L’histoire peut-elle remédier aux falsifications de la mémoire ? (ES)

 

ANALYSE DE NOTIONS :

Falsification : rendre faux

Mémoire :  faculté de se souvenir

Remédier : contribuer à soigner –  guérir

Histoire : 2 sens (Aron): devenir de l’humanité ou science que les hommes s’efforcent d’élaborer de ce devenir à partir d’un reportage sur le passé ( historia (grec): enquêter – rapporter ce que l’on sait)

ANALYSE

Pour beaucoup de sociétés humaines traditionnelles, la mémoire n’a rien d’historique, mais relève intégralement d’une croyance en l’irréalité du devenir humain. Pour ces sociétés archaïques,  il n’y a de réel que de ce qui ne connait aucune transformation radicale, aucun changement fondamental. La seule histoire possible est alors une « histoire mythique » (Elliade) qui raconte tout ce qui a été à l’origine, et annonce tout ce qui sera à la fin. Ce récit souvent oral a une fonction thérapeutique : il apaise les inquiétudes des hommes, non seulement devant l’avenir, mais aussi devant l’ignorance dans laquelle ils sont de leur passé, et il les pousse ainsi à ne vivre que dans une sorte de perpétuel présent, où le temps, cyclique, n’a pas vraiment d’autre sens que celui de la répétition du même. Que change alors la modernité de l’histoire dans le rapport de la société à la mémoire de son passé ? Permet-elle de se garder de toute erreur, voire de tout mensonge ? Peut-elle prétendre remédier à une supposée falsification de la mémoire ?

L’idée que la mémoire puisse être falsifiée ne peut naître que dans une culture de la recherche historique de la vérité. Etablir des faits en éliminant tout ce qui contribue à entretenir la croyance en des fables : telle est la tâche de l’historien. Celui-ci va donc instaurer un rapport critique (Krinein (grec): juger avec la raison) à la mémoire, rapport fait de sélection de témoignages, de recoupement d’archives, et d’invention de procédés techniques (ex : datation au carbone 14). L’historien ne se contente ainsi pas de relater le passé, il en déconstruit le souvenir subjectif pour en reconstruire la représentation objective. Il remédie à ce qu’on peut estimer raisonnablement être les défauts de la mémoire : l’oubli, les faux-souvenirs, les zones d’ombre, mais aussi les dissimulations volontaires et délibérées

Ainsi, l’art de falsifier les documents  peut rivaliser avec celui d’en établir l’authenticité historique, comme le montre l’exemple de la photographie retouchée du deuxième anniversaire de la Révolution d’octobre du 7 novembre 1919, sur laquelle la trace de la présence de Trotsky a été, sans doute à l’époque stalinienne, effacée. De plus, cet usage de la raison critique tend paradoxalement à instaurer un climat de méfiance au sein de la culture savante: tout critiquer revient en effet à valider la thèse de n’importe quelle « théorie du complot » qui encourage la paranoïa plutôt que l’investigation raisonnée. Toutes les méthodes historiques peuvent ainsi être retournées contre leur objectif initial d’éclaircissement de la vérité des faits. Enfin, quand le pouvoir politique instaure le contrôle du passé d’une nation, il est presque capable d’anéantir jusqu’à l’existence objective des faits historiques eux-mêmes, projet d’un « ministère de la vérité » tel que le représente Orwell dans son roman 1984.

Tout cela signifie-t-il l’échec de la connaissance historique devant les puissances trompeuses de la propagande politique, des révisionnistes et des négationnistes, ces anti-historiens qui ressemblent « comme chien et loup » aux historiens véritables ? Le comble du mépris de la vérité historique a en effet sans doute été atteint avec les manœuvres déployées pour nier l’existence des chambres à gaz et le projet d’extermination des juifs d’Europe de la seconde guerre mondiale. Ce sont en effet des symboles de l’atrocité de l’histoire contemporaine qui ont été visés par ces pseudo-historiens. Ces provocations ont eu au moins l’avantage de rappeler qu’au-delà de l’investigation historique, le passé fait aussi l’objet d’un vigilant devoir de mémoire qu’il convient d’observer avec le respect dû aux peuples et aux personnes niées dans leur humanité lors de ces périodes sombres. Si l’historien est le gardien de la mémoire, il ne garantit malheureusement pas absolument contre ses tentatives d’assassinat.

Auteur/autrice : JFC

Professeur de philosophie au lycée du Loquidy

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