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LETTRE DE THÉRÈSE À BERNARD

La lettre ci-dessous a été rédigée par Thérèse Desqueyroux, héroïne du roman éponyme, à destination de l’homme qu’elle a essayé d’empoisonner par le passé, son époux, Bernard Desqueyroux. La femme décide alors de lui envoyer cette lettre une fois qu’il l’a abandonnée dans les rues de Paris, après la séquestration, afin d’enfin mettre des mots sur ce qu’elle ressentait et de clore ce chapitre de sa vie. Elle essaiera une dernière fois d’ouvrir son cœur à son époux afin de tenter une ultime approche, une ultime tentative de justifier ses actes et ses choix.

Mon cher Bernard,

Je ne sais ni par où commencer, ni où cela va me mener. En fait, je ne suis même pas consciente de la raison pour laquelle je t’adresse ces paroles. Tu n’essaieras jamais de me comprendre, peu importe la profondeur de ces mots, et celle de mes maux.

Pourtant, j’y ai cru. Jusqu’au bout. J’ai vraiment cru que finalement, tu tenterais de comprendre les raisons de mes agissements. Et lorsque tu as feint d’y prêter attention, pour la première fois depuis des années j’ai ressenti un sentiment étouffé au fond de mon cœur. Un sentiment doux qui aurait pu me bercer et apaiser l’entièreté de mon être. Je l’ai senti traverser la coquille solidement forgée par mes expériences vécues et caresser ma conscience avec tendresse. J’aurais voulu qu’il émerge davantage avant que tu ne fasses partir tous mes espoirs en fumée. Néanmoins, le Bernard que je ne connais que trop bien est réapparu en quelques secondes, ne me permettant pas d’exprimer ce que j’aurais tant voulu te confier. Ce Bernard toujours concentré sur ses objectifs, antipathique et stoïque face à moi. Nos cœurs n’ont jamais accepté de s’ouvrir l’un à l’autre. Nous n’avons jamais essayé de nous ouvrir l’un à l’autre. La base d’un couple est la communication, qu’ils disaient tous. Nous faisions partie de ceux qui étaient incapables de s’accepter, incapables de faire des efforts, incapables de penser à l’autre. Nous faisions partie de ceux qui n’étaient pas faits pour aimer, ni pour être aimés. Et, par dessus tout, nous faisions partie de ceux qui étaient incapables de s’aimer.

Tu m’as tout pris ; et même après avoir été dépouillée, j’ai continué à croire que tu changerais. Que mon père changerait. Que quiconque dans mon entourage changerait, et me permettrait d’espérer. Espérer quoi, tu me diras ? Je ne sais pas. Je n’en sais rien. J’ai continué de croire qu’enfin viendrait le jour où quelqu’un réussirait réellement à me considérer. Je ne sais pas si l’espoir fait vivre, mais je sais qu’il m’empêchait de mourir. Ridicule, tu me diras sûrement. Je suis probablement trop stupide pour saisir le réel enjeu de mes actes. Probablement trop stupide pour te comprendre.

Stupide.

Stupide.

Stupide.

Avant mon retour à Argelouse, mon géniteur m’a fermement demandé de t’obéir et d’apparaître à tes côtés comme si nous ne faisions qu’un. « Comme les deux doigts de la main », a-t-il ordonné. Tout ce qu’il voulait était éviter les rumeurs. Vous vous êtes bien trouvés, finalement. Toujours obsédés par votre carrière, en s’oubliant et en oubliant ses proches.

Cependant, je ne me suis jamais sentie aussi vivante que le jour où j’ai augmenté tes doses. Je sentais mon cœur pulser à travers mes doigts. Mes oreilles n’entendaient plus rien, si ce n’est le doux bruits de l’arsenic tombant dans ton eau. Ma vue était brouillée, ne distinguant plus que les gouttes rebondir et éclabousser légèrement les parois du verre. Une adrénaline intense m’animait, et je ne saurais réellement comment exprimer ni justifier mes méfaits. J’aurais beau essayer de me convaincre que ce n’est pas ce que je voulais et que je regrette mon acte, je sais que cela n’est qu’un mensonge.

Le cerveau humain est fascinant, n’est-ce pas ? Si intelligent, mais tellement incapable de formuler correctement les idées tues dans mon esprit. C’est beau et effrayant. J’ai cherché à élaborer une défense de roc pour me justifier. Je souhaitais plus que tout me confier à toi, confesser mes actions, afin que nous puissions essayer de créer quelque chose de nouveau. Mais tu as bel et bien détruit ce qui aurait pu exister entre nous, réduisant définitivement mes espoirs à néant. Cet espoir, qui m’empêchait de mourir, tu te rappelles ? Il avait cessé de vivre, me faisant alors perdre mon humanité. Tu m’as tout pris. Tu m’as brisée. Je n’aurai jamais pu devenir la femme que je souhaitais être en restant à tes côtés. Cette décision que tu as prise, de me rendre ma liberté et de m’abandonner, a sûrement été la meilleure que tu as pu prendre. Je t’en remercie.

À toi, que j’aurais peut-être été capable d’aimer dans une autre vie, dans un autre monde, ou dans un autre univers,

Thérèse Desqueyroux.

Bernard recevra finalement cette lettre quelques jours plus tard, et la brûlera sans même en avoir lu le contenu. Le simple nom de son épouse affiché sur le courrier a suffi à lui hérisser les poils, ne créant ainsi aucune volonté de découvrir ce qui était écrit dans cette missive. Ce dernier épisode termine alors le livre Thérèse Desqueyroux, finissant sur une énième mais dernière incapacité de communication au sein du couple.

Article réalisé par Loïse

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