Rencontre avec Dracula Pauline Burtaire

Par un matin d’hiver, j’allais au travail. Je fis un détour pour prendre des brioches au lait à la boulangerie de Jeanne. C’était sans aucun doute le sacrifice à faire pour être appréciée en tant que rédactrice stagiaire. J’arrivai avec mes brioches comme d’habitude avec une demi-heure d’avance. Je n’avais pas tellement le moral, mon stage s’arrêtait dans une semaine déjà. Je me dis que, moi, j’avais décidé d’écrire mon propre article pour le journal du mois prochain. J’étais tellement fière de mon idée, en même temps, écrire sur le comte Dracula et sur sa famille, ce n’était pas rien. J’étais tellement pressée que je lui demandai rendez-vous dans une lettre l’après-midi même. Le lendemain matin, je reçus une lettre qui m’était destinée : le rendez-vous était fixé pour le soir même, aux alentours de six heures, au château de Dracula. L’horaire était plutôt inhabituel mais en même temps, c’était un comte, il devait être très occupé la journée.

Lorsque six heures sonnèrent, j’étais devant sa demeure. Elle semblait quelque peu à l’abandon. Je frappai à la porte, le bruit résonna à l’intérieur. Je me présentai puis il me fit entrer, il faisait extrêmement sombre, c’est à peine si je distinguais sa silhouette. Il avait allumé quelques bougies. Nous nous assîmes dans le petit salon pour que je commence à lui poser mes questions pour le journal. Il ne s’arrêtait plus de parler de sa famille. J’avais du mal à prendre des notes. Je regardai ma montre, il était déjà très tard. Cependant j’avais encore de nombreuses questions et, étant donné qu’il s’étalait sur le sujet, nous prîmes un autre rendez-vous pour le lendemain à sept heures. Je lui demandai d’avancer un peu cet horaire mais il refusa. Avant de partir, je remarquai que tous les tableaux et miroirs étaient recouverts de draps. Sans le faire exprès, je bousculai un des tableaux recouverts et au vu de l’accoutrement du sujet et de la manière dont le tableau avait été peint, il devait avoir au minimum cent vingt ans. Ce qui m’étonnait, c’est que le comte ressemblait trait pour trait au personnage du tableau. Il ramassa le drap et le remit sur le tableau en vitesse. Je m’excusai puis je partis.

Le lendemain, j’y retournai pour l’heure prévue. Je n’eus même pas le temps de toquer à la porte que le comte l’ouvrit. Il se dirigea vers la salle à manger, un grand festin nous attendait sur une longue table en chêne ornée de gravures. Le comte annonça qu’il était déjà servi en vin. Celui qu’il buvait il n’avait pas la même couleur que le mien. Le sien avait une couleur plus vive et une texture plus épaisse. Avec son vin, il choisissait dans les plats uniquement de la viande, des morceaux à peine cuits, presque crus. Pendant le dîner, nous discutâmes. Je remarquai que pour parler de ses ancêtres, il disait « je » et que si je ne reprenais pas, il ne s’en rendait pas compte. Vers la fin du repas je sortis mon appareil photo et lui proposai de prendre une photographie de lui pour l’article. Il refusa catégoriquement et s’énerva beaucoup. Il pensait que je voulais le tuer, il ne me donna même pas un instant pour m’excuser. Il partit brusquement.

Quand il revint, il était calme et apaisé, mais j’avais l’impression que quelque chose avait changé sur son visage. Je m’efforçais de deviner quoi mais impossible de trouver. Tout à coup je sus ce qui avait changé en lui. Avant qu’il ne s’éclipse, son nez était aquilin mais maintenant il était épaté et plutôt imposant. J’étais assez perturbée de son excès de colère donc je lui demandai si nous pouvions finir le lendemain. Il accepta.

Le lendemain j’arrivai une heure plus tôt. J’étais pressée de finir pour enfin rédiger l’article et le voir publié. Je toquai à plusieurs reprises mais personne ne vint m’ouvrir. Je pris donc l’initiative de rentrer. Je fis le tour du petit salon à pas feutrés mais là aussi, il n’y avait personne. Je montai les escaliers et me dirigeai vers la pièce où le comte s’était réfugié quand je voulais le prendre en photo. J’ouvris la porte et, étonnamment, la pièce était presque vide. Au milieu se trouvait une caisse en bois fermée. Curieuse, je m’approchai de la boîte et déplaçai le couvercle par terre. Je constatai qu’il n’y avait rien de plus que de la terre.

Je m’apprêtais à partir quand soudain j’entendis quelque chose bouger. Je me penchai donc vers la boîte. La terre semblait prendre la forme d’un homme. Je crus que mon imagination me jouait des tours mais ce que je voyais était bien réel : un homme sortait de la terre. Ce n’était pas n’importe quel homme, c’était le comte. Je dévalai l’escalier de marbre puis claquai la porte du château. Quand j’y repense, les photos, les rendez-vous tardifs, les miroirs cachés, son nez, l’utilisation du pronom « je » pour parler de ses ancêtres … Dès lors, tout me sembla clair, le comte Dracula était un monstre ou plutôt devrais-je dire un vampire.

Pauline Burtaire

Gilles de Rais — Wikipédia

Tableau représentant Gilles de Rais, compagnon de Jeanne d’Arc devenu fou, tueur en série d’enfants, à l’origine du conte de Barbe-Bleue.

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