Les langues anciennes ressuscitées

« Les mots qui vont surgir savent de nous ce que nous ignorons » disait René Char. C’est exactement l’idée que je voudrais défendre et exposer dans ce court article afin de démontrer la grande utilité de l’étude des langues anciennes, du grec et du latin. On les prétend « mortes », mais cette dénomination est contestable. En effet, l’étymologie jointe à la sémantique permet non seulement de comprendre la richesse certaine des langues, ici le français, mais aussi de retrouver la trace de pensées très anciennes. Là où les monuments jouent un rôle historique, la langue aussi par les différentes transformations sémantiques nous permet d’appréhender l’évolution de notre rapport au monde ainsi qu’aux éléments qui nous entourent au fil du temps.

D’abord, certaines étymologies ont ébranlé et bouleversé le sens premier que je donnais à certains mots. En partie pour leur étonnante richesse poétique en contraste total avec le mot banal qu’on utillise. Le cas des mots « considérer, sidérer et désir » m’a en partie poussé à m’intéresser de plus près à cette discipline. Ce sont des mots à première vue assez plats. Pourtant tout trois viennent du mot sidus, sideris, l’étoile en latin. Le terme desiderium qui a donné le mot désir en français signifie la privation des étoiles. Inversement, le terme « considérer » indique une attention spéciale, comparable à la fascination des étoiles. Quant au verbe « sidérer » il porte la trace d’une influence « mauvaise », hypnotique du ciel étoilé. On peut aussi prendre l’exemple du mot « épanouissement », du radical +span-, qui signifie l’idée d’expansion dans le sens de gain d’espace. On comprend donc que lorsqu’on s’épanouit, on augmente son espace physique et spirituel, comme lorsque la rose éclot et que l’esprit s’ouvre : tout deux s’épanouissent. Egalement, le terme « abysse » nous présente une image étonnante et effrayante à la fois, bussos étant le fond de la mer, et « a » au sens privatif. Les abysses sont donc l’absence même d’un fond de la mer. Cette étymologie nous présente l’image d’une fosse marine infinie avec l’idée, surtout à l’époque, qu’il était impossible d’atteindre le fond. On y trouve du vrai encore aujourd’hui: en effet la fosse Mariane, profonde de 10 000 m, n’a été visitée que par trois hommes dans l’histoire, c’est moins que le nombre de personnes ayant marché sur la lune.

Ainsi, l’étude et la connaissance des étymologies nous permet de « considérer » avec fascination le merveilleux ciel étoilé qu’est la multiplicité poétique de notre langue.

Au-delà de la richesse de notre langue, le travail étymologique nous permet de nous rendre compte du trésor des pensées anciennes. D’après Héraclite, « ce qui s’oppose coopère, et de ce qui diverge procède la plus belle harmonie ». Ce concept d’harmonie des contraires était très présent chez les Grecs. En grec, nous avons l’exemple de deinon, signifiant aussi bien « merveilleux » que « terrifiant ». Ce mot était souvent utilisé pour décrire des phénomènes qui inspirent à la fois la crainte et l’admiration. Aussi, on peut noter le mot « anapauo »qui signifie à la fois « se reposer » et « se remettre en mouvement ». En effet, le repos nous permet de nous remettre en mouvement. Ainsi, on associe l’idée de repos à celle du mouvement. Ces différentes associations de contraires nous permettent d’observer le monde comme unité, dans toute sa richesse, et donc, de considérer le mal autant que le bien et le laid autant que le beau. Platon disait : « La musique est l’harmonie des contraires, le concours de dissonances différentes qui produisent une harmonie parfaite. ». On comprend alors la totale adhésion des philosophes grecs à cette idée très présente déjà dans la langue. Ainsi, on saisit l’importance de la connaissance des langues anciennes comme ouvertures à des concepts désuets.

Enfin, on peut aussi utiliser notre connaissance du grec et du latin afin de remarquer l’affaiblissement de certains sens et donc des multiples évolutions des pensées. Ainsi le verbe grec « echein signifiait à l’origine « tenir » ou « maintenir » quelque chose, par exemple un objet ou une position. Cependant, au fil du temps, le sens du mot s’est affaibli et il est devenu plus généralement associé à la possession de quelque chose. La différence entre « maintenir » et « posséder » réside dans le fait que le premier implique l’action de préserver une chose dans un état de tension, tandis que le second implique la simple possession de cette chose, qu’elle soit maintenue ou non. Ce changement de sens reflète les changements dans les attitudes et les valeurs culturelles des Grecs au fil du temps. Un autre exemple frappant est le mot arêtê. À l’origine, ce mot signifiait « excellence » ou « vertu », et était associé à une qualité de l’âme ou du caractère. Cependant, au fil du temps, le sens du mot s’est affaibli et il s’est associé à des notions plus superficielles telles que la beauté physique ou l’habileté aux activités sportives. On voit comment déjà anciennement la pensée désintéressée attachée au partage, n’était plus du tout la même et tendait à être remplacée par une pensée intéressée, superficielle et orientée vers le gain perpétuel. Ainsi, on comprend l’utilité de la langue dans son rôle historique pour saisir et comprendre les différentes évolutions de pensée.

En conclusion, le latin et le grec ne sont pas « des langues mortes », car elles sont encore aujourd’hui la clef de la découverte poétique de nos mots français, la voie vers des pensées plus anciennes, plus riches et considérant le monde dans son unité par la multiplicité des contraires. Elles sont aussi d’importance historique et nous permettent de comprendre l’évolution de la nature et de la pensée humaine.

Benjamin

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