Les dormeurs du val

Parodiez, pastichez, il en restera toujours quelque chose

Lipogrammes multiples de Bohémiens en voyage, de Baudelaire

Bohémiens en route

Une tribu prophète, et fervente en prunelles
en prunelles fervente
Hier s’est mise en route, et porte ses petits
Sur son dos, ou lui livre, fiers bébés gloutons,
Le trésor toujours prêt : ils pendent, les tétons.

Les hommes sont pédestres sous l’épée qui luit,
Le long de leur voiture où les leurs sont blottis,
Promènent sur le ciel des yeux qui pèsent, pèsent,
Regrettent mornement les chimères en tort.

Du fond de son réduit siliceux, le grillon
Les voit se promener, redouble ses cri-cri ;
Cybèle les chérit, multiplie ses verdures,

Liquéfie le rocher et fleurit le désert
Derrière ces routiers pour lesquels est ouvert
L’empire bien connu des ténèbres futures.

Ch. B.
(lipogramme en a)

Gitans routards

La tribu nabi à l’iris brûlant
Disparut tantôt, portant son bambin
Sur son dos, hautain, livrant à sa faim
Un capital sûr : son trayon tombant.

Un gars va marchant, au poignard luisant,
Au long du chariot où ils sont blottis,
Louchant sur l’azur d’un iris trop lourd,
Sanglotant à court d’imagination.

Du fond du sablon, dans son trou, Grillon,
L’ayant vu passant, doublait sa chanson ;
Cybala, l’aimant, s’accroît sans rougir,

Fait du roc coulant, florissant Gobi,
A tous nos routards pour qui s’ouvrira
Un pouvoir connu, obscur, mais futur.

Charlot B. d’Aupick
(lipogramme en e)

Romanos en voyage

La smala du prophète aux prunelles ardentes
Déjà reprend la route, emportant son engeance
Sur son dos, ou donnant à leur grande appétence
Le trésor toujours prêt des mamelles pendantes.

Les hommes vont marchant, aux armes éclatantes,
Au long de la charrette où les leurs sont cachés,
Promenant sur l’azur leurs yeux très pesamment,
Dans le morne regret des fantômes absents.

Du fond de son trou sablonneux, la sauterelle,
Les regardant passer, redouble sa chanson.
Cybèle les adore, augmente ses verdures,

Met en eau le rocher, et en fleurs le désert,
Devant ces voyageurs pour lesquels est ouvert
Le royaume connu des ténèbres futures.

Charles B.
(lipogramme en i)

Hellequins en balade

La tribu prédictive aux prunelles ardentes
Hier s’est ébranlée, trimballant ses petits
Sur le râble, et livrant à leurs fiers appétits
Le lait jamais absent des mamelles pendantes.

Les gars marchent à pied, avec armes luisantes,
Auprès de leur charrette (les leurs s’y réfugient),
En traînant sur le ciel des yeux appesantis
Par le triste regret des chimères absentes.

De sa cachette siliceuse, le criquet
Les regardant passer, répète sa berceuse ;
Cybèle, qui les aime, augmente ses verdures,

Liquéfie le gravier, fait fleurir le désert,
devant ces baladeurs devant qui se déplie
L’empire familier des ténèbres futures.

Charles Baudelaire
(lipogramme en o)

Bohémiens en voyage

La smala des devins, les rétines ardentes,
Hier a décampé, emportant ses petits,
Dos chargé, et livrant à ces fiers appétits
Le trésor immédiat des mamelles pendantes.

Les hommes vont à pied, ont des armes brillantes,
Le long des chariots (le reste y est blotti),
Promenant vers le ciel cet œil appesanti
Par le morne regret des chimères absentes.

De sa cachette, dans le sable, le grillon,
Les regardant passer, répète sa chanson ;
Cybèle, les aimant, reverdit son gazon,

Fait fondre le rocher, éclore le désert,
Devant ces bohémiens : car il n’est pas fermé,
L’empire familier des ténèbres prochaines.

Charles B.
(lipogramme en u)

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