionnement technique » (lenteur d’exposition, le continuum du clair à l’obscur) qui contribuait à l’aura de ces modèles mais les photos de Hill et Adamson atteignaient aussi la « perfection artistique ». Ce carcatère artistique était également dû à l’aspect irrégulier, c’est à dire à la texture du papier aux effets d’imperfection que revendiquait Hill lui même dans une lettre :

« La surface grossière et la texture inégale dans toute l’épaisseur du papier sont la cause principale de l’échec du calotype dans les détails, au regard du procédé daguerréotypique – et cela en fait la vie même. Les calotypes ressemblent à l’oeuvre imparfaite d’un homme – et non pas à un amoindrissement de l’oeuvre parfaite de Dieu. »

Dans les milieux traditionalistes berlinois, on avait pu qualifier le daguerréotype d’invention « blasphématoire » (le photographe se prend pour Dieu en créant des images fidèles de ce qui existe à partir de rien) mais chez Hill c’est plutôt d’une défense et illustration du photographe – artiste qu’il s’agit.

A travers l’échec dans le rendu des détails, l’éloge du flou, du traitement par grandes masses grâce à la lumière (clair-obscur à la manière de Rembrandt, « Sol fecit » : signature de Hill), de la recherche d’un effet général plutôt que d’une copie minutieuse des détails qui traduisent finalement l’opposition industrie – art comme jadis l’opposition chez les amateurs d’art hollandais du siècle d’or entre fijnschilder (peinture fine, lisse, finie) – ruwe manier (manière rugueuse, empâtée, esquissée), voir cours sur la technique picturale de Rembrandt ici.
Les mêmes réticences se retrouvent chez Ruskin qui après avoir dans sa jeunesse soutenu la photographie, il embrasse une rhétorique esthétique qui oppose art – création et photographie, simple copie de la nature.

Il admet tout juste l’image précise de monuments pour « conserver le souvenir des grandes ouvres » mais fustige la photographie comme objet fabriqué mécaniquement ne méritant pas d’être une oeuvre d’art. « Elles ne sont pas vraies malgré qu’elles le paraissent. (…) il y a plus de beauté dans le premier bas-coté venu rencontré sur la route que dans tout papier noirci au soleil que vous accumuler en une vie… « 
-Le système Talbot favorise une pratique « privée » de la photographie entre amateurs praticiens et collectionneurs éclairés, pratique sui s’apparente à un jeu marqué par un certain détachement aristocratique, un certain individualisme et un esprit « esthet » alors que la France et les Etats-Unis penchent du côté d’un idéal démocratique de la photographie. C’est dans le vivier britannique que puiseront les pictorialistes au début du XXe siècle.

L’ère du négatif sur plaque de verre au collodion humide inventé en 1851 est marquée par l’essor du portrait, notamment des grands hommes.

La réduction du temps de pose, la précision des traits grâce à la transparence du support et de l’émulsion ont eu un impact fort sur la pratique du portrait. Les ateliers se multiplient, des textes théoriques sont publiés dans des revues (Lumière -> Société héliographique).

http://autourduperetanguy.blogspirit.com/media/02/02/953073255.jpg

L’écrivain Francis Wey, membre de l’éphémère Société héliogaphique (1851-1853), signe des articles dans la revue Lumière et élabore une « Théorie du portrait » qui insiste sur la psychologie du modèle et sur le rapport intime indispensable à établir par le photographe avant de réaliser le portrait.

Il fustige le rendu exagéré du détail (rides etc.) qui enlève toute unité à la figure du modèle.

« […] Les détails risqués, plus ils sont scintillants et minutieux, plus il [le daguerréotype] les accuse, il les reproduit avec vivacité. Si bien que la tête, sujet principal, s’efface, se ternit, perd son intérêt, son unité, et tout miroite, sans que l’attention soit concentrée nulle part »

Il est une des sources d’inspiration de Nadar.

Gustave le Gray, peintre élève de Delaroche, installe un atelier car il a mis au point un papier plus sensible, ciré et pré-sensibilisé aux sels d’argent. Il sera un des inventeurs de l’utilisation de plaques au collodion humide (albumine) pour fabriquer des négatifs avec des temps de pose de 30 s.
Il est à la fois inventeur et technicien hors pair mais capable aussi d’initier de nouveaux adeptes dont le frère de Nadar.
Il est admiré comme le grand artiste photographe des années 1850-1860 à un moment où les rivalités peinture – photo sont exacerbées.

IL réalise des portraits de genre comme celui d’un musicien ambulant italien :

Gustave Le Gray , Portrait de Pifferaro, un musicien de rue italien, 1855, et qui ressemble étrangement à Gandalf pour le Getty Museum.

Une fois connu et reconnu, il sera invité par l’empereur Napoléon III à réaliser des portraits et à photographier des parades et démonstrations de puissance militaire (sa formation de peintre d’histoire y aidait).

Le portrait des personnalités connues.

Nadar s’est inspiré également de Wey dans sa pratique du portrait. Caricaturiste de métier, il savait très bien observer la physionomie et ses mimiques. Stimulé par l’Histoire des artistes vivants de Théophile Silvestre illustrée de photographies (1854) (voir l’ouvrage ici sur Gallica),

https://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9ophile_Silvestre

 

il installe dès 1855 dans son jardin un atelier pour portraits d’artistes , écrivains et acteurs de théâtre. Son frère Adrien Tournachon avait réalisé des photos sous la direction d’un médecin,  Duchenne de Boulogne, pour étudier les physionomies humaines sous l’effet de l’électricité

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/3/32/Guillaume_Duchenne_de_Boulogne_performing_facial_electrostimulus_experiments.jpg
Nadar photographie Charles Debureau dans son interprétation de Pierrot et Paul Legrand son successeur : 

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Nadar, Paul Legrand en Pierrot, 1856, albumine sur papier salé. (concurrent de Debureau)

Ces séries sont un remarquable travail de réflexion sur les expressions, le geste et l’allure de la silhouette et rencontre un grand succès à l’exposition universelle de 1855.
Ce travail constitue un équivalent des têtes d’expression dans la peinture qu’on enseignait depuis Charles Le Brun et le XVIIe siècle aux jeunes peintres.

Nadar admirait Van Dyck et en est inspiré notamment dans l’utilisation du costume contemporain pour camper la figure.
Elegance de dandy de Baudelaire,

(Gaspard Félix Tournachon dit Nadar) (1820 – 1910)
Charles Baudelaire. 1854. (24×17,5 cm). Musée d’Orsay.

débraillé pour Théophile Gautier

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/d/d6/Th%C3%A9ophil_Gautier_1856_Nadar.jpg/824px-Th%C3%A9ophil_Gautier_1856_Nadar.jpg

Nadar, Théophile Gautier, papier albuminé et salé 1856.

cambrure du torse de la chanteuse Rosine Stoltz marquée par le pli de son châle.(voir analyse ici)

Un portrait qui montre le modèle tel qu’il vaut apparaître : allure hispanisante pour justifier des origines qu’elle voulait aristocratiques et ibériques.

Ainsi il pouvait d’adapter à chaque personnalité une mise page qui obéissait toujours au même principe : modèle debout, à mi corps, se détachant sur fond nu, un drap blanc éclairé par des réflecteurs qui renvoyaient la lumière.

Atelier Nadar, Cléopâtre-Diane de Mérode, dite Cléo de Mérode, danseuse de l’Opéra, 1894.

Nadar, Maria l’Antillaise assise.

Elle servait de modèle pour les peintres. Le regard, le naturel de la pose et l’intériorité de l’expression frappent et malgré la nudité, enlèvent toute tentation d’obscénité.

Dès les années 1870, la méthode Nadar très exigente semble dépassée par la concurrence. L’atelier du photographe se tourne vers la production de portraits en série qui n’atteignenet pas la qualité des précédents.

Il serait intéressant d’évaluer le rôle du frère Adrien Tournachon qui tout en ayant un grand talent, n’avait pas l’esprit d’entrepreneur de son frère Felix qui lui a intenté un procès pour l’utilisation abusive de son pseudonyme Nadar.
D’autres grands photographes ont porté le portrait au plus haut en s’ispirant de Nadar : Le Gray (Alexandre Dumas)

Camille Dolard (1810 – 1884), Portrait d’Ingres à la fenêtre, 1856, Musée d’Orsay,

Magistral et puissant portrait dans une mise en page audacieuse : assis en biais devant une fenêtre et un parti pris lumineux original, seul le visage émerge de l’ombre.

En exil, Victor Hugo et son cercle ont donné une version intime mais aussi engagée du portrait du grand homme qui assume ses idées politiques au prix de sa liberté :

Charles Hugo, Victor Hugo sur le rocher des proscrits. Vers 1853, Musée d’Orsay.

Hugo dans un paysage de bord de mer communie avec la nature tout en narguant Napoléon IIIl empereur.

Julia Margaret Cameron (1815-1879), née en Inde, photographe amatrice au début, elle devient une portraitiste renommée dans une démarche résolument artistique qui vise à capter la personnalité du modèle.
Si sa carrière fut courte (une douzaine d’années), mais elle constitue un jalon essentiel dans l’histoire de la photographie de portrait notamment par le cadrage serré et l’usage du flou.

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Julia Margaret Cameron « Carlyle comme un bloc de sculpture de Michel-Ange ». Thomas Carlyle, écrivain écossais. Tirage à l’albumine, 364 x 258 mm

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Julia Margaret Cameron, Sadness, 1864 (publ. sous le titre de Ellen Terry (actrice de théâtre)  à l’âge de seize ans dans Camera Work (revue de Stieglitz), 41, New York, 1913.

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/2/23/Cameron_julia_jackson.jpg

Julia Margaret Cameron, Portrait de Julia Jackson, nièce de la photographe et mère de Virginia Woolf. 1867.

Par ses portraits très étudiés, Cameron voulait éduquer le public en montrant qu’un portrait n’était pas une simple reproduction d’un modèle. Elle respecté cependant la spécificité de la technique photographique, a constamment innové avec ses vues rapprochées et ses mises au point floues qui anticipent la vision cinématographique.
Ses portraits sont emprunts d’une présence très forte.

Sur les portraits de morts cf. exposé.
Les portraits de grands hommes et femmes ont très vite constitué un marché. La mise en page et les attitudes ont beaucoup évolué entre la série des comédiens par Vallou de Villeneue dans les années 1850 :

http://www.millon.com/html/fiche.jsp?id=6534417&np=&lng=fr&npp=150&ordre=&aff=&r=

Le contraste est saisissant avec Léopold Reutlinger qui à la Belle époque réalise des milliers de clichés mettant en scène actrices, danseuses, cocottes dans des poses très animées voire suggestives.

http://peccadille.net/2013/09/23/15-360-cliches-des-demi-mondaines-a-decouvrir-sur-gallica-les-albums-reutlinger-numerises/

D’autres types de portraits sont réalisés : portraits de classe de  la bourgeoisie aux misérables marginaux des villes américaines (voir oeuvres extraordinaires de Paul Strand, américain 1890-1976)

Paul Strand, New York 1917

 Paul Strand, Homme portant un chapeau melon brun, 1916

Paul Strand, Portrait de femme.

Paul Strand- Portrait, Washington Square Park, 1917.jpg

Paul Strand, Portrait, Washington Square Park, 1917.
Très jeune, il se lie à Stieglitz qui l’intègre dans le groupe de la revue Camera work et la Galerie 291.

-portraits scientifiques et documentaires, portraits intimes.

-Les paysages : entre nature et urbain.

-> ouvrage théorique : Roland Recht – La lettre de Humboldt, du jardin paysager au daguerréotype.

Du jardin paysager au XVIIIe au paysage photographique en passant par le paysage peint au début du XIXe (Friedrich et les romantiques), un nouveau regard est posé sur la nature.

Du regard fixe à partir d’un seul point de vue (la perspective monofocale née à la Renaissance pour créer l’espace du récit) on passe au regard des multiples points de vue du jardin, chacun  étant un fragment de la nature sur lequel s’arrête le regard, le tout dans une continuité qu’offre le spectacle global de la nature.

La vue photographique elle, est optique : elle est à la fois hétérogène (le cadre contient beaucoup d’éléments hétéroclites et en même temps elle focalise sur un détail et donne à voir ce qui n’est pas visible à l’oeil nu (cf. précision microscopique du daguerréotype). Avec la photographie, le “Voyageur” n’a plus besoin de parcourir le monde, le monde vient à lui (chaque photo montrant ce qui est).

Reste le rapport au temps. Le jardin proposait un parcours dans le temps avec des “fabriques”, ruines, fontaines, objets architecturaux divers, sculptures,  un voyage dans le temps historique au milieu du rythme éternel de la nature.La photographie ramène ce voyage dans les foires avec les panoramiques, les vues stéréoscopiques etc.

Voir cours sur le paysage néo-classique ici : https://lewebpedagogique.com/khagnehida2/archives/9908

Parmi les plus impressionnantes vues urbaines, voir les fameux panoramas de Cincinatti par Charles Fontayne and William S. Porter:
http://1848.cincinnatilibrary.org/showPlate.php?id=2&category=

Les enjeux de la photographie de paysage telle qu’elle apparaît au milieu du XIXe siècle sont multiples et ce dès le départ : pensons à la vue du Gras par Niépce en 1826 avec un temps d’exposition de 72h. Le paysage photographié était considéré comme « naturel » par essence puisqu’il reproduisait la Nature grâce à l’action du soleil.
Malgré sa composition très banale : une cour de grosse demeure bourguignonne, cette photographie pose plusieurs questions essentielles.

Le paysage photographique s’inscrit en effet dans le contexte du XIXe siècle où ce genre mineur connaît grâce au romantisme et au réalisme une véritable révélation et contribue aux nouveaux regards portés sur la Nature : menaçante, grandiose, sublime, ou au contraire familière et pittoresque.

Le paysage consiste à « copier la nature » dans la lignée des peintres paysagistes

Honoré Daumier (1808-1879), Les Paysagistes, 1865. « L’un copie la nature, l’autre le premier. » Ils ont l’air d’être à Fontainebleau

Cette légende ironique en dit long sur le mépris dont « bénéficiaient » les paysagistes de la part des membres de l’Institut et du jury. Alors que le peintre pouvait composer son paysage en atelier pour lui donner une allure plus « valorisante »,  le photographe de son côté doit bien choisir les éléments du paysage qui composeront son image mais sans possibilité d’assemblage artificiel. On ne tarda pas à réaliser les difficultés auxquelles le photographe était confronté :

« Le photographe doit chercher et choisir ce point bien plus que le peintre, car il n’a pas comme lui la possibilité d’ajouter ou de retrancher à son tableau (…) Indépendamment du choix du site, il faut encore que le photographe choisisse l’heure à la quelle le paysage sera le mieux éclairé, le jour où la nature sera la plus belle (…) »

Un critique de la revue Lumière vers 1865.

Henri Le Secq (1818-1882), Ruisseau en forêt (Montmirail). Vers 1853. Epreuve sur papier salé à partir d’un négatif papier ciré sec. H. 50,7 ; L. 37,7 cm, Paris, musée d’Orsay

Le travail d’Henri Le Secq correspond très bien aux critères énoncés dans la revue. Ayant hérité par son épouse d’une propriété près de la forêt de Montmirail, il multiplie les vues de la nature : arbres, talus, chemins, végétation sont observés minutieusement.
Passionné par l’architecture gothique, Le Secq :

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Le Secq près d’une gargouille de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Photo Charles Nègre, 1853.

est l’un des plus remarquables interprètes de la Mission Héliographique de 1851 aux côtés de Le Gray, la première commande officielle importante confiée à des photographes.

Le paysage, autant que l’architecture des cathédrales, est le thème de prédilection de Le Secq, qui y fait preuve d’un art remarquable, y compris en faisant quelques « écarts » :

Autoportrait d’Henri Le Secq allongé sur son terrain. 1850-1860, Épreuve sur papier salé, 12×16 cm. Paris, bibliothèque des Arts décoratifs.

Voir sélection de photos sur le site Arago ici.

Henri Le Secq, Fontainebleau, 1854.

Dans ses vues de sous-bois, de ruisseaux etc., aux paysages clairs Le Secq préfère la pénombre des sous-bois, des taillis, des talus, des futaies. Il fait preuve d’une grande maîtrise de la lumière pour valoriser le motif, la variété des feuillages
« La dimension de ses planches lui a permis d’obtenir un motif complet intéressant, en même temps que des détails précieux par leur ampleur et leur précision » (Lumière). L’ombre gagne une profondeur et une densité qui égalent le travail exceptionnel de le Gray. Les paysages de Le Secq plongent le spectateur dans une sorte de méditation mélancolique. « Ils rêvent dans le silence » comme le disait un critique.

Gustave Le Gray travaille des séries à la forêt de Fontainebleau : grande taille des images, perfection des tirages d’une grande subtilité.

 

Hêtre, Fontainebleau Gustave Le Gray, vers 1855-1857, Tirage sur papier albuminé d’après un négatif sur verre au collodion, 319 x 413 mm.

Solitude de l’artiste, solitude de l’arbre rendu majestueux par la lumière très travaillée. Le Gray évite le pittoresque et privilégie la rudesse du paysage bellifontain qu’il traverse pour la première fois en 1849. Excellent dans le rendu des matières.

Entre Barbizon, « réalisme romantique » de Courbet et impressionnisme il n’en est pas moins d’abord photographe ayant une philosophie optique et de la lumière très différente des autres arts en étageant et en filtrant ses effets.

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Gustave Le Gray, Brick au clair de lune, Tirage sur papier albuminé, 320,8 × 406,4 mm

Tirage à partir de deux négatifs un pour le ciel et un pour la mer.

La théorie des sacrifices (« Artifice qui consiste à négliger certains accessoires d’un tableau, pour mieux faire ressortir les parties principales ». Littré ) a guidé son travail de photographe.

Joseph Vigier (1821 – 1894), Lac d’Oo à Luchon, 1853

Elève de Le Gray, il met en scène de manière admirable l’ampleur sublime du paysage montagnard (Pyrénées) en mettant l’acent sur la composition des lignes du paysage, étageant les plans et en étant très attentif aux différences de matière et de densité.

Grâce au travail remarquable des photographes faisant preuve d’une grande dextérité, le paysage devient le genre par excellence du médium photographique vers 1850-1860. Les critiques ne tarissent pas d’éloges lors des premières grandes expositions de photographies ; à propos de la marine Le brick de Le Gray, Ernest Lacan écrit :

« Les grandes nouveautés (…) ce sont au premier rang es étonnantes marines de M. Le Gray, où des navires sans voiles et en marche, une mer houleuse, ds nuages flottant dans l’air, le soleil lui même avec ses longs rayons de gloire sont reproduite »

Vers un paysage moderne.

Autour de Victor Regnaut et Louis Robert, se forme à la manufacture de Sèvres un des cercles photographiques les plus actifs du Second Empire.

Henri Victor Regnaut (1810-1878), Jardins de Saint-Cloud, avant 1855.

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Louis-Rémy Robert, arbres du parc de Saint-Cloud, 1851, impression sur papier salé.

Louis-Rémy Robert, Sèvres et ses environs vue de la ville de Sèvres prise de la Manufacture , vers 1852

Impression d’une image banale prise depuis les bâtiments de la manufacture. Un paysage urbain banal avec des cheminées d’usines mais savamment composé.  La mosaïque des toiles est rompue par la cheminée et les hautes futaies offre une vision poétique  grâce au sfumato du calotype .

Leurs épreuves révèlent un paysage nouveau : de vastes allées du parc de Saint-Claud, mais aussi des détails dans les sous-bois dont ils mettent en évidence la beauté grâce à la profondeur du négatif papier qui valorise les ombres et la densité du lieu.

Edouard Baldus, Vue de la gare de Picquigny, 1855, épreuve sur papier salé à partir d’un négatif papier. H. 33,0 ; L. 44,0 cm.

Edouard Baldus (1813-1889) La gare de Louvres, 1855 Papier salé, négatif

Dans un album commandé par la Société des chemins de fer du Nord pour le 1e exposition universelle en France, une cinquantaine de sites villes et gares situés entre Paris et la Manche ont été photographiés. De grandes planches précises et claires servies par un regard rigoureux et distant montrent à la fois les nouvelles constructions (gares, usines) que l’architecture médiévale u les paysages régionaux traversés.
Les voyageurs n’ont vue que de loin tous ces paysages traversés. Un journaliste anglais parle d’un « plat ennuyeux pays » dans la « monotonie des paysages qui s’étendent de la mer à la capitale ».

 La photographie comme instrument d’une politique du patrimoine.

Très vite les implications de la photographie sont reconnues. Comme par exemple avec la Mission héliographique créée en 1851 par les Monuments historiques afin de rendre « l’état » du monument en remplaçant avantageusement les gravures.

Voir Impérativement l’article du site Histoire par l’image :

https://www.histoire-image.org/fr/etudes/mission-heliographique-1851-voyage-pittoresque-romantique-travers-ancienne-france

Edouard Baldus: les arènes d’Arles, vers 1855.

Les remparts d’Avignon entre 1851 et 1855 épreuve sur papier albuminé à partir d’un négatif papier H. 34,0 ; L. 43,0 musée d’Orsay

Le château de Chenonceau en 1851 par Gustave Le Gray.

Créée par l’administration des Beaux Arts en 1851 après avis de la Commission des monuments historiques et préparée par la sous-commission de la Photographie « chargée de s’entendre avec les artistes sur les itinéraires qu’ils devront suivre ».
Il s’agit d’envoyer des photographes dans les régions de France afin d’y photographier des monuments – principalement par calotype.

L’idée est certainement du baron Taylor (d’origine belge) auteur avec Charles Nodier et Alphonse de Cailleux des Voyages pittoresques et romantiques dans l’ancienne France ,  illustrés de lithographies :

Fragonard, lithographié par Engelmann, Ruine du Palais de la Reine Blanche (=veuve) à Liry.

Rochers de Mourèze, Voyages (…), Languedoc, tome2, 1837,

http://voyagespittoresques.paris.fr/cartographie

En effet, cet ouvrage qui comprenait 3000 lithographies de différents auteurs, véritable fabrique du romantisme français, ainsi que le baron Taylor auront une influence capitale sur Prosper Mérimée inspecteur général des Monuments historiques et Victor Hugo qui s’enflamme contre l’abandon du patrimoine. Ces derniers et plusieurs esprits éclairés ou amateurs de photographie voient dans l’héliographie (terme de Niépce) un moyen de représenter et d’enregistrer « l’état » des édifices de manière beaucoup plus précise qu’une gravure ou une lithographie.

Cinq photographes très renommés pour leur technique sont recrutés : Hippolyte Bayard, Édouard Baldus, Henri Le Secq, Gustave Le Gray et Mestral et reçoivent chacun son itinéraire. Le procédé est essentiellement le calotype amélioré par Blanquart-Evrard et Le Gray. Les itinéraires sont : Fontainebleau, Bourgogne, Lyonnais, Dauphiné pour Baldus, Lorraine, Alsace pour Le Secq etc.

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/7/77/Le_Gray%2C_Mestral%2C_Carcassonne.jpg

Jean-Baptiste-Gustave Le Gray, Les Remparts de Carcassonne, 1851, (23.5 x 33.2 cm). Metropolitan Museum, New York

Il s’agit surtout d’édifices du Moyen Age en restauration ou en projet de restauration. Mais aucun projet d’édition n’a été prévu. Ces clichés ont étét redécouverts dans les années 1970 !!! 300 négatifs sont déposés au Musée d’Orsay, les clichés de Bayard n’ont pas été observés. Ces images n’ont pas fait l’objet d’une publication et l’on a continué à faire appel aux graveurs et dessinateurs.

Tous les observateurs ont loué la qualité de ce travail collectif qui est tombé dans l’oubli jusqu’à sa redécouverte. Malgré l’absence de diffusion, ces images ont stimulé d’autres excursions. Charles Nègre, non retenu pour la Mission, se rend à Chartres (1854).

Dans des compositions très soignées notamment pour le rendu des ombres, il réalise des photographies des portails de la cathédrale mais aussi des vues pittoresques de la ville. Il va aller beaucoup plus loin puisque il se donne comme mission d’envergure de photographier pour les archéologues, architectes sculpteurs et peintres, les restes de l’art médiéval du XIe au XIIIe siècle dans le Midi de la France. Pour les architectes il cadre à la manière d’une élévation et essaye d’éviter les déformations de la perspective.

Charles Nègre, “Chartres. Les Bords de L’Eure”, 1854, positif tiré sur papier salé.

Cathédrale de Chartres, portique du Midi, vers 1854.

Pour les sculpteurs il réalise de nombreux détails et pour les peintres il abandonne la vue frontale et se donne plus de liberté dans les cadrages et la lumière.

Charles Nègre (1820 – 1881) Cathédrale de Chartres, porte royale , 1854 – 1857, héliogravure, 72,5 x 48 cm.

L’héliogravure a été inventée par Niépce pour le transfert d’une image sur une plaque de cuivre grâce à une gélatine photosensible. C’est un procédé d’impression en creux d’une grande précision et pour de gros tirages.

Charles Nègre, Cloitre de Saint Trophime d’Arles, 1854 heliogravure, 16×13 cm.

Charles Nègre est également le photographe d’un détail mythique de la décoration sculptée de Notre Dame de Paris, le Stryge, figure reconstituée d’après Viollet-le-Duc . https://journals.openedition.org/lha/257

Charles Nègre (1820-1880), Le Stryge, 1853 (avec Henri Le Secq posant à côté). Épreuve sur papier salé à partir d’un négatif papier ciré sec, 32,5 x 23 cm.

Charles Meryon (1821-1868), Le Stryge, 1853, 15,5 x 11,5 cm, eau-forte de la série Eaux-fortes sur Paris.

Le Stryge : est une sculpture installée en hauteur sur une balustrade à l’angle de la tour nord de la cathédrale de Paris vers 1850 lors de la restauration entreprise par Eugène Viollet-le-Duc et Jean baptiste Antoine Lassus, architecte spécialiste du Moyen Age. Des cinquante-quatre « bêtes » – gargouilles sculptées – d’après les dessins de Viollet-le-Duc, c’est la seule qui soit ainsi individualisée. Son nom provient de la légende d’une gravure de Charles Meryon la représentant. Probablement la même année que Meryon, en 1853, Charles Nègre a aussi photographié cette sculpture. En contrepoint de la grande façade gothique restaurée, ce personnage monstrueux de fantaisie, peu visible du sol, en appelle à l’imagination romantique, non sans référence à Quasimodo, le héros du roman noir de Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, publié en 1831. Elle incarne la mémoire d’un Moyen Age fantastique peuplé de monstres, de chimères et de démons ainsi que d’un bestiaire infernal qui peuplait les cimes des cathédrales. Le graveur Meryon et le photographe Nègre, chacun transposent la sculpture dans leur medium, au moment où l’eau-forte et la photographie s’affrontent. La Société héliographique comme l’association des graveurs essayent de défendre les véritables artistes face aux vulgaires « copieurs ».

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/f/f9/Charles_Meryon%2C_Entrance_to_the_Faubourg_Saint-Marceau%2C_Paris%2C_1850.jpg/1024px-Charles_Meryon%2C_Entrance_to_the_Faubourg_Saint-Marceau%2C_Paris%2C_1850.jpg

Charles Meryon (1821-1868), Entrée du Faubourg Saint-Marceau, Paris, 1850, eau forte, 13,5x24cm (copie d’après). Metropolitan Museum of Art, New York.

Charles Meryon, Tourelle rue de l’École de Médecine, eau-forte, 10ème état, vers 1861 Gallica/BnF

Charles Meryon est admiré parBaudelaire, Hugo et tout le monde intellectuel parisien. Son travail vise à affirmer l’art de la gravure face à la photographie, il aura une grande influence sur les grands photographes comme Charles Nègre. Voir article sur le célèbre Stryge de Notre-Dame et la comparaison gravure – photographie. Il est établi que Henri Le Secq comme Nègre connaissaient les vues de Paris de Meryon, voire même en possédaient quelques unes.

Lire partie consacrée à Charles Nègre et sa photo du Stryge avec Le Secq ici :

https://journals.openedition.org/lha/257

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/a/ad/Charles_Meryon%2C_Rue_des_Mauvais_Gar%C3%A7ons%2C_Paris%2C_1854.jpg/579px-Charles_Meryon%2C_Rue_des_Mauvais_Gar%C3%A7ons%2C_Paris%2C_1854.jpg?uselang=fr

Charles Meryon, Rue des Mauvais Garçons, Paris, 1854, eau forte sur papier. Inscription manuscrite :

Quel mortel habitait / En ce gîte si sombre / Qui donc lá se cachait / Dans la nuit et dans l’ombre /  Ah! ma foi je l’ignore / Si tu veux le savoir / Curieux, vas y voir / Il en est temps encore.

(Travaux d’Haussemann commencent en 1853).

Mais d’une façon générale, les publications de photographies d’architecture restent relativement limitées jusqu’en 1860-1870. C’est dans les années 1870 qu’une campagne de photographie systématique des tous les monuments français a été mise en place et que les phtographes s’installent dans les villes pour y effectuer des prises de vue de leurs monuments les plus célèbres. Mais on ne peut éviter une standardisation et un recul des expériences photographiques originales.  Cependant, la Mission héliographique 1851-1853 avait été la première tentative officielle pour reconnaître à la photographie quelques atouts : conservation des données, perpétuation de l’objet hors du temps, vérité de l’enregistrement à une époque où le romantisme se tournait lui aussi vers le passé ancien (médiéval) et que les villes commencent à se transformer radicalement à commencer par le Paris  du baron Haussemann.

L’intérêt « archéologique » pour l’architecture doit certes beaucoup à la mission héliographique des années 1851-1853 mais aussi à l’essor du voyage en Orient et des photographies prises sur place. Grâce à l’amélioration du calotype par Le Gray qui invente un négatif papier ciré sec, la photographie de voyage connaît un essor important dans les années 1850. Beaucoup d’amateurs viennent de former dans son atelier avant de partir en Orient. Le papier ciré offre des possibilités nouvelles qui favorisent la photographie de voyage : pas besoin de développer sur place, plus grande sensibilité et une plus grande transparence pour un résultat plus net.
En 1849 Maxime du Camp s’embarque avec son ami Gustave Flaubert pour l’Egypte et la Syrie où il réalise en calotype des vues de monuments dans le désert en y incluant des personnages pour l’effet d’échelle (chaque prise de vue nécessite plusieurs dizaines de minutes de préparation).

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/c/ca/Maxime_Du_Camp_Ibsamboul%2C_Colosse_M%C3%A9dial_%28Enfoui%29_du_Sp%C3%A9os_de_Phr%C3%A8_Nubie%2C_Palestine_et_Syrie%2C_1849-51.jpg

Maxime Du Camp, Ibsamboul (Abou Simbel), colosse médial du Spéos de Phré, 1849, épreuve sur papier salé d’après un calotype négatif par procédé Blanquart-Evrard qui permettait la reproduction aisée des épreuves à partir d’un papier négatif (1850)

Maxime Du Camp, Le Sphinx et les pyramides de Gizeh. 1849.

Voir oeuvres de Du Camp ici.

Dans le même contexte géographique, d’autres photographes comme Félix Teynard (1817-1892) s’intéressent aux détails architecturaux :

Felix Teynard (1817-1892) Karnak, Thebes – Premier pylone – Ruines de la porte et des colosses 1851-52, épreuve sur papier salé, 24,5 x 30,8 cm. Paris, musée d’Orsay.

Voir d’autres clichés de Teynard ici :

https://www.photo-arago.fr/CS.aspx?VP3=SearchResult&VBID=27MQ2JC555XX2&SMLS=1&RW=1441&RH=715

Les plans serrés sur des morceaux d’architecture et les cadrages spectaculaires de Teynard donnent une autre image des monuments d’autant plus qu’il privilégie les contrastes de lumièredonnant ainsi plus de relief aux inscriptions gravées sur la pierre.

Le goût du détail et l’attention portée à la lumière caractérisent aussi l’oeuvre de John Beasly Greene (1832 – 1856) qui réalise ses premières photographies en Egypte en 1853-54 :

https://commons.wikimedia.org/wiki/Category:Google_Art_Project_works_by_John_Beasly_Greene?uselang=fr
Son grand sens artistique il le doit à Gustave Le Gray auprès duquel il s’est formé. Il a une façon particulière de traiter la lumière par masses claires et sombres et d’élaborer ainsi ses compositions.

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/d/df/John_Beasly_Greene_%28American%2C_born_France_-_%28M%C3%A9dinet_Habou._Vue_prise_de_l%27entr%C3%A9e_du_Palais_de_Rams%C3%A8s_M%C3%A9iamoun%29_-_Google_Art_Project.jpg/965px-John_Beasly_Greene_%28American%2C_born_France_-_%28M%C3%A9dinet_Habou._Vue_prise_de_l%27entr%C3%A9e_du_Palais_de_Rams%C3%A8s_M%C3%A9iamoun%29_-_Google_Art_Project.jpg?uselang=fr

John Beasly Greene (1832 – 1856) (: Américain né en France), Médinet Habou. Vue prise de l’entrée du Palais de Ramsès Méiamoun.

Même si Greene fait preuve d’un intérêt particulier pour l’archéologie, il ne montre pas moins une préoccupation artistique. On le comprend facilement tant son maître Gustave Le Gray n’a cessé de revendiquer une place pour la photographie au sein des Beaux Arts.
En revanche, les vues de Théodule Devéria (1831-1871), égyptologue, qui a pratiqué la photographie et particulièrement le calotype en accompagnant Auguste Mariette (père de l’égyptologie française avec Champollion) dans ses grandes fouilles archéologiques.

Théodule Devéria, Karnak, Mur avec reliefs.  

Voir quelques unes de ses photographies ici.

Le peintre Auguste Salzmann (Ribeauvillé 1824-Paris 1872), parti en Terre Sainte afin d’appuyer la thèse erronée que certaines parties des remparts et du temple de Jérusalem remonteraient à Salomon. Il photographie beaucoup de détails du mur et de tombes royales à Jérusalem. Voir ici.

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/d/d0/A._Salzmann_-_Porte_de_Jaffa%2C_int%C3%A9rieur_-_Jerusalem.jpg

Auguste Salzmann, Jérusalem. Porte de Jaffa.1854 Calotype, monté sur carton, 23 x 32,8 cm

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/d/d5/A._Salzmann_-_Arc_de_l%27Ecce_Homo_-_Jerusalem.jpg

Auguste Salzmann, Jérusalem, l’arc d’Ecce Homo, details, Calotype monté sur carton, 33,1 x 22,3 cm.

Auguste Salzmann, Jérusalem. Saint Sépulcre. Abside 1854 Épreuve sur papier salé d’après un négatif papier, de l’imprimerie photographique de Blanquart-Evrard 23,5 x 32,7 cm

En apparence utilitaires, les calotypes de Salzmann témoignent par la maîtrise des volumes et de la lumière de véritables préoccupations esthétiques.

Mais la photographie d’architecture n’est pas seulement tournée vers le passé.

Les photographes témoignent aussi d’un intérêt marqué pour les nouvelles constructions. Les commandes stimulent ici aussi la production photographique. En 1855, le baron James de Rotschild président de la Cie des chemins de fer du Nord, commande à Baldus un ensemble de prises de vue destinées à être publiées en album. Dans son tour des Villes de France photographiées, les Gares d’Enghien, d’Amiens, etc. se mêlent aux vues de châteaux et d’églises.

Nous avons vu que cet album a été offert à la reine Victoria lors de sa visite pour l’exposition universelle de Paris en 1855 pour montrer que la France est aussi une nation industrielle.
Baldus continue après 1855. Sur le plan esthétique, il marque la perspective par le motif du rail pour composer ses vues de gares comme il l’avait fait avec les remparts d’Avignon ou devant la façade du théâtre d’Orange.

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/2/2f/Toulon_Railway_Station-1861.jpg

Édouard Baldus  (1813–1889), Gare de Toulon, vers 1861, papier albuminé.

Les lignes de cette nouvelle architecture poussent les photographes à rendre les compositions plus géométriques.

Edouard Baldus, Les remparts à Avignon en 1857 épreuve sur papier salé H. 31,5 ; L. 44,4 musée d’Orsay, Paris.

Pour « Art et Mémoire » lire le rès intéressant article sur L’histoire par l’image ici : https://www.histoire-image.org/fr/etudes/charles-marville-photographies-patrimoine-monumental-restaure

À partir des années 1830, une prise de conscience accrue de l’état précaire des monuments médiévaux français (dont beaucoup avaient été endommagés lors de la Révolution française) a alimenté de vastes projets de restauration à travers la France.

Charles Marville (1813-1879) ce « photographe de la Ville de Paris » s’est distingué par sa collaboration avec quelques architectes-restaurateurs, comme Lassus et surtout Viollet-le-Duc qui a supervisé les travaux de rénovation de Notre-Dame.

Il a exploité les ressources du nouveau médium que représentait la photographie pour fixer sur la pellicule les différents états d’un monument, avant, pendant et après la restauration.


Charles Marville (1813-1879), Flèche de Notre-Dame de Paris, 1861 ou 1862, tirage sur papier albuminé, 36.5 x 49.5 cm. Coll. privée. USA.

Cette vue spectaculaire de la flèche de la cathédrale et de la ville étalée àses pieds a probablement été commandée par la société qui a fabriqué le plomb et de nombreux ornements décoratifs du toit de la cathédrale.

On voit ici le rétablissement sur la croisée du transept de la flèche détruite en 1792, sur les contreforts de laquelle Viollet-le Duc ajoute des hautes statues en cuivre repoussé des apôtres et des symboles des évangélistes. La photographie met en valeur très nettement les prouesses de l’architecture métallique.

La photographie représente un outil indispensable au recensement et à la description du patrimoine français sous toutes ses formes au XIXe siècle.

A partir des années 1860, le photographe ne cherche plus les effets de lumière du négatif papier mais choisit la précision du négatif verre de grand format pour donner de l’ampleur à la composition qui s’appuie sur des lignes verticales marquées.

Louis Emile Durandelle, Construction de l’Opéra. Paris IXe. 14 mai 1864.

Louis-Emile Durandelle, Élément decoratif, Opéra Garnier, Paris, années 1860 , albumine  d’après un négatif au collodion 39.4 x 28.2 cm
Voir d’autres détails spectaculaires ici :
Les images dépouillées de Durandelle montrant des détails du décor n’ont été découvertes que dans les années 1980 non pas pour leur valeur documentaire mais comme des compositions spectaculaires et attractives.

Louis Emile Durandelle (1839-1917)  suit les étapes successives de construction de l’Opéra Garnier depuis le gros oeuvre jusqu’à la mise en place des éléments décoratifs.
L‘ouvrage : Le Nouvel Opéra de Paris que publie Garnier à l’issue des travaux comprend quatre volumes de photographies.

Durandelle devient le photographe officiel des grands chantiers de la 2e moitié du XIXe, notamment du Sacré coeur (1877-1890) et de la Tour Eiffel (1887-1889) voir étapes ici.
Avec les appareils plus maniables, les photographies gagnent aussi en hauteur.

Henri Rivière (graveur) (1864-1951), La tour Eiffel – Peintre sur une corde à noeuds le long d’une poutre verticale, au-dessus d’un assemblage de poutres, 1889. Epreuve argentique à partir d’un négatif verre, H. 12 ; L. 9 cm. Paris, musée d’Orsay

Ce type de photographie de l’architecture métallique et généralement moderne a eu une grande influence sur les avant-gardes et en particulier sur le constructivisme russe.

Ainsi, à travers la photographie urbaine et de l’architecture moderne, l’intérpet pour la ligne se substitue progressivement à celui pour la lumière dans l’esthétique de la photographie, un des premiers signes de la modernité.

[Industrie – Ruhrgebiet (Industry – the Ruhr Region)]; Else Thalemann (German, 1901 – 1984); about 1929; Gelatin silver print; 17.1 x 22.4 cm (6 3/4 x 8 13/16 in.); 90.XM.107.8. Getty Museum.
http://www.getty.edu/art/collection/artists/2381/else-thalemann-german-1901-1984/

Dans l’entre-deux-guerreses, les photographes allemandes Germaine Krull (1897 – 1985) et Else Thalemann pratiquent les jeux de plongée et contre-plongée pour révéler la structure formelle des objets architecturaux comme des machines.

Germaine Krull, Roue, 1927, gelatino-argentique.

Else Thalemann allonge le temps de pose et bouge en même temps l’appareil pour transformer les lignes droites en courbes :

Les effets plastiques inspirés de l’art abstrait entrent autour des années 1920 de plein pied dans l’art photographique.

 

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