Peut-on réduire la morale aux moeurs ?

 

Repérer l’enjeu du sujet (2ème partie d’introduction)

Tout le problème est de savoir s’il suffit de décrire le mode de vie habituel caractéristique d’une société (ses moeurs) cad son alimentation, son organisation du travail, ses loisirs, ses coutumes, ses célébrations des grandes étapes de l’existence (naissance, mariage, mort) de façon objective et scientifique, pour rendre raison des prescriptions de la morale. Si la réponse est positive, c’est que non seulement rien n’empêche mais même la connaissance autorise à réduire la morale aux mœurs pour la ramener à la réalité sociale plurielle des mentalités telle qu’elle peut être objectivement décrite par la science; cependant cette réduction scientifique implique-t-elle une meilleure définition ou au contraire une dissolution de la morale ?
A l’inverse, si la réponse est négative, c’est qu’il est essentiel à la morale qu’elle conserve un sens large bien au-delà du cadre étroit des mœurs d’une société particulière, en tant que que ses prescriptions appellent la réflexion éthique sur les fondements universels de la conduite humaine. Cependant, cette universalité ne repose-t-elle pas sur l’illusion d’une apparence publique de la vertu dissimulant la pratique privée du vice  ?

Eléments de rédaction du développement

 

(I De l’explication scientifique des mœurs à la licence morale)

I.I La morale se réduit aux mœurs pour la science qui étudie des faits objectifs : à chaque époque et à chaque groupe social son mode de vie et ses codes sociaux. Pour l’ethnologue, chaque peuple a ses us et coutumes qui appellent à être comprises dans leurs significations et non jugées dans leurs valeurs. Le cannibale des Amériques, dit Montaigne dans ses Essais, qui mange le corps de son père défunt ne le fait pas par cruauté mais par religion. La science des mœurs permet de comprendre que la morale n’est pas une mais multiple. Elle forme à la tolérance, autant qu’à la rigueur de l’observation attentive des faits sociaux. Elle nous ouvre à la vérité du relativisme moral selon lequel : « Chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage » (Montaigne Essais livre 1). C’est finalement l’idée même de civilisation que la science des mœurs contribue à mettre en doute.

I.2 Cependant, un tel constat n’est pas sans susciter l’inquiétude de celui qui veut malgré tout conduire sa vie en cultivant une estime raisonnable de lui-même. La conscience morale de chaque homme peut ainsi légitimement s’indigner du conformisme social qui impose de façon autoritaire un mode de vie uniforme aux membres de la société, au risque d’être traité de « libertins » quand ils rejettent dans la société françaises du XVIIIème siècle, les mœurs religieuses d’un christianisme jugé trop austère. Elle peut aussi à l’inverse s’indigner de la licence morale qui pousse au relâchement de toute discipline, et incite aux attitudes les plus irresponsables en matière de conduite : perte de ce rituel de la sollicitude qu’est la politesse, violence comportementale banalisée, incapacité à raisonner autrement qu’à travers un calcul égoïste où l’autre n’est qu’un moyen manipulable et non une personne respectable.

N’est-ce pas alors la morale dans sa forme supérieure et fondatrice qui permet aux mœurs de conserver une forme d’intégrité sans laquelle il n’y a pas de vie sociale possible ?

(II De la réflexion éthique à l’hypocrisie des mœurs)

2.1 La morale bien comprise doit étendre ses frontières au-delà des mœurs particulières de chaque société. C’est à cette condition qu’elle peut constituer une démarche fondée sur la valeurs universelle du Bien, cette norme absolue sur laquelle l’âme doit se régler pour produire une action bonne selon Platon dans le livre 7 de La République. Quelle que soit la façon dont on se le représente, le Bien est une valeur en soi universelle. C’est encore le Bien à quoi incite l’expérience de la pitié ou auquel exhorte l’injonction chrétienne: « Aimez-vous les uns les autres ». On peut alors considérer la morale comme le fondement des mœurs ; en effet, certains usages habituels des mœurs peuvent avoir des fondements moraux cachés, et c’est le rôle de l’éthique de mettre au jour, par la raison, ces fondements moraux pour retrouver ce que Kant appelle la « partie pure » ou « métaphysique» de la doctrine des mœurs, laquelle se distingue de l’ « anthropologie pratique », qui est la « partie empirique » de cette même doctrine (le titre d’un de ses ouvrages est ainsi Fondements de la métaphysique des moeurs). C’est ce rôle d’investigation raisonnée que se donnent les « comités d’éthique » qui interrogent le bien-fondé de pratiques comme l’euthanasie, le clonage, la G.P.A ou la fécondation in vitro.

2.2 Cependant, les mœurs peuvent donner l’apparence trompeuse d’une vertu morale publique en réalité inexistante en privé, ce qui est une autre façon de réduire le sens de la morale aux mœurs. Rousseau montre ainsi dans le Discours sur les sciences et des arts que la vertu rustique ne requiert pas la politesse (« l’urbanité »), et que cette politesse affichée peut aisément s’accompagner du vice dissimulé, conduisant ainsi à la dissociation généralisée de l’  « être » et du « paraître » social: ainsi, avec cette hypocrisie des mœurs par laquelle on fait tout bas le contraire de qu’on proclame tout haut, « On ne saura donc jamais bien à qui on a affaire ». Plus, en dissimulant les caractères, l’hypocrisie des mœurs finit par anéantir la bonne foi de la morale sincère car « On ose plus paraître ce qu’on est ». Est rendue finalement impossible la vertu authentique.

 

Eléments de conclusion

 

Il est possible et même souhaitable de réduire la morale aux mœurs pour permettre une meilleure explication scientifique de la réalité sociale dans laquelle elle s’incarne; mais en un autre sens, une telle réduction est illégitime car elle signifie la dissolution de la morale, entendue comme réflexion éthique sur les fondements métaphysiques des mœurs. Rien n’empêche cependant qu’une telle dissolution ne s’opère au sein des mœurs d’une société, soit que celle-ci ne tienne plus sa cohésion que d’un conformisme social intolérant à la diversité des mœurs, soit que ces mœurs ne dégénèrent en une licence morale, rendant impossible toute réflexion éthique sur ses fondements, mais pas toute vie sociale vouée alors à l’hypocrisie des mœurs.

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