(RE)GARDER – Exposition au Musée Albert André

L’exposition « (Re)garder » est l’aboutissement de la résidence artistique du plasticien Sylvain Fraysse au Lycée Einstein. Elle met en regard des œuvres de la collection du Musée Albert André de Bagnols/Cèze avec des oeuvres prêtées par le MRAC (Musée Régional d’Art Contemporain) de Sérignan, partenaire culturel de l’établissement.

Le samedi 20 mai, dans le cadre de la « Nuit européenne des musées », des élèves assureront la médiation culturelle à partir de 21h.

La conscience à travers le regard

Jean Luc Nancy définissait à l’occasion d’une chronique portée sur le regard, « Regarder, c’est garder deux fois », le regard comme intention de la vue sur le monde matériel. C’est à cette occasion que nos esprits s’échauffèrent, et nous vîmes la différence entre vue et regard, et donc l’intention de l’homme, son ouverture sur le monde et l’antre de l’intention même, la conscience. L’observation du fait que le regard en soi pouvait nous perturber était alors préambule de notre réflexion. Le regard est-il alors la porte de notre conscience? Le regard est-il la simple matérialisation de notre conscience ou vit-il par lui même? Le regard est-il attiré par le regard et agit-il donc instinctivement ?

Le regard suppose l’intention à la vue ; en effet, le regard se diffère de la simple vue, si bien que notre cerveau par exemple ne retient en vérité que ce qui est regardé et non ce qui est à proprement parler simplement vu. De l’ordre du dixième de ce qui est vu est retenu et cet effort du cerveau nécessite certainement une attention et donc une intention. La vue, comme nous l’expliquait Al Hazen au XIIIe siècle, est un phénomène dont l’origine est extrinsèque au corps de l’homme, nous voyons seulement ce qui est au jour de la lumière, et nos yeux ne sont que les réceptacles de ce phénomène. Néanmoins, comme auraient pu le pressentir les philosophes antiques, le regard suppose une direction allant de l’œil ou plutôt de la conscience vers le monde matériel. Berkeley affirmait que le regard et la conscience étaient à l’origine du monde matériel, l’œil et l’âme sources de toute chose existante. Leibniz nous oblige lui aussi au solipsisme en cela que chacune des monades qui existent restent impénétrables. Il semblerait donc que la conscience soit inaccessible par le biais de nos sens, la vue, le regard, si puissant soient-ils, ne peuvent franchir la barrière de la conscience étrangère. Il nous est pourtant bien clair que le regard étranger, le regard visible, est une atteinte, presque une agression, touchant même au viol de notre conscience, de notre intimité, notre identité.

Nonobstant, il semblerait que le regard puisse tout de même atteindre la conscience et la modifier radicalement. Gogol ,dans sa nouvelle Le portrait, nous donne à voir un homme rendu fou par le regard du diable lui-même. Ce changement irrévocable de cet esprit est dû à un regard sans cerveau, sans contrôle sans preuve matérielle d’une quelconque intention. Que dire donc du regard ? Est-il subordonné à l’intention de quelqu’un ou vit-il de lui même, est ce donc une simple interface, un outil pour percevoir le monde sensible ou bien le miroir de nos affects, de notre pensée ?

On relève également une infinité d’intentions dans un même regard : un regard triste, empli de haine, admiratif, coléreux, désireux, et tant d’autres. Au final, on se rend compte que ce regard que l’on porte sur les choses, les autres et le monde en général, n’est autre que le reflet de nous-mêmes.

Ce qui nous amène à réfléchir sur ce qui peut attirer notre regard pour savoir si effectivement notre conscience passe par ce dernier.

Premièrement, le regard est attiré par le regard, plus présentement par celui des autres mais aussi par celui des objets, du monde en général, car c’est le monde qui nous regarde et pas l’inverse. Le regard serait donc extérieur : ce qui semble le plus évident pour nous n’est autre que notre peur unanime du regard des autres. Et cela commence très tôt, dès l’enfance, nous n’osons pas regarder nos parents, ou les autres adultes dans les yeux, lorsque nous avons fait une bêtise. En effet, on a beaucoup trop peur que nos manigances ne soient un jour découvertes car on verrait dans nos petits yeux d’innocents que nous mentons. Ceci fait partie des nombreuses preuves qui indiquent qu’il y a bien quelque chose qui passe par notre regard et qu’on ne veut pas laisser voir de tous.

D’un point de vue plus scolaire (si nous pouvons nous le permettre) ou bien culturel, Georges Orwell raconte dans 1984 que Winston ne peut se sentir en sécurité que s’il éteint la lumière car il ne peut alors pas être vu, (cela se déroule dans un contexte de régime totalitaire où la censure et la pression sont très présentes de la part de l’extérieur justement). Dans cet exemple, on voit alors qu’il protège sa vie privée en protégeant le fait d’être vu. Donc le regard contient beaucoup plus qu’on ne pourrait le soupçonner.

Le regard est semblable au vecteur puisqu’il comporte aussi un sens et une direction. Néanmoins, comme aurait pu le pressentir les philosophes antiques, le regard suppose une direction allant de l’œil ou plutôt de la conscience vers le monde matériel.

Mais pourquoi s’arrêter à une dimension si réductrice du regard en tant que vue ? En effet, nous avons pu démontrer précédemment qu’on ne parlait plus tellement de regard mais plus justement, ou plus de façon plus révélatrice, sans doute : d’une vue de la conscience. Pensez au cas des aveugles, ils ne possèdent pas ou plus le regard et pourtant ils développent à l’aide d’autres sens tels que le toucher ou l’ouïe, une vue aussi précise que celle des voyants. Ils se construisent un regard sur le monde aussi légitime que celui que peuvent revendiquer nos deux yeux. On remarque alors que tout être trouve toujours un moyen pour créer une connexion avec le monde extérieur à l’aide de son regard qui peut passer par la vue, le toucher l’ouïe ou autre, mais qui a pour point commun quelle que soit la situation : un lien direct avec notre conscience.

(Nous pouvons relever que lorsque l’ouïe est mise en jeu, on emploie alors le terme de « percevoir » au lieu de « voir », on entend alors percer et voir. Ce verbe sous-entend l’action de percer la conscience par le regard. Il soulève l’ambiguïté du pouvoir que possède le regard à vouloir atteindre la conscience de notre altérité.)

En allemand, regarder se dit aussehen, « voir au dehors » « sembler », c’est ce verbe qui peut nous aider à comprendre ce que le regard implique. Le regard c’est porter une attention mais aussehen c’est y porter une intention, comme si l’extérieur devait porter sa vue sur nous-mêmes. Ainsi, le regard perd de son individualité, le regard n’est pas sans l’autre. Nous nous révélons ainsi aux yeux de tous, mais restons impénétrables car aussehen c’est voir en dehors nullement intérieurement. Le regard nous explique en cela qu’il nous déplie, explicare et nous ouvre vers le monde.

Comment expliquer alors que le regard nous agresse, nous extirpe bien trop de notre intimité, en cela qu’il a le « pouvoir » de nous sortir de nous, de nous sortir de notre introspection ? Le Portrait de Gogol nous raconte l’histoire d’un homme devenu fou par le regard du Mal, comme si le regard d’un portrait l’avait tellement atteint que sa conscience et sa santé mentale en avaient été à jamais altérées, détruites. La volonté dans un regard est si puissante que ce dernier a le pouvoir non pas de pénétrer et entrevoir, comprendre l’autre dans son entièreté, mais le modifier à sa guise. C’est la façon de regarder, le type de regard comme un modus operandi qui nous agresse et nous change. Un regard bienveillant, comme celui d’une mère peut ravir l’enfant, comme le regard de son bourreau peut le rendre triste et le détruire psychologiquement.

Ce n’est pas le regard en soi qui nous change mais la conscience de l’autre, c’est un combat ou bien un consensus entre deux êtres qui s’interrogent, se battent, se mettent à l’épreuve, s’aiment et se veulent. Le regard, même figé dans le temps, possède une aura propre, celui de son auteur. C’est en cela que le regard est à la fois le réceptacle de la conscience de l’autre, de la nôtre, et du monde matériel et immatériel, conscrit et étendu comme spirituel et éternel, un peu comme l’art.

 

 

Irène, Zoé et Tarik

Que regardent les morts ?

Que regardent les morts ? Voici la question quelque peu paradoxale posée par le philosophe Nancy, et qui nous a interpellés. Cette question est inspirée par les masques mortuaires que réalisaient les anciens pour garder la trace du visage des défunts, peut-être pour ne jamais les oublier, pour garder une trace de leur existence et pour pouvoir encore les regarder après leur mort. Nancy évoque aussi le mort qui regarde en employant le verbe allemand aussehen, qui signifie regarder au dehors et s’interroge sur le fait que l’on regarde uniquement ce que l’image veut nous montrer. Le masque mortuaire nous montre la façon dont un mort aussieht. On se demande alors comment se montre un mort et comment un mort regarde au dehors, ce sont les deux sens de aussehen. Imago qui désigne le masque mortuaire en latin a donné le mot image et vient de imitor en latin qui signifie imiter, reproduire et de ago qui signifie faire. Une image peut être considérée comme une reproduction de quelque chose, une chose que l’on ne veut pas oublier, que l’on veut garder. On peut également faire le lien avec l’image d’un défunt, nommée umbra par les anciens et qui signifie «ombre». L’enveloppe corporelle du défunt est donc bel et bien morte et est amenée inévitablement à disparaître. D’après Nancy «le regard des morts ne regardera plus», mais ce qui subsiste est son ombre, c’est-à-dire son âme, terme judéo-chrétien. Le mort ne peut donc plus voir d’un point de vue physique, c’est son âme qui regarde et perçoit les choses.

La Tombe du Plongeur est un exemple qui illustre parfaitement cette théorie. En effet, pourquoi peindre seulement l’intérieur d’un tombeau puisque, à première vue, personne ne pourra l’admirer ? Un nombre infini de réponses à cette question existe, mais l’on peut penser entre autres que cela vient d’une volonté des vivants de se rassurer sur la mort de leurs proches et sur leur propre mort, de rendre cela moins effrayant pour les aider à faire leur deuil. Les croyances de l’époque étaient bien différentes des nôtres et ils croyaient aux Enfers, à une forme de vie après la mort, ils considéraient la mort comme un rite de passage, comme la fin d’une vie et le début d’une nouvelle. D’ailleurs dans la Tombe du Plongeur, la paroi que peut « voir » le mort est le plongeon qui représente cette transition. Ce ne sont donc pas les yeux du défunt qui vont regarder les peintures, mais son âme et elles peuvent avoir pour but de l’aider dans son passage vers les Enfers.

Anna, Audrey, Clotilde, Dayane, Jade et Maëlys

La chaise

Petit être farouche qui se moque du monde. Tu es dans la cime du ciel. Nous, nous sommes aux racines de la Terre. Tu te laisses bercer par les caresses des cumulonimbus et des cyclones. Tu ne te soucies point des maux du monde et pourtant tu les regardes, les vois et tu les observes par passion. De tes quatre pauvres et lourdes jambes, tu essayes de toutes tes forces de te balancer à l’extrême limite de la stratosphère, pour atteindre les petites fées du ciel, les étoiles. Nous, nous sommes là, hélas et nous sommes las du monde que tu aimes et que tu as. Nous regardons la terre en espérant du blé, nous regardons le ciel en espérant la pluie. Toi, tu te joues de nous et de nos malheurs pour ton propre bonheur. Tu es accroché. Tu es suspendue. Tu es pendue ! Mais tu ne meurs pas. Tu es pendue ! Dans le vaste océan des étoiles. Tu es pendue ! Par les cheveux de Dieu, Jupiter. Nous t’envions et nous tendons les bras pour ne serait-ce qu’atteindre tes pieds. Mais toi, petit être farouche qui se moque du monde, tu restes dans le ciel cobalt à flotter grâce à ta légèreté d’acier.

Célian

Poème réalisé à partir de l’oeuvre Sedia in fibra di carbonia de Francesco Cellini, vue à Rome, au MACRO Testaccio en décembre 2016.

« Les regards des portraits fuient ailleurs ou se perdent »

Ce regard intense que nous lance Monika lors du premier face caméra dans Sommaren med Monika de Bergman révolutionne le monde du cinéma. Pendant 28 secondes, elle nous observe d’un œil moqueur et intriguant ce qui nous trouble. En effet, nous avons l’habitude de regarder une œuvre et non d’être regardés par celle-ci. Il est pourtant impossible de rester indifférent et notre regard fuit involontairement.

Créer une œuvre prenant en compte le regard et où le spectateur se retrouve moins devant le regard de quelqu’un d’autre que devant son propre regard semble répondre au philosophe Jean-Luc Nancy qui affirme : « Les regards des portraits fuient ailleurs ou se perdent ». Ainsi, le spectateur prend conscience de la distance existant entre l’œuvre et lui en se sentant observé. Un spectateur a pour habitude d’avoir le sentiment d’être observé comme il observe lui-même l’œuvre. Généralement, lorsqu’on regarde un portrait, lui-même et son spectateur sont impliqués dans un échange alors qu’ici, l’œuvre semble se dédouaner de cette implication du regard. Or, cette fois-ci, l’observateur est ignoré, exclu de cet échange, ce qui crée en lui un sentiment de malaise.

Ce montage photographique de la combinaison de plusieurs yeux interroge la notion de la furtivité du regard.

Notre lycée a accueilli la résidence de l’artiste Sylvain Fraysse au cours de laquelle nous l’avons rencontré et nous avons échangé sur la notion du regard et sur la mise en espace d’une œuvre.  Notre travail découle de cet échange.

Natacha, Maëlle, Elektra

Vue d’ensemble

Dans ce tableau, la volonté a été de montrer la dynamique du regard, allant de la description de l’œil jusqu’à la symbolisation du monde autour de l’œil. On peut voir la dimension « intérieure » du regard pénétrer le regard représenté avec la possibilité de s’y égarer. On observe également la dimension « extérieure » où sont peints les liens entre ce que l’on voit et ce que l’on donne à voir.

L’intention a été de montrer plusieurs faces du mot « regard » ainsi que de porter un regard sur l’action de regarder.

Jade

L’essence

Un amas renversant

Dans cette photo, démontrer la puissance du regard est le but premier. Ce regard est visualisé comme le point d’accroche de la photo, le détail qui perce le décor et qui nous interpelle. Au milieu de ce tas de bras, de mains, de chair, un visage ou surtout des yeux nous attirent jusqu’à l’hypnose. Un regard sombre en adéquation avec l’harmonie des couleurs noires de la photo, mais pourtant le noir du regard central semble particulier et se détache par sa puissance et toutes les questions qu’il soulève. Qui est cette femme ? Que pense-t-elle ? Quel message veut-elle faire passer ? Pourquoi est-elle au milieu de cet amas d’êtres étranges et sans ordre ?

De plus une barrière a été érigée entre le regard de la photo et celui du spectateur, cet obstacle est exprimé par le sens de la photo qui a été prise à l’envers. Cela donne une déformation encore plus marquée de la scène générale. Ce désordre ambiant, accentué par la prise de vue de la photographie nous oblige à oublier tous les détails de la photo pour seulement entrer en contact avec le langage sensuel de ce regard qui nous sonde.

 

Une expression originale

Le pouvoir du regard simple est ce qui est mis en avant dans cette photographie. La foule anonyme, l’air paisible et serein, est là pour représenter des visages dénués de regard et donc sans intérêt, sans éclat. Au milieu de cette foule qui semble séparée en deux, une femme assise regarde fixement l’appareil photo. Ce regard contraste avec la placidité de la foule et attire vers le sujet assis au centre toute notre attention. Cette femme semble nous porter un regard rempli de violence et de reproche, pourtant tout son visage semble inexpressif mais ses yeux traduisent une forte intention. La femme assise au milieu du décor est bercée par l’obscurité ambiante. A première vue rien ne nous interpelle mais lorsque nous nous concentrons sur son regard, un grand nombre de questions s’imposent à nous.

L’expression contrainte

 

Dans cette photographie, le sujet principal semble dénaturé par des causes extérieures, en l’occurrence des mains inconnues et anonymes qui cherchent à attenter à la liberté de la personne assise. L’unique chose qui reste intacte lors de cette obstruction, c’est le regard qui reste expressif. Ce regard a beau être atténué par plusieurs mains qui cherchent à le corrompre, à le contraindre, à l’emprisonner, il reste libre. Il est l’unique partie du corps qui s’affranchit de cet emprisonnement. Seul le regard exprime alors tout ce que le corps, immobilisé, ne peut pas dire. Ces yeux perçants ne peuvent être cachés. Contrairement à la dimension physique d’un corps, qui peut être contraint, le regard est le reflet de l’âme qui semble intouchable et libre malgré tous les efforts extérieurs pour le capturer.

Ilona, Jade et Milena

Aussehen : regarder au dehors

Nous avons eu la chance de faire la rencontre de l’artiste Sylvain Fraysse, dans le cadre de sa résidence au sein de notre lycée sur le thème du regard. Durant cette intervention, il nous a proposé le visionnage d’une vidéo du philosophe Jean-Luc Nancy, « Regarder, c’est garder deux fois ».

Aux alentours des 4 minutes, Jean-Luc Nancy, évoque la manière dont une image retient notre attention, notamment par la façon dont elle apparaît. De ce fait, il bascule sur l’allemand, car pour lui, c’est le terme aussehen qui définit le mieux cette situation.

Dans la langue française, regarder c’est d’abord diriger la vue vers quelque chose, porter de l’attention vers quelque chose.

Dans la langue allemande, regarder se traduit par sehen mais peut prendre un sens différent en mettant la préposition aus qui vient de raus, soit dehors, et devient alors aussehen, voir au dehors, sembler, paraître. Cela questionne sur le sens même de aussehen, qui est un verbe à particule séparable, on distingue alors l’action de voir et l’action de voir au dehors.

En effet, selon Jean-Luc Nancy, on peut percevoir une photographie avec notre interprétation, mais elle nous sera propre, et chacun aura une interprétation différente.

Ce terme aussehen nous propose aussi une vision du monde qui est hors de nous, qui nous est imposée, et non l’inverse, c’est-à-dire que ce n’est pas nous qui percevons le monde d’une façon particulière. La vision du monde ne dépend donc pas forcément de nous.

De plus, à partir de la définition allemande de aussehen, on trouve « quelque chose qui laisse quelque chose d’autre en suspend », ce qui donne une dimension plus profonde du regard.

Marina et Milena

Monika…

 

Le regard de Monika, extrait du film suédois Un été avec Monika d’Ingmar Bergman, sorti en 1957, est le premier regard caméra de l’histoire du cinéma. C’est sans doute en partie pour cela que cet extrait est si puissant, mais également pour l’étonnant jeu d’acteur de Harriet Andersson, interprétant Monika, qui était alors seulement âgée de 21 ans.

Ce film, c’est l’histoire de deux jeunes suédois, Harry et Monika, qui décident de fuir la vie active pour séjourner sur une île, où ils passeront un été de rêve. Mais, alors qu’ils vivaient d’amour et d’eau fraîche, la réalité les rattrape : Monika est enceinte, Harry s’inquiète de leur avenir, et ils sont contraints de revenir à Stockholm. De retour, ils se marient. Monika a 17 ans, Harry 19. Et avec le temps, Monika, bien jeune, se sent emprisonnée dans sa vie familiale avec Harry et leur fille. Elle se lasse.

La scène du regard caméra correspond au moment où Harry est parti pour un voyage d’affaire. Monika, qui a confié sa fille, encore bébé, à sa tante, trompe Harry. Assise dans ce que l’on devine être un pub, musique autour d’elle, beau garçon pour compagnie, une cigarette entre les lèvres, elle se tourne vers la caméra pour nous fixer pendant 30 secondes, qui nous paraissent alors interminables. Sans cligner des yeux. Pour celui qui a regardé le film en entier, ce regard nous paraît à la fois provocateur et rempli de désir. Ce désir, conséquence de l’ennui, se meut en joie de retrouver de l’action dans sa vie. Pour ceux qui n’ont vu que ce regard, il est triste.

Monika adresse un regard à la caméra. C’est un regard long, qui dure 30 secondes. On peut interpréter ce regard comme «méprisant» voire «triste» et « provocateur »,« rempli de désir ». La dimension de tristesse que l’on en a nous vient de la façon dont Jean-Luc Godard a qualifié le regard de« plus triste de l’histoire », il a déclaré, en 1958, dans la revue Arts :  « Il faut avoir vu Monika rien que pour ces extraordinaires minutes où Harriet Andersson, avant de recoucher avec un type qu’elle avait plaqué, regarde fixement la caméra, ses yeux rieurs embués de désarroi, prenant le spectateur à témoin du mépris qu’elle a d’elle-même d’opter volontairement pour l’enfer contre le ciel. C’est le plan le plus triste de l’histoire du cinéma. » Dans tous les cas, il nous semble excessivement long et insoutenable. Différentes suppositions peuvent se faire sur cette partie de film : on peut penser que le regard est adressé au spectateur dans le but de le faire réagir, de le provoquer ; on est en 1957, avant la libération sexuelle. Le spectateur d’alors a été choqué par ce regard. De plus, une rupture est créée lors de cet insoutenable regard et l’endroit où nous sommes semble s’éloigner de nous ; se plonger dans cet intense regard nous donne l’impression de nous plonger dans les pensées de Monika. On peut aussi penser que ce regard est un regard de détresse, d’appel au secours qu’elle lance pour qu’on la sauve de son ennui. Pour finir, on peut penser que le regard est adressé au réalisateur qui était son amant dans la vie réelle lors du tournage. Nous rentrons donc dans une intimité de couple et le regard ne nous est donc plus adressé.

D’un point de vue personnel au sein du groupe de réflexion que nous avons formé suite à la rencontre de Sylvain Fraysse qui nous a montré le regard de Monika, et d’un point de vue adolescent, nous ressentons plus de compassion pour Harry, le mari de Monika, que pour cette dernière. Il se retrouve seul avec sa fille qui vient de naître, après avoir surpris Monika avec son amant, alors qu’elle n’occupe ses journées qu’à dormir. La nuit, c’est d’ailleurs Harry qui s’occupe de leur fille. La journée, c’est sa tante : dans tous les cas, ce n’est jamais Monika. C’est pour cela que nous ne la trouvons pas juste envers Harry, car lui travaille toute la journée, il fait de son mieux pour nourrir sa famille et qu’elles soient heureuses, elle et leur fille, et en retour, Monika va jusqu’à le tromper. D’un autre côté, un adulte a plus de compassion pour Monika et comprend son ennui, par l’expérience qu’il a acquise au cours de sa vie.

Quoi qu’il en soit, ce regard est plein d’émotions et conduit le spectateur à s’interroger sur son sens, il ne laisse aucunement indifférent.

 

Julie-Mary, Carla, Camille, Laura, Marie, Sam

Le Regard de Méduse

Ce regard bref mais méprisant ;

Crépitant comme une grenade ;

Se perdant dans une balade ;

Au-delà même de ce temps ;

 

Ces lèvres bleues dans l’océan ;

Suspendues à une façade ;

Dont l’éclat n’a pas de brimades ;

S’effacent dans un sombre blanc ;

 

De ton visage de lumière ;

Tu assombris les fleurs sur Terre ;

Et tu abandonnes Athéna ;

 

Oh ! Regard mauvais de Méduse ;

Oh ! Regard ardent qui s’amuse ;

C’est ton beau regard Monika.

Célian

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