« Regarde-nous et sauve-nous »
Cette sérigraphie « Immigration » a été réalisé en 1974. Affichée dans les rue d’Avignon, elle représente des immigrés algériens allongés, endormis. On voit le visage d’un seul et celui-ci nous regarde. Ernest Pignon-Ernest les représente près du sol pour rappeler leur conditions sociales et comment ils sont considérés dans la société. Il trouvait également important de les représenter en dehors du travail, au contraire de beaucoup d’artistes, pour montrer leur humanité, leur intimité. Ce ne sont pas que des travailleurs. Par cette œuvre Ernest Pignon-Ernest veut rendre visible ces hommes, leur redonner une identité.
Aujourd’hui, nous avons eu l’honneur de les écouter s’exprimer à la Radio l’Art’doisière pour la première fois après des années de silence. Ecoutons-les :
« Eh oh ! Oui, toi là, toi qui vis sans même nous remarquer. Toi qui ne vois que ton propre reflet, tes propres intérêts. Regarde en bas, à tes pieds et remarque-nous. Regarde comme nous sommes invisibles. Nous, étrangers. Regarde comme le monde nous ignore, passe devant nous sans même nous voir. Regarde comme ce monde nous piétine, nous, travailleurs de l’ombre. Nous qui avons pour seule différence de ne pas être français, comme toi. Nous qui travaillons pour toi, sous tes pieds.
Oui, regarde- nous, remarque-nous. Nous ne sommes pas que des travailleurs, nous avons une identité, un prénom, un nom. Nous qui avions une vie, avant la France. Nous qui sommes loin de notre pays, de nos familles. Nos femmes nous manquent, nos enfants grandissent loin de nous. Nous qui pleurons le soir, car oui, nous aussi nous pleurons. Nous, des hommes comme toi. Nous qui sommes entassés comme des animaux, qui ne savons pas à quoi va ressembler demain.
Alors oui, toi là, arrête toi. Arrête-toi et regarde-nous. Arrête de nous ignorer. Arrête de fermer les yeux, de faire semblant de ne pas nous voir. Regarde-nous et affronte. Affronte notre regard, notre tristesse et notre solitude. Regarde-nous et agis. Regarde-nous et sauve-nous. »
