Toute vérité est-elle démontrable ?

Hy Analyse du sujet :

Toute vérité : l’expression renvoie soit à un ensemble de vérités diverses dans leurs formes (« toutes les vérités »), soit à la possibilité d’une totalisation de la vérité (« toute la vérité ») . Elle suggère donc de parler soit de vérités au pluriel, soit de la vérité au singulier.

Etre démontrable : il s’agit d’une propriété : celle de pouvoir être démontré, de satisfaire aux exigences de la démonstration, cad d’une procédure de raisonnement liant déductivement cad de façon nécessaire les énoncés d’un discours selon un ordre intelligible.

Le problème : il est celui du sens, de l’étendue mais aussi des limites de la raison démonstrative : qu’est-ce qu’un discours démonstratif ? Quelle vérité peut-on démontrer avec lui  ? Il est aussi celui du sens unitaire ou pluriel de la vérité : le démontrable permet-il de faire le partage entre des vérités scientifiques et un vérité non-scientifique ?

Développement :

1/ Ce qui est d’abord suspect dans l’idée d’une vérité totalement démontrable, c’est la prétention à manifester une omnipotence de l’esprit humain à dire « toute la vérité » par le seul discours, comme si ce discours pouvait nous dévoiler toute la vérité que nous dissimuleraient au contraire au moins en partie nos sens. C’est donc le projet sophistique de discours public (epideixis) qui est à examiner.
Pour sortir le discours démonstratif du jeu d’illusion et de séduction dans lequel l’enferme les sophistes, il ne faudra pas inventer moins que la dialectique logique cad élaborer un art de raisonner qui devienne la structure de tout raisonnement scientifique mettant en relation les idées entre elles de façon à formuler une logique qui décide de l’être (ontologie).
Cependant, un tel discours s’il permet d’élaborer les conditions d’une démonstration authentique (apodeixis) trouve à se déployer dans un domaine privilégier qui est celui de la géométrie, comme l’expose Les éléments d’Euclide présentant des définitions rigoureuses de figures ainsi que les démonstrations de leurs propriétés. Dans les autres domaines, la démonstration a encore fort à faire pour se démarquer des discours sophistiques, dont c’est souvent la réfutation, cette forme négative de la démonstration, critiquant les formes imparfaites de celle-ci, qui tient lieu de raisonnement.

2/ Ce qui est ensuite douteux, c’est de pouvoir attribuer la propriété du démontrable à toutes les formes de vérité, comme si on ne pouvait pas qualifier de vérités des propositions clairement indémontrables comme « les vérités de la foi », du cœur, ou encore les vérités morales du serment ou de la promesse. Rien ne permet humainement de démontrer qu’une déclaration d’amour est vraie ou qu’une promesse sera vraiment tenue. C’est le projet rationaliste d’enchaîner toutes les vérités les unes aux autres en un système parfaitement cohérent qui mérite d’être interrogé.
Le nerf de cette extension de la démonstration à toutes les vérités est l’examen des preuves de l’existence de Dieu à partir de l’examen,1/ soit de l’insuffisance de notre existence à se suffire à elle-même, nécessitant donc une raison suffisante qui en soit la cause, 2/ soit de ce que réside en nous-mêmes, au cœur de nos consciences, l’idée de « Parfait » dont nous ne pouvons être seuls les auteurs, et qui doit donc bien avoir pour cause une réalité objective qui soit à la mesure de cette idée, 3/ soit de l’examen de l’idée de Dieu elle-même contenant en son essence l’impossibilité de ne pas être : « on peut démontrer qu’il y a un Dieu de cela seul que la nécessité d’être ou d’exister est comprise en la notion que nous avons de lui. » (Descartes Principes de la philosophie I, 14).
Il s’agit d’affirmer la puissance de la démonstration en en faisant la voie royale de la connaissance de toutes les vérités, mais ce projet se renverse en un scepticisme abyssal dès qu’on cherche à en faire une méthode parfaite de raisonnement scientifique s’appliquant à tous les éléments du discours :
En effet, « cette véritable méthode qui formerait la démonstration dans la plus haute excellence, s’il était possible d’y arriver, consisterait en deux choses: l’une, n’employer aucun terme dont on n’eût expliqué le sens, l’autre de n’avancer jamais aucune proposition qu’on ne démontrât par des vérités déjà connues… cette méthode serait belle, mais elle est certainement impossible » (Pascal De l’esprit géométrique). Il n’y a pas de démonstration qui ne repose sur des notions indéfinies et des prémisses non-démontrées. De plus, la démonstration n’est pas une voie de connaissance aussi glorieuse qu’on pourrait le penser si elle ne consiste finalement qu’en « la résolution d’une vérité à d’autres vérités » (Leibniz Lettre à Conring). Une vérité n’est démontrable que si elle est intimement liée à d’autres vérités qui doivent l’être également, à moins qu’elles ne reposent sur des indémontrables (axiomes logiques, principes métaphysiques) qui constituent alors des vérités situées au-delà de toute connaissance démonstrative, saisies à la lumière d’une évidence non discursive, dans un dévoilement intuitif qui est aux limites de la raison.

3/ Si la science n’est pas toute démonstrative, c’est parce que nombre de ses vérités mêmes les plus certaines restent des hypothèses dont la validité est relative à une méthode de réfutation plus qu’à une méthode de démonstration. Ce sont donc des vérités provisoires et non définitives qui sont comme en sursis. La plupart des vérités scientifiques sont ainsi scientifiques parce qu’elles ont pour propriété d’être falsifiables (cad de pouvoir être testées en permanence par des expériences critiques) plutôt que démontrables. Cf : Popper : « Un système faisant partie de la science empirique doit pouvoir être réfuté par l’expérience » (Popper Logique de la découverte scientifique, I, 1, 6)

Ces vérités peuvent donc conduire à des mesures et à des expériences d’observation précises. Par exemple, la mesure de la vitesse d’un corps en chute ou l’expérience permettant d’observer la fonction glycogénique du foie (Bernard). Ces expériences mesures présupposent cependant comme vérité de base que tous les phénomènes de la nature sont régies par un déterminisme explicable démonstrativement par la raison: chaque phénomène serait intégralement l’effet d’une cause qui le conditionne, ce qui implique que chacun pourrait être anticipé et calculé en fonction de lois démonstratives: loi physique de Galilée (1602), loi physico-chimique de la constance des phénomènes vitaux de Bernard (1863). C’est ainsi que dans la science moderne « Le déterminisme est descendu du ciel sur la terre. » (Bachelard Le nouvel esprit scientifique, p. 105).

Les mesures et les expériences d’observation de la science expérimentale présupposent donc la démonstration de vérités qui permettent à l’esprit scientifique « de se représenter la réalité comme un tout parfaitement cohérent et maîtrisé que soutient une armature logique. » (Bergson La pensée et le mouvant, p. 247). Cependant, si on en restait à ces vérités de raison, on ne comprendrait pas la place de l’homme dans la nature, et la dimension pratique et créatrice d’une vérité qui n’est pas « déposée dans les choses et dans les faits » (Op. Cit, p.245), mais qui s’invente au fur et à mesure que la volonté humaine découvre tout à la fois la force de ce qui lui résiste et son pouvoir d’étendre son empire sur les choses, ce qui la conduit à choisir entre deux attitudes face au réel : – soit agir de façon subtile et sensible, soit de façon impérieuse et rationnelle. La première est attentive au courants de réalité comme un bateau à voile « prend la direction du vent et rend sensible aux yeux la force naturelle qu’il utilise » (Op. cit, p. 230), la seconde comme un bateau à vapeur consacre le triomphe de la domination technicienne et du mécanisme artificiel, et démontre le pouvoir de la volonté humaine d’assigner au réel « une direction que nous avons choisi nous-mêmes. » (Op.cit)

Eléments de conclusion

Un discours démonstratif n’est pas seulement un discours persuasif : mais en gagnant en rigueur scientifique, la vérité démontrable perd en étendu et se morcelle en vérités plurielles et provisoires que les lois de la raison posent comme les postulats d’un système de pensée cherchant à rendre le réel prévisible et déterminable à l’avance (prévisible) : « Nous devons envisager le monde extérieur, non comme dirigé par des volontés quelconques, mais comme soumis à des lois, susceptibles de nous permettre une suffisante prévoyance, sans laquelle notre activité pratique ne comporterait aucune base rationnelle. » affirme ainsi A. Comte dans son Discours sur l’esprit positif (p. 39).

L’expérience de la vérité ne se ramène cependant pas seulement à des lois de la raison contenues dans l’expérience, et qu’il suffirait de dégager par une démonstration rigoureuse et une observation attentive de ses effets anticipés, elle est aussi expérience de « la création continue d’imprévisible nouveauté » (Op. cit p.99) cad d’une vérité qui n’est pas logée dans le réel « comme une noix dans sa coquille » (Op.cit, p. 246), une vérité qui ne préexiste pas au réel mais le transforme et l’invente sans cesse, vérité à laquelle l’homme ne cesse de donner un sens spirituel qui peut être esthétique, religieux ou moral, mais qui n’est jamais une pure vérité démontrable de raison.

Citations utiles pour le sujet: « Toute vérité est-elle démontrable ? »

1. « on peut démontrer qu’il y a un Dieu de cela seul que la nécessité d’être ou d’exister est comprise en la notion que nous avons de lui. » (Descartes Principes de la philosophie I, 14).

2. « cette véritable méthode qui formerait la démonstration dans la plus haute excellence, s’il était possible d’y arriver, consisterait en deux choses: l’une, n’employer aucun terme dont on n’eût expliqué le sens, l’autre de n’avancer jamais aucune proposition qu’on ne démontrât par des vérités déjà connues… cette méthode serait belle, mais elle est certainement impossible » (Pascal De l’esprit géométrique)

3. « Un système faisant partie de la science empirique doit pouvoir être réfuté par l’expérience » (Popper Logique de la découverte scientifique, I, 1, 6)

4. « Le déterminisme est descendu du ciel sur la terre. » (Bachelard Le nouvel esprit scientifique, p. 105).

5. Bergson soutient que pour penser la vérité il n’est pas nécessaire « de se représenter la réalité comme un tout parfaitement cohérent et maîtrisé que soutient une armature logique. » (Bergson La pensée et le mouvant, p. 247). Il parle d’une vérité non démontrable en tant qu’elle n’est pas « déposée dans les choses et dans les faits » (Op. Cit, p.245) ; Il symbolise deux attitudes face au réel : la première est symbolisé par le bateau à voile qui « prend la direction du vent et rend sensible aux yeux la force naturelle qu’il utilise » (Op. cit, p. 230) ; la seconde est symbolisé par le bateau à vapeur par lequel nous prenons toujours impérieusement « une direction que nous avons choisi nous-mêmes. » (Op.cit). Par cette vérité est possible l’expérience de « la création continue d’imprévisible nouveauté » (Op. cit p.99) cad d’une vérité qui n’est pas logée dans le réel « comme une noix dans sa coquille » (Op.cit, p. 246),

6. « Nous devons envisager le monde extérieur, non comme dirigé par des volontés quelconques, mais comme soumis à des lois, susceptibles de nous permettre une suffisante prévoyance, sans laquelle notre activité pratique ne comporterait aucune base rationnelle. » (A. Comte Discours sur l’esprit positif (p. 39)

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