Les dormeurs du val

Parodiez, pastichez, il en restera toujours quelque chose

Lipogrammes anciens (travaux d’élèves, 1984-1985)

 

L’horloge

Horloge, dieu sinistre, sinistrissime même,
Dont le doigt nous inquiète et nous dit : Souviens-toi !
Les Douleurs vont vibrer en ton cœur plein d’effroi
Et le piquer, bientôt, comme si c’était une cible ;
Les joies célestes fuiront vers l’horizon,
Comme une sylphide vers le fond des coulisses.
Tout moment te dévore une bouchée du délice
Donné pour tout homme pour une courte période.
Trois mille six cents fois en l’heure, les Secondes
Chuchotent : Souviens-toi ! Elles courent vite, d’une voix
D’insecte, et te disent : Je suis le Présent, je suis Révolu,
Et je suce ton existence d’une trompe immonde !
Remember ! Souviens-toi ! Prodigue ! Esto memor !
(Mon gosier de cuivre discute en tous discours)
Les minutes, mortel réjoui, sont des pépites
Que tu ne dois perdre, tu dois en tirer l’or !
Souviens-toi que le Temps est un joueur curieux
Qui remporte victoire, toujours ! c’est une loi,
Le jour décroît, les nuits sont plus longues, souviens-toi !
Les gouffres veulent boire, les clepsydres se vident,
Bientôt sonneront les heures où le divin Destin,
Où les dignes vertus, tes épouses encore vierges,
Où le Repentir même (oh ! les derniers hôtels !)
Où tous, ils te diront : meurs vieux veule ! Il n’est plus temps !

Bôdelère, Les fleurs pourries [a]

 

Un cadran

Cadran ! Divin chagrin, affolant, mais glacial,
Dont un doigt nous provoqua puis nous dit : « Sois toujours toi ».
Par millions, maux vibrants dans ton corps abondant d’horripilation,
S’introduisant dans un instant s’assimilant à un but ;
Un plaisir flou, pas masculin, à l’infini fuira
Ainsi qu’un troll ou qu’un sylphion au fond du long couloir ;
A tout instant partira la part d’un appas (d’un appât ?)
A tout humain admis pour sa saison.
Trois fois dix fois dix fois dix fois puis six fois dix fois dix tic-tacs par tour de cadran
Un tic-tac nous dira : « Sois toujours toi ».
Soudain, par sa voix tictaquant d’animal,
Un tic-tac nous dira : « Jadis, Ah !!! Toujours, plus jamais !!!
J’absorbai tous vos jours par mon suçoir si laid !
Tick-tack, tico-taco, ticus-tacus, tikos-takos, tikor-takor, ticoin-sagouin,
(Mon goulot – du laiton – connaît tous baragouins)
Nos tic-tacs, futur mourant, sont chair ou sang,
Sont or, qu’il faut saisir, qu’il faut saisir pourtant …
Nous gagnons ; trichons-nous ? Non !
Pourquoi ? La loi ! Pour qui la loi ? Pour nous !
Plus un jour, un jour noir, la nuit ! Cadran noirci !
Soon, ding-dong ! Tic-tac ! Hasard, Mort,
Ah ! Trop tard ! Fini ! Crac ! La fin, toujours … la FIN. »

Karl Schönvonluft, Unkraut [e]

 

L’horloge

Horloge ! effrayante déesse, alarmante, posée,
Dont le pouce nous menace et nous parle : Rappelez-vous !
Les perçantes Douleurs dans ton cœur effrayé
Se planteront, tout à l’heure, comme dans un carton ;
La luxure vaporeuse va marcher vers le large
Comme une fée céleste au fon de son théâtre ;
Chaque moment te dévore un morceau d’agrément
À chaque homme accordé pour toute sa durée.
Quatre cents coups, et même davantage, par heure, la Seconde
Chuchote : Rappelez-vous ! Au galop, avec sa parole
De mouche, Moment-Présent se proclame Moment-Révolu
Et a pompé ta substance avec sa trompe répugnante.
Remember ! rappelez-vous ! et cetera … Esto memor !
(Ma gueule de métal parle toutes les langues)
Les secondes, mortel folâtre, sont des gangues
Que tu ne lâcheras pas sans récupérer l’or !
Rappelez-vous que le Temps est un joueur acharné,
Ce joueur gagne, à la loyale, à tout coup : c’est légal.
Le jour est plus court, les ténèbres plus profondes, Clepsydre perd les eaux,
Tantôt sonnera l’heure où le Hasard astral,
Où l’auguste Vertu, ton épouse encore chaste,
Où le Remords même, et le Regret (oh ! l’auberge récente !),
Où tout te parlera : Meurs, ancêtre lâche ! C’est trop tard !

Baudelère, Les Fleurs du Mal [i]

 

La pendulette

Pendule ! Dieu sinistre, effrayant, impassible !
Et ta main me menace et me dit : Je te le rappelle !
Les spasmes vibrants, dans ce ventre qui prend peur,
Se plantent maintenant, demain, pareils à la flèche dans sa cible ;
Le plaisir s’enfuira, telle une vapeur, là-bas, sur la ligne bleue,
Pareil à la sylphide du théâtre ;
Chaque instant te mange une tranche du gâteau
Qui t’est réservé, à l’échéance d’un quart d’an
Mille et mille et mille et cent et cent et cent et cent et cent et cent tic-tacs par heure, Tic-tac
Te dit : Entends : je te le rappelle ! Rapide, parlant tel un insecte,
Maintenant te dit : Je suis Hier !
Et j’ai sucé ta vie de mes lèvres abjectes !
Remember ! Je te le rappelle ! Gaspilleur ! Remember en latin,
En italien, en serbe, en russe, et cetera !
(Ma langue de métal parle bien maints langages)
Les minutes, individu débile, c’est la gangue
Qu’il ne faut pas lâcher sans en extraire le diamant !
Je te le rappelle, le Temps aime les cartes, avidement,
Il gagne sans tricher, à chaque partie ! C’est le règlement,
L’abîme veut de l’eau, du sang, la clepsydre est à sec !
Demain ce sera l’heure : et le divin Hasard,
Et l’auguste Vertu, ta femme restée vierge,
Et le Repentir même (Ah ! la dernière auberge !)
Et cetera, et cetera, et tu entendras : Meurs vieux lâche ! Il est si tard !

Baudelaire, Les Fleurs du Mal [o]

 

L’horloge

Horloge, sinistre et divine, effrayante, impassible,
Dont le doigt me menace et me dit : Rappelle-toi !
Les vibrantes crampes dans ta poitrine pleine d’effroi
Se planteront bientôt comme dans la cible.
Le plaisir s’évapore et part vers l’horizon
Comme la sylphide vers le fond des décors.
Les instants te dévorent des bribes des délices
À l’homme accordés pendant la belle saison.
Trois mille six cents fois horaires, la Seconde
Dit à voix basse : rappelle-toi ! Rapide, avec sa voix
D’insecte, Maintenant dit : C’est moi, c’est le Passé,
Et j’ai pompé ta vie avec ma trompe immonde.
Remember ! Rappelle-toi ! Ne gaspille rien ! Esto memor !
(Mon gosier de métal parle bien maints langages)
Les secondes, mortel folâtre, sont des écrins
À ne jamais lâcher sans en extraire l’or !
Rappelle-toi : le Temps est le champion avide,
Il gagne sans tricher, ses batailles, c’est la loi !
La clarté décroît, les ténèbres croissent, la clepsydre se vide,
Tantôt sonnera la cloche fatale, et le Divin hasard,
Et la noble Gloire, ta femme encore vierge,
Et le Repentir même (oh ! la dernière gargote !)
Et le monde entier te dira : trépasse ! vieillard si lâche, il est trop tard !

Bôdelaire, Les floraisons malignes [u]

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