La douleur dans l’art du XXe siècle (2) : art et folie

La douleur dans l’art du XXe siècle (2) : art et folie

Douleur et folie.

Considérés depuis l’Antiquité comme étant sous le patronage de Mercure (inventeur et protecteur des sciences, de la musique, du commerce, des arts), les artistes sont replacés à la Renaissance sous le patronage de Saturne. La solitude, la misanthropie et finalement la folie (au sens mélancolie, tempérament saturnien et non plus mercurien) sont désormais considérées comme des conditions du génie créateur, sorte de frénésie divine de la recherche du beau dont Piero di Cosimo, Léonard de Vinci, Pontormo ou Michel-Ange étaient parmi d’autres dotés.

On connaît la folie de Van Gogh, ses crises psychotiques, sa mélancolie d' »artiste maudit » jusqu’à la dépression et le suicide violent. Son oeuvre fut pour lui un moyen de représenter l’irreprésentable d’une douleur intérieure insupportable. Nul tableau violent si ce n’est l‘Autoportrait à l’oreille coupée (ici). Et pourtant, des crises très violentes il en avait souvent au point de faire un séjour psychiatrique à la maison de santé psychiatrique de Saint-Paul-de-Mausole de Saint-Rémy-de-Provence avant que son frère dévoué ne lui trouve un refuge à Auvers-sur-Oise, auprès du docteur Paul Gachet (voir le portrait d’Orsay), ami des peintres et peintre amateur lui-même. Le médecin a encouragé Vincent à s’exprimer sur ses toiles pensant que la peinture aiderait sa guérison.

Antonin Artaud,  l’art de la folie et le regard du « fou » sur l’art.

Nous avons vu sur la première page consacrée au XXe siècle, comment les artistes avaient représenté le corps de douleur et face à la mort. Mais le corps peut être le lieu de luttes avec un autre ennemi, celui « qu’on serre au plus près », c’est à dire soi-même (Kafka). Ce rapport peut aller jusqu’à son dérèglement, la perte de contrôle sur la figure de soi et celle de la raison face aux démons qui assaillent l’être.

Les troublants dessins d’Antonin Artaud faits à Rodez en 1946, tandis que l’écrivain est une nouvelle fois en séjour psychiatrique, sont des exemples frappants de cette perte de contrôle sur la figure du soi.

« Mes dessins ne sont pas des dessins mais des documents, il faut les regarder et comprendre ce qu’il y a dedans »

Ces deux portraits ou autoportraits le montrent :

Antonin Artaud, La tête bleue, 1946. Craie et crayon sur papier. Centre Pompidou.

Antonin Artaud, Autoportrait, 17 de?cembre 1946, Mine de plomb sur papier, Coll particulière.

Plusieurs dessins ici :

http://art.rmngp.fr/fr/library/artworks?authors=Antonin%20Artaud

Antonin Artaud, La mort et l’homme, 1946, Mine graphite et craie de couleur grasse sur papier cartonne? 65,3 x 50,2 cm, Centre Pompidou.

La Mort et l’Homme (avril 1946) montrent en bas de la feuille une sorte de tige portant deux paires de seins féminins.  Planté sur le sommet de la tige, un visage semble fendu alors que plus haut une figure plaque ses paumes sur deux caisses vides traversées par l’air (l’adjectif « fol » au Moyen-Age vient du latin follis (le sac, le ballon plein d’air »). Dessin hermétique pour le profane, mais qui sonne comme un acte de conjuration de la douleur psychique de l’auteur.

Antonin Artaud La Maladresse sexuelle de Dieu, 1946, Centre Pompidou.

Ce dessin provient de la même série, dessin tout aussi torturé, évoque le ratage absolu de la Création du monde (ou de la création tout court ?).

Ici Artaud dispose sur le papier des fragments de scènes confuses, des objets à l’apparence indéchiffrable flottant dans l’espace. La forme se fait informe, image du chaos primordial auquel l’artiste, mais aussi Dieu semblent incapable de donner forme. Ce  désordre formel est l’image même de la folie. Ce n’est pas pour rien que Artaud a beaucoup écrit sur Van Gogh (cf. exposition « Van Gogh – Artaud, le suicidé de la société » (ici) reprenant le titre du texte que Artaud a consacré au peintre hollandais sur demande du galeriste Pierre Loeb. (une présentation critique de l’exposition ici)

A la recherche d’un « nouveau corps humain » Artaud tente de « rassembler » le sien qui lui échappe, comme si le corps en soi n’existait plus. Car la schizophrénie fragmente le corps et l’auto-représentation. Ainsi dans son enferment clinique, l’écrivain malade fait-il état non pas des corps glorieux du type Adam et Eve au Paradis mais de « corps cadavres » selon ses mots, de « corps poussière résorbés dans le néant ».

Lors de l’exposition de cette série chez Pierre Loeb en 1947, le galeriste lui suggère d’écrire sur Van Gogh, songeant que ses neuf années d’internement font de lui l’écrivain idéal pour parler du célèbre peintre.
D’abord peu convaincu, Artaud cède en 1947, s’insurgeant contre le portrait clinique de Van Gogh dressé par le psychiatre François-Joachim Beer. Pour Artaud, Van Gogh s’est suicidé parce qu’il y a été poussé par ceux que sa peinture dérangeait et qui voulaient l’empêcher d’émettre « d’insupportables vérités ».
« Et c’est ainsi que Van Gogh est mort suicidé, parce que c’est le concert de la conscience entière qui n’a plus pu le supporter » écrira Artaud faisant du peintre hollandais  « le suicidé de la société ».

Antonin Artaud, Le théâtre de la cruauté, vers mars 1946 Mine graphite et craie de couleurs grasse sur papier, 62,5 x 47,5 cm Paris Centre Pompidou.

Le terme théâtre de cruauté signifie le « mal de vivre », cette douleur profonde, cette « souffrance d’exister » car pour Artaud « il ne s’agit pas de cette cruauté que nous pouvons exercer les uns contre les autres (…) mais (…) celle beaucoup plus terrible et nécessaire que les choses peuvent exercer contre nous. »  C’est une une nouvelle forme de tragédie, une catharsis moderne de la violence du monde et de la mort. Plus connu comme auteur, Artaud ne fut pas moins un excellent dessinateur, d’une grande inventivité qui a légué à la BNF plus de quatre-cents cahiers d’écolier avec des textes et des dizaines de dessins.

Exposition ici :

http://chroniques.bnf.fr/archives/decembre2006/numero_courant/expositions/antonin_artaud.htm

Une critique ici : (pour approfondir)

http://www.fabula.org/revue/document3102.php

Un entretien de Derrida sur Artaud.

http://www.regards.fr/acces-payant/archives-web/jacques-derrida-evoque-artaud,627

Mais l’art des « fous » est-il un art comme les autres ? Représente-t-il véritablement la souffrance des aliénés ? A quoi sert-il ?

Ces questions étaient au cœur de la table ronde du vendredi 5 février 2016 sur « l’Art et l’anormalité » à laquelle nous avons assisté.

L’art, le corps, la folie. Un triptyque bien connu.

Toute création a une part de folie si ce n’est que par le refus de l’artiste de brider son geste, comme le suggère Rimbaud au poète dans la fameuse Lettre du voyant :

« …La première étude de l’homme qui veut être poète est sa propre connaissance, entière ; il cherche son âme, il l’inspecte, il la tente, l’apprend. Dès qu’il la sait, il doit la cultiver ; (…) — Mais il s’agit de faire l’âme monstrueuse (…) Imaginez un homme s’implantant et se cultivant des verrues sur le visage.

Je dis qu’il faut être voyant, se faire voyant.

Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d’amour, de souffrance, de folie ; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n’en garder que les quintessences. Ineffable torture où il a besoin de toute la foi, de toute la force surhumaine, où il devient entre tous le grand malade, le grand criminel, le grand maudit, — et le suprême Savant — Car il arrive à l’inconnu ! Puisqu’il a cultivé son âme, déjà riche, plus qu’aucun ! Il arrive à l’inconnu, et quand, affolé, il finirait par perdre l’intelligence de ses visions, il les a vues ! (…)

Créer c’est donc ouvrir le corps à une altérité, celle du « dérèglement de tous les sens » qui pousse l’artiste jusqu’à « l’inconnu » des « visions » qui le dépassent. Mais, si l’artiste reste conscient de son geste et  se regarde dans le miroir, il peut orienter son désir créateur, alors que les aliénés restent enfermés dans un besoin omniprésent, étouffant.

Paul Klee vers 1920, à propos de l’art des malades mentaux souligne sa « profondeur », sa « force d’expression » mais n’est-il pas d’abord l’incarnation d’une souffrance plutôt qu’un style ?

En effet, l’art des malades mentaux offre certainement un moyen d’exprimer la souffrance.

L’art brut ou » Outsider art », considéré comme « pur », un art non corrompu par la société  a fait l’objet, surtout dans la deuxième moitié du XXe siècle, d’expositions, d’études savantes mais a subi parfois aussi le mépris de la part de l’art établi. Même si la folie fascine, l’art moderne, souvent très engagé ne pouvait accepter une forme d’art sans figures consciemment créées qui font sens. Pourtant, l’art « fou », nonobstant son absence de rationalité, fait sens, même sur le plan esthétique en tant que production plastique. Par ailleurs, quoi qu’on ait pu penser sur sa capacité, l’aliéné souffre et souvent a conscience de sa maladie.

Adolf Wölfli. (1864 – 1930) voir ses oeuvres ici.

Dès le début du XXe siècle, des médecins comme Hans Prinzhorn à Heidelberg (voir quelques oeuvres de la collection de son musée ici),  reconnaissent la valeur et la « vérité » des oeuvres d’aliénés, un art qui fait sauter les digues de l’inconscient et fait sortir le refoulé au grand jour et immédiatement ssans passer par le filtre esthétique de l’art. Le médecin aliéniste suisse Walter Morgenthaler a beaucoup encouragé la création de son patient Adolf Wölfli (voir ici son analyse de l’oeuvre de l’artiste suisse), tout en s’intéressant à la signification de travaux plastiques d’autres malades dont il a collectionné des milliers d’oeuvres.

Adolf Wölfli, Schähren = Hall und Schährer = Skt. Adolf=Ring, 1926. Crayon sur papier, 50 x 66,4 cm. Aargauer Kunsthaus Aarau.

On connaît le rôle joué par Jean Dubuffet dans la promotion de l’art brut, le seul authentique car débarrassé du vernis « culturel » comme il disait. En effet, le regard porté sur l’art brut révolutionne la conception même de l’art comme l’avait fait Duchamp avec les premiers ready made.

Mais quelle est la spécificité de l’art brut dans la représentation de la douleur ?

Paul Ardenne affirme en effet que l’art des aliénés n’est pas une représentation de la souffrance des malades mentaux mais une  « forme souffrance » qui serait différente des représentations de la douleur chez les « artistes culturels ».

Car l’expression de la douleur et de la souffrance dans l’art « culturel », s’inscrit dans des codes formels précis qui n’ont que peu changé au fil du temps : tristesse, déréliction, visage défait, traits effondrés ou expressions de douleur physique, gestes, grimaces etc. Ces oeuvres jouent sur l’empathie, la recherche du sentiment même si certains artistes « culturels » comme Otto Dix arrivent à dépasser le tragique ou le pathétique pour aller vers le grotesque (Mutilés de guerre avec autoportrait de 1920) :

Otto Dix, Les invalides de guerre avec autoportrait, 1920, huile sur toile, Dresde, de?truit en 1942.

La première caractéristique de la souffrance dans l’art des aliénés mentaux est le fait qu’elle n’apparaît pas que rarement de manière directe.

L’univers d’Adolf Wolfli p. ex. est très créatif inventant à profusion des figures sacrées et profanes comme cette Grande Grande déesse Regentia (1915) : voir présentation d’une exposition ici et critique par Philippe Dagen ici.

Adolf Wolfli, Grande Grande déesse Regentia 1915, crayon et crayon de couleur sur papier, Bern Art Museum.
Adolf Wo?lfli, Bettania Gotes Aker 1927, Musée LaM, Villeneuve dAscq.
Voir quelques oeuvres ici :

 

Aux formes étranges s’ajoutent des textes délirants faisant état d’un dérèglement qui va jusqu’à inscrire « Saint Adolf » à plusieurs reprises sur ses oeuvres qui n’ont rien de doloriste. Même constat avec Aloïse Corbaz, dite Aloïse, artiste emblématique de l’art brut, internée pour schizophrénie en 1918 et dont les oeuvres s’étalant sur cinquante ans, semblent exprimer le besoin d’apaisement face aux tourments du moi meurtri.

Catalogue de ses oeuvres ici : http://www.aloise-corbaz.ch/content.aspx

Aloise Corbaz Princesse Juliana un hamac des eaux vives au the?a?tre, 1924-1941, Crayons de couleur et mine de plomb sur papier 29,5 x 21 cm.

Son univers théâtral aux figures féminines souvent de style un peu enfantin, mais aux seins développés et mis à l’air,  dans une ambiance de merveilleux rappelant la scène lyrique qu’elle avait fréquentée jeune, est aux antipodes du Théâtre de Cruauté d’Artaud.

les corps naïvement représentés, se caractérisent par une symbolique précise basée sur le vêtement et par le recours systématique aux couleurs vives (le bleu « des yeux » car « au théâtre on a les yeux bleus », le rouge auquel elle dit « obéir ». L’humanité d’Aloïse renvoie à sa vie refoulée et reproduit de manière obsessionnelle des sortes d’archétypes : rois et reines, séducteurs et séductrices, mères nourricières et enfants

Aloïse Adoration des Mages petit palais de Grenoble 14 octobre 1941, crayons de couleur et mine de plomb sur papier cahier 25x66cm.

Aloïse a beaucoup dilué les pigments des crayons de couleurs avec sa salive, ce qui donne un aspect très aquarellé à l’oeuvre. Sa pratique plastique tendant vers le merveilleux, a visiblement un rôle protecteur contre la douleur. Ici, la souffrance, au lieu d’enfermer le sujet malade dans l’autisme, semble paradoxalement libérer l’individu.

Mais cette dissimulation de la douleur n’est pas consciente d’où la seconde caractéristique de l’art « fou » : la « forme souffrance » se répand en infusant les oeuvres et ne prend pas la forme d’un « cri » de douleur affirmé.

 

Les chevaux à l’abreuvoir d’Adolf Schudel (1907-1908) l’auteur aussi des Crapauds à l’étang  sont des oeuvres qui ne laissent rien entrevoir de la maladie mentale.

Adolf Schudel Les chevaux à l’abreuvoir (1907-1908), crayon sur papier. (collection Prinzhorn).

Un traitement rigoureux de la composition, des éléments annexes (numérotation, titre qui montrent l’intégration de ces dessins dans une collection. La composition en perspective manque d’exactitude mais la représentation des animaux ressemble à ceux très stylisés de Franz Marc :

Franz Marc, Tour du cheval bleu, carte postale, 1913, 9×14 cm, Munich Staatsgalerie.j

Adolf Schudel L’étang aux crapauds, 1907, crayon sur papier. (collection Prinzhorn).

Paul Klee les admirait au point de les préférer à ses propres œuvres, avait été photographe, et l’on retrouve dans ses dessins le flou caractéristique des retouches photographiques qu’il pratiquait avant son internement,

Josef Grebing de son côté recopie  à l’encre de Chine d’interminables séries de chiffres qui font penser à l’art conceptuel des années ’60. Certaines oeuvres de la collection de Heidelberg :

http://www.psychiatrie-erfahrene.de/eigensinn/museumneu/grebingbilder.htm

Joseph Sell dans sa Grande Oeuvre sadique (1910-1914), présente l’image récurrente de femmes (dominatrices) pour conjurer sa « peur de l’autre sexe » : bottes de cuire, corps gainés de cuir, dessous provocants… Des instruments de torture viennent s’ajouter aux compositions mais quoique peu rassurants ils ne participent d’aucun rituel douloureux, correction ou jeu de domination. Cette sorte de naïveté est en réalité une dissimulation. L’oeuvre est l’image d’un corps et d’un esprit malade mais elle ne restitue pas l’image de cette maladie par définition  infigurable.

Joseph Sell Sadistik motif, 1910-1914 (crayon) Prinzhorn .

« Sell signait ses nombreuses lettres adressées à des administrations et à des princes du nom de Niveau, Prince Niveau, Niveau de la Couronne de marbre ou Niveau, directeur mondial de la nature. Elles rapportent comment on lui enjoint de gouverner, depuis l’asile d’aliénés, une foule de dames mariées voulant être satisfaites et comment, dans la mesure où il n’y consent pas, on l’importune au moyen de ce qu’il appelle « l’appareil à compromis ». Comment aussi on le nourrit, durant la nuit, d’odeurs de cadavres et lui fait subir les tortures les plus abjectes. Ses souffrances, qui sont constantes, lui sont envoyées, selon lui, par propagation des étincelles radio et s’accompagnent de sensations douloureuses, parmi lesquelles une forte démangeaison aux nerfs optiques, une électrisation de ses extrémités, un craquement des os crâniennes, des vertèbres cervicales et du dos, un chatouillement dans les paupières, les narines, le pharynx, le larynx et les organes génitaux. Il se plaint aussi d’odeurs de vomi, d’organes génitaux féminins, qui lui sont transmises électriquement, parle de l’injection ininterrompue qui lui est faite de vents intestinaux lui inoculant un cancer du rectum et l’empêchant pratiquement de marcher… »

(Extrait de Les primitifs du 20e siècle de Jean-Louis Ferrier)

L’art de Louis Soutter a fait l’objet de débats : un artiste d’art brut ? Un artiste tout court ? Ou entre les deux ? (voir article détaillé Wikipedia). Le Corbusier qui était de la même famille, lui  a acheté plusieurs dessins qu’il a exposés.

Pour Philippe Dagen dans sa critique de l’exposition qui lui fut consacrée en 2012, « Il fut un des plus grands dessinateurs du XXe siècle »

Lire son article ici : https://drive.google.com/open?id=0ByMLcNsCNGb5QXYxOVBFNHRVR2s

Et voici comment Soutter voyait son art :

Mes dessins n’ont aucune prétention, sauf celle d’être uniques et d’idée imprégnée de douleur.

Quelques oeuvres ici :

http://www.ozartsetc.com/2012/06/21/louis-soutter-le-tremblement-de-la-modernite-la-maison-rouge/

http://masmoulin.blog.lemonde.fr/?s=louis+soutter

Louis Soutter Le chat mort, composition au doigt 1937-1942.

Ce type de dessins – peintures inspira Joseph Beuys et A. R. Penck :

http://c4gallery.com/artist/database/a.r.-penck_/ar-penck.html

La maladie semble présente mais sans signe identitaire permettant de la reconnaître elle semble irriguer l’oeuvre se gardant toute expansion ostensible.

Comment catégoriser le rapport esthétique aux troubles psychiques ?

Prinzhorn avait montré que la « forme souffrante » dépend de la nature même des troubles mentaux. Les maniaco-dépressifs créent peu contrairement aux schizophrènes. Il souligne le paradoxe d’une expression artistique à dimension curative qui cependant réitère les obsessions car le « fou » ne guérit pas d’où justement sa folie contrairement à l’artiste « sage » qui peu passer indifféremment de la souffrance de vivre à la vie tout court. L’artiste fou a besoin de sa douleur pour créer et cette douleur psychique n’est pas une expérience vécue (l’ Erlebnis  romantique) à représenter comme font les autres artistes (Goya avec Saturne dévorant ses enfants p. ex.).
L’image créée par le malade mental n’est pas une représentation de la souffrance, c’est une image de son corps vu comme un objet extérieur à soi, avec celle-ci et non pas sa représentation, l’enfermement et l’isolement accentuant le sentiment de ne plus posséder que son corps. 

L’univers de la psychologie aliénée ou douloureusement vécue ne peut qu’être juste approché par l’art mais il reste assez difficile à cerner pour le profane, hermétique. Dans ce cas, que reste-t-il à « voir » pour le spectateur sinon la mise en esthétique de la douleur et du dérèglement psychologique ?

Un artiste majeur dont les oeuvres se placent au croisement des différentes approches de la douleur au XXe siècle est Tony Oursler (né en 1957 aux États-Unis) avec ses films vidéo et ses installations.

Il s’en prend violemment en les détournant vers le grotesque à la société et la culture pop. Il s’appuie sur le conditionnement de l’homme par la société, à sa violence, aux refoulements et même la morbidité.

Voir vidéo The Life of Phillis (1977-78) une de ses premières.

Un photogramme du film.

Présentation sur le site officiel de l’artiste (avec le film ici)

« Dans ce film psycho-sexuel, Oursler crée un univers théâtral scandaleux, en façonnant des personnages à partir d’objets trouvés improbables. Volontairement archaïques, ses images sont souvent grotesques, et conçues avec des raccourcis visuels ingénieux. Selon Oursler, « Life of Phillis est un paysage ironique fabriqué à partir des détritus de la culture pop ».

Autre exemple : Le film « Pain » : un visage parle (mais il est difficile à comprendre), pleure, grimace de tristesse à la manière des têtes d’expression de Le Brun.

Dans le montage ci-dessous on voit sa tendance à fragmenter le corps et le visage qui exprime plusieurs sentiments désagréables ; suffocation, convulsion douleur, lamentation, cri.

Il affirme son intérêt pour les désordres psychologiques et multiplie à partir des années 90 des installations avec des pantins et des « poupées ».

Voir son site : http://tonyoursler.com/work.php?navItem=work&subsection=Installations&year=2012&page=1

D’une certaine manière, on à faire ici à ce « théâtre de cruauté » dont parlait Artaud, un « théâtre » qui n’est pas celui qui fait valoir »cette cruauté que nous pouvons exercer les uns contre les autres en nous dépeçant mutuellement les corps ou en nous adressant par la poste des sacs d’oreilles humaines » mais, au contraire, celle « beaucoup plus terrible et nécessaire que les choses peuvent exercer sur nous ».

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