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COURRIEL DE SALVATORE A ANGELO

De : Salvatore
CC : Angelo
Objet : Mon journal de bord
Date : 13/02/2005

 

Coucou Angelo, mon très cher ami,

Suite à mon départ de Catane, ma vie a basculé, tout a changé. En effet ma vision et mon intérêt pour ce monde ont beaucoup évolué. Je t’adresse ce courriel, qui raconte mon chemin depuis que je t’ai quitté. Il est si important pour moi de te partager ce journal de bord, qui te raconte mon histoire et l’impact que cette aventure a eu sur ma vie. Je suis sur le point de quitter Ghardaïa pour aider mes frères car j’ai trouvé un sens à mon existence.

Suite à mon départ précipité de mon pays, je n’ai bénéficié que du strict nécessaire pour mon voyage. Cela aurait pu me déplaire, mais je n’avais plus goût au matériel. Mon unique souhait est de quitter cette ville qui ne me correspondait plus et ce, même si je ne devais m’en aller qu’avec ma barque. Cette embarcation a été pour moi le signe de ma liberté et de la vie que je souhaite mener. Elle est si petite, à l’opposé de ma frégate, mais c’était cela que j’apprécie le plus dans ce merveilleux moyen de transport. Je ne peux espérer mieux. Lors de mon départ j’ai dû rester discret. Ce silence m’a semblé  idéale pour faire mes adieux à l’endroit qui m’a fait vivre durant tant d’années et sans éprouver aucune tristesse. En démarrant ma barque, je ne suis plus personne, j’abandonne mon identité pour devenir une personne comme tant d’autres. Je ne suis qu’un individu qui n’existe plus pour personne et qui part traverser les frontières dans le sens inverse des émigrés.

Le voyage est long, très long. Mais cela me remplit de soulagement, de sérénité, de liberté. Je me sens vivant pour la première fois de ma vie. Je longe de nombreuses îles, notamment celle qui avait laissé échouer les cinq barques que je n’ai pas réussi à sauver. Je ressens un pincement au cœur lorsque je me rappelle les 3 barques que je n’ai jamais pu retrouver et qui ont dû être emportées par les forces violentes de la mer. Cela me conforte et me rassure. En effet j’ai pris la bonne décision. A l’heure actuelle je cherche ma réelle identité. Je ne me reconnais plus. Cette vie que j’ai vécue tant d’années sans me demander si j’étais réellement moi. On m’a formaté comme un automate en m’enlevant une part de mon humanité que j’espère retrouver. Je suis dans une quête continuelle de ce qui pourrait me définir et me combler.

J’ai finalement échoué sur le territoire d’Al-Zuwarah. Je me suis étourdi lors de mon arrivée, et pourtant je suis si heureux d’avoir effectué ce si long périple qui est en réalité loin d’être terminé. J’ai donc marché, j’ai voulu appréhender ce territoire dont je ne connaissais que très peu de choses. A ce moment-là, les éléments se sont très vite enchaînés. Je me suis fait arrêter par la police du territoire, puis après leur avoir donné le peu d’informations qui me restaient de mon « ancien moi », ils m’emmènent voir une des femmes les plus affreuses que j’ai eu le malheur de rencontrer. Cette « femme », si je peux la nommer ainsi, est la personne qui gère tous les départs d’émigrés vers l’Europe. Mais sa réelle mission est de dépouiller les personnes ayant très peu de moyens, qui rêvent d’accéder à une nouvelle vie tout en sachant qu’ils n’y arriveront pas. Cette manipulatrice achète toutes les personnes avec quelques liasses de billets. J’ai ressenti à cet instant un dégoût si profond envers elle, que j’ai éprouvé le besoin irrémédiable de m’en aller. Ce besoin a été jusqu’à me bruler. Elle a également essayé de se servir de moi en m’offrant de l’argent, que j’ai accepté, pour qu’elle me laisse partir. J’ai ensuite utilisé cette somme  afin de prendre un car. Je pars sans savoir une nouvelle fois où je me rends. Mais je pars de ce territoire qui n’a fait que me dégouter encore plus de ce que je suis. Je dois m’en aller pour poursuivre ma quête, qui est à ce moment-là loin d’être achevée.

Je suis donc monté dans ce car sans destination précise. Le seul élément que j’ai en ma possession est le possible lieu d’arrivée qui se nommait Ghardaïa. C’est une ville que je ne connais pas mais j’ai finalement décidé de m’y aventurer sans trop d’hésitations. Contre toute attente, cette étape est bien plus longue et difficile que prévue. Le chauffeur s’arrête pour effectuer des pauses mais pas uniquement. Il demande à chaque fois plus d’argent pour pouvoir continuer. Lors de ma première pause, j’en ai eu assez pour contenter le conducteur. Mais lorsque le trajet a repris, les questions des passagers commencent. En effet après avoir appris d’où je viens, je suis submergé de questions de certains, de rêves pour d’autres. Mais cette conception de rêve est bien éloignée de l’endroit d’où je viens. Ainsi j’ai malgré moi véhiculé ce dégoût et toute ma frustration dans mes réponses qui déplaisent de plus en plus. Mais je ne regrette rien à cet instant. Malheureusement lors de la deuxième pause je n’ai pu payer la suite du voyage. Je suis donc rester seul, abandonné sur le bord de la route. Je suis désemparé. Le monde ne fait que me ralentir, m’empêche d’avancer. Je me sens bloqué au plus profond de moi. Je ne suis plus que solitude et misère. Je ne sais ce qui me garde encore debout. Tout ce que j’essaye d’entreprendre échoue lamentablement, sans me laisser aucune chance. Je n’ai jamais été aussi perdu mentalement et physiquement qu’à cet instant.

J’ai donc erré seul, sans espoir de pouvoir me retrouver un jour. Je n’ai aucun but, aucune destination. Je marche sans savoir pourquoi mais je marche. J’observe ce qui m’entourait et découvre un petit groupe autour d’un feu de camp avec un homme qui conte l’histoire du merveilleux dieu des émigrés :  « Massambalo ». Selon le narrateur, ce dieu enverrait des ombres sous la forme de personnes ordinaires pour aider les émigrés dans leur voyage. Si ces derniers ont la chance d’en croiser un et de le reconnaitre, ils n’ont plus aucun souci à se faire. En entendant cette histoire, j’ai compris que je n’y croyais plus. Cela ne peut être vrai. La Femme du Vittoria, elle , avait prié tous les dieux possibles pour que tout se passe bien et pourtant elle s’est fait ruiner et a perdu son seul et unique enfant. Si ce dieu existait vraiment, comment aurait il pu laisser une telle chose arriver. Mais pourtant, au plus profond de moi je suis si jaloux de la naïveté et de la croyance que tous ces personnes peuvent avoir en ce dieu et que moi je n’aurais jamais. « Je ne fais plus partie des hommes », je ne crois plus en rien. Tout homme a au fond de lui une croyance, une âme qui le garde en vie, mais pour moi, il n’en est rien. « Je ne vis plus pour rien ». Je ne laisse personne derrière moi. Je n’ai pas de famille, pas de compagnon de route, je n’ai plus personne. Pour quelle raison devrais-je continuer à mener cette vie où je ne me reconnais plus, où je ne me retrouve plus. J’ai l’impression que rien ne me fait encore respirer. Des idées noires commencent à m’envahir tout entier. Je ne sais que faire. Je veux donc en finir. Et dans le noir où je suis plongé, j’aperçois un bidon d’essence qui va enfin pouvoir me libérer. J’asperge tout mon être d’essence. Cela me procure une telle sensation de bien-être. Je sens la fin de mon histoire arriver, malgré l’odeur nauséabonde.  Je suis si proche du but mais lorsque j’entreprends de chercher du feu, je n’en trouve nulle part. Me revoilà au point de départ. La vie veux me torturer, me faire souffrir encore une fois. Qu’est-ce que j’ai bien pu faire dans ma sombre vie pour que je n’ai même pas le pouvoir de mettre fin à mes jours. Je me surprend à supplier un homme pour obtenir du feu, qu’il refuse bien sûr de me donner en voyant mon état. Je n’en peux plus. Rien ne se déroule comme je le souhaite, même pas une fois dans ma longue existence. Je sens ma vue se brouiller. Le voilà enfin ! C’est mon moment de partir. Je le veux si fort. Mais par malchance je ne fais que m’évanouir.

Lors de mon réveil, que je ne souhaitais pas, deux hommes que je ne connaisse pas décident de m’emmener où je le veux. Sans savoir quoi dire d’autre, je cite le seul nom de ville dont j’ai le souvenir, Ghardaïa. Le trajet est rapide cette fois ci. A mon arrivée je décide de me rendre sur la grande place. Il s’agit de l’unique endroit où  je peux être complètement invisible. Je me pose au milieu de cette place en continuant de me questionner. Je me demande si je dois poursuivre ce combat contre ma vie, contre moi. Quel chemin je dois emprunter ? Si même le fait de vouloir en finir n’est tout simplement pas une option. Ma vie n’a plus de sens. Lors de cette réflexion toujours plus compliquée sur le rôle que je joue dans ce monde, je me sens soudainement observé. En effet, un jeune homme me fixe intensément puis finit par s’approcher de moi. Soudain il me dit un mot qui me laisse sous le choc : « Massambalo ». Il pense que  je suis une des ombres de ce dieu qui peut lui donner tant d’espoir. Voyant que je ne réponds pas, il me le répète pensant que je ne l’ai pas entendu ou compris. Mais en réalité il s’agit du contraire, je suis tiraillé entre plusieurs options. Soit je décide de lui dire la vérité, que je ne suis pas une ombre de ce dieu, ce qui lui ferait perdre tout espoir de pouvoir réussir son voyage ou lui dire le contraire ce qui lui permettrait d’être confiant et soulagé pour la suite de son aventure. Je suis en pleine hésitation quand il me le répète une dernière fois. Et je décide de lui dire oui en hochant la tête. A ce moment je suis l’ombre de Massambalo. Les yeux du jeune homme s’illuminent de tant d’espoir que je ne regrette en rien ma décision. Il me tend un collier de perles en signe d’offrande et me dit son prénom : « Soleiman ». Puis il repart avec le souffle qui lui manquait : l’espoir qui va le faire avancer et lui permettre de terminer son voyage.

Ainsi grâce à ce jeune homme, je me suis enfin trouvé. J’ai un rôle à occuper dans ce monde. A présent je deviens pour toujours l’ombre de Massambalo. « Il n’y [a] qu’ainsi [que je] ne pouvais encore appartenir au monde ». Avec cette rencontre, j’ai trouvé ce que je cherchais depuis tant d’années, ce qui m’a fait partir de mon pays natal, ce qui m’a fait continuer ce chemin si compliqué mais aussi, ce qui m’a empêché de rendre l’âme bien trop tôt. Cette homme m’a fait prendre conscience que je pouvais occuper une place bien plus importante que je ne pensais dans ce monde.

Je t’écris donc ce mail, à toi, mon plus grand ami, pour te faire part de mon voyage mais également pour te dire que suite à cela je m’en vais. Je ne t’écrirai plus car j’ai enfin découvert ma véritable identité, ma véritable appartenance dans ce monde. Je pars sans savoir où, mais je souhaite aider le plus de personnes possibles en leur redonnant espoir. Il s’agit du rôle que je dois occuper désormais. C’est ce qui me rendra heureux et ce qui me fera me lever le matin. J’ai pu rendre service à cet homme qui reste tout de même inconnu pour moi mais je ressens au plus profond de moi que suite à mon intervention, il réussira car il a retrouvé l’espoir. Au fond n’est-ce pas ça, l’Eldorado ? N’est-ce pas l’espoir de pouvoir un jour vivre sa propre aventure, pouvoir essayer de traverser la mer que l’on souhaite afin d’arriver dans la ville qui nous rendrait enfin plus libre ? N’est-ce pas la liberté de penser que l’on peut réussir malgré tous les obstacles qui se mettront en travers de nos routes ? N’est-ce donc pas tout ça ? L’Eldorado est en chacun de nous mais à sa façon. Nous pouvons partir, souffrir, être torturé par des pensées noires, se relever, retomber pour finalement y arriver, être libre. L’Eldorado est toujours présent quoi que l’on puisse en penser. Il sera la pour chacun de nous et il faut pouvoir saisir cette opportunité lorsque l’on s’en aperçoit. Aujourd’hui je pense avoir trouvé le sens de nos vies à tous, mais surtout de la mienne, car je veux y croire. Je veux véhiculer cet espoir, cette envie, cette liberté et ce bonheur tant recherchés. Je veux transmettre l’Eldorado qui semble perdu pour tous ces émigrés. Et je serais là jusqu’au bout, jusqu’à ce que la vie me dise que j’ai accompli ma tâche. Je pars vers de nouveaux horizons. Je ne sais en rien où toute cette aventure va me mener, mais je me suis trouvé moi et l’Eldorado.

Je te remercie pour le rôle si important que tu as joué dans ma vie, toi mon tendre Angelo.

Je pense fort à toi et t’embrasse fort.

Souhaite-moi bonne chance pour la suite.

Amicalement

Salvatore

 

 

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