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COURRIEL DE SOLEIMAN A LA BARRIÈRE DE CEUTA

De: Soleiman 

CC: La barrière de Ceuta 

Objet: Enfin !

Date: 26/06/2009

Madame la barrière de Ceuta,

Avec tout le respect que je vous dois, je suis heureux que vous soyez enfin derrière moi. Quel bonheur d’avoir réussi à vous escalader, vous surmonter et à avoir enfin foulé la terre de nos rêves. 

Durant toute ma traversée, j’étais accompagné par mon frère Jamal qui réchauffait mon cœur, mon ami Boubakar et enfin mes compagnons de camp, dont je ne connais pas un nom mais qui m’ont permis, grâce à leur nombre, de les quitter. Je laisse derrière moi des hommes remplis d’espoir qui ne lâcheront rien jusqu’à un jour vous dépasser, sinon la mort les attrapera. Je laisse derrière moi ma vie d’avant et ma cavale de migrant, me voilà enfin en Europe, j’ai réussi ! À moi la liberté, la richesse, l’obtention d’une vie meilleure et le pouvoir de ramener mon frère à mes côtés, celui pour qui je ferai tout, sur terre et au-delà.

En vous écrivant, je repense à ma traversée, difficile et périlleuse, durant laquelle, j’ai cru parcourir les enfers. Cette traversée, je peux la décrire en entier avec seulement quelques mots, les voilà, ils sont à vous: attente, fatigue, silence, pulsion, course, 1er saut, surprise, passage, Boubakar, pleure, bonheur. Vous le constatez, votre franchissement n’a pas été de tout repos mais pourtant j’y suis arrivé, je ne le crois pas, je suis bien en Europe accompagné de mon ami des plus chers Boubakar. En parlant de lui, je suis plus qu’heureux de l’avoir près de moi; je remercie le ciel d’avoir pris la bonne décision, je ne pouvais pas le laisser derrière moi, accroché aux épines de votre grille. Qui aurais-je été sinon ? Aurais-je été un homme foulant le continent de ses rêves mais sali par son égoïsme et son manque d’empathie ?

Pourtant, quelques heures plus tôt, avant le cri d’alerte, il était venu s’accroupir auprès de moi et m’avait murmuré dans un silence de plomb: “Quand nous courrons, Soleiman, promets-moi de courir le plus vite possible. Ne t’occupe que de toi. Promets-le-moi.” Malgré moi, sous la pression des événements, j’avais acquiescé à sa demande mais la réalité en haut de la grille m’a très vite rattrapée, il m’était impossible de partir sans lui. C’est mon acolyte, celui qui m’a pris sous son aile depuis le début, je lui dois beaucoup et notamment cette traversée. C’est grâce à son aide que j’ai pu passer sous la dernière de vos grilles, grâce à sa force et à sa ténacité sans faille. Je lui dois énormément. 

Nous sommes tous les deux en route vers un centre de détention, c’est ce que les blancs nous ont dit, ceux qui deux minutes avant nous taper dessus, s’occupent de nous maintenant comme des enfants. L’être humain est étonnant, surprenant. Comment se fait-il que les démons s’apaisent en une fraction de seconde ? Peu importe, nous sommes libres. Après ce passage au centre, nous continuerons notre chemin sur la route de l’Eldorado. Cette route que nous avons emprunté depuis chez nous est à la fois symbolique, peut-être idéalisée mais quand même remplie d’espoir. Nous allons suivre cette route, sans relâche, parce qu’elle nous mènera à notre objectif: l’accomplissement d’une vie meilleure dans un pays européen de notre choix. 

Mon espoir et ma foi en cet accomplissement est sans faille, je suis protégé, j’ai été béni par l’ombre de Massambalo, je protégerai mon ami et nous y arriverons ensemble. Pour autant, je reste lucide, le périple que nous avons déjà accompli a été difficile, nous avons été courageux, solidaires, patients et persévérants. Nous avons dû faire face au froid, au manque de nourriture et à la désillusion face à la bêtise humaine. Je sais que ce qui nous attend peut être du même ressortissant mais je suis prêt, nous sommes prêts. Nous avons en nous la chaleur de ceux qui nous aiment et nous portons la voix de ceux qui sont nés du mauvais côté, ils nous protègent.

Tout ira bien, j’en suis certain, et puis, nous avons quand même réussi à vous dépasser ! 

Respectueusement, 

Soleiman, détenu dans le “centro de internamiento de Diosa Ceres”, Ceuta, 51001.

PS: Pour illustrer le passage de votre barrière, je vous envoie ci-joint une photo prise dans le feu de l’action par un photographe espagnol. On nous y voit, Boubakar et moi, l’un à côté de l’autre, en t-shirt jaune et marron.

Sources:

Lien photo barrière de Ceuta

Lien photo passage de la barrière de Ceuta

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