Le manoir, Adrien 4è2

Le manoir semblait abandonné depuis vingt ans. La barrière ouverte et pourrie tenait à peine debout. L’herbe emplissait les allées ; on ne distinguait plus les plates-bandes du gazon. Nous étions au début du mois d’octobre et il était environ dix-huit heures. J’avais choisi par discrétion de venir à cette heure. La façade était couverte de lierre et de moisissure. Le vent faisait trembler les feuilles des arbres. Je me sentais oppressé, observé et suivi. Le bon sens aurait dû me faire rebrousser chemin, mais c’était comme si mon corps avançait seul.

Je franchis donc la barrière et me retrouvai dans le jardin. Il était encore plus effrayant de près. Le chemin de pierres qui permettait d’accéder à la porte d’entrée n’était guère plus rassurant. Malgré l’atmosphère intimidante, je m’approchai jusqu’à la grande porte d’entrée mais découvris qu’elle était fermée. Je contournai l’antique demeure et trouvai une fenêtre ouverte sur l’arrière. Le sol était en parquet et grinçait fortement, par endroits, il manquait des lames et je devais surveiller où je mettais les pieds.

Je n’aurais jamais dû entrer, mais la curiosité était trop forte, il fallait absolument que je sache. Orphelin de naissance et élevé par l’Assistance Publique, je n’ai en effet jamais connu mes parents. Les recherches que j’avais entreprises très tôt m’avaient emmené jusqu’à ce manoir, à plus de soixante ans. Les propriétaires étaient morts depuis longtemps. Cette maison était vide depuis vingt ans. Je cherchais des preuves qu’il avait appartenu à mes parents.

Je ressentais un mélange d’émotions contradictoires : de la peur de me retrouver dans un endroit aussi sinistre, mais aussi de la curiosité à l’idée de découvrir peut-être qui étaient mes parents. Avec beaucoup d’énergie et tant que la lumière du jour le permit, je parcourus tout le rez-de-chaussée et tout le premier étage, mais les pièces étaient désespérément vides. Sans trop y croire, je montai au dernier étage où je finis par découvrir un petit salon dans lequel étaient accrochés au mur deux tableaux. Ils représentaient un couple à deux époques différentes. Sur le premier, la femme était enceinte et elle et son compagnon paraissaient très heureux. Sur le second, les époux devaient avoir une dizaine d’années de plus et la joie avait disparu de leur visage pour laisser place à une profonde tristesse. Ce n’est pourtant pas cela qui me frappa le plus. L’homme était en effet mon sosie parfait, au même âge.

Abasourdi par cette découverte et épuisé par mon inspection frénétique du manoir, je m’effondrai dans un fauteuil alors que la nuit commençait à tomber. Je ne sais pas très bien combien de temps je restai assis dans ce fauteuil, mais suffisamment pour que mes yeux s’habituent à l’obscurité. Je perçus deux ombres qui s’approchaient de moi. Etaient-ce des fantômes ? Je le crus un instant mais quand elles furent à côté de moi, je pus apercevoir leur visage. La première était une femme qui paraissait très âgée, qui avait dû être belle autrefois mais qui était maintenant d’une pâleur et d’une maigreur extrêmes. La seconde était un homme qui avait dû être robuste mais qui se déplaçait avec difficulté à présent, comme s’il portait sur son dos toute la misère du monde.

Je n’étais cependant pas au bout de mes surprises. Devant cet homme, j’avais en effet l’impression de me retrouver face à un miroir, mais qui me renvoyait une image vieillie de vingt ans. Enfin je sursautai quand la vieille femme s’adressa à moi et me dit :  » Nous sommes bien fatigués, nous sommes là depuis si longtemps. Un enfant nous a été volé le jour de sa naissance par un homme autrefois amoureux de moi, mais qui n’a pas supporté que je ne l’aime pas et que j’épouse quelqu’un d’autre. Sa vengeance a été bien cruelle car nous avons passé notre vie à rechercher cet enfant, en vain. Nous avions, quelques jours avant sa naissance, acheté un médaillon sur lequel nous avions fait graver le mois et l’année de sa naissance en prévision de son baptême. Il n’y avait plus que le jour et le prénom à ajouter car nous ignorions si ce serait un garçon ou une fille. Cela a dû nous porter malheur car nous n’avons eu la joie de connaître cet enfant que quelques heures et nous ne trouverons le repos et ne partirons en paix que quand nous aurons pu lui donner son médaillon. »

A peine avait-elle fini sa phrase qu’elle et son mari disparurent comme par enchantement. Affolé et désemparé, je m’enfuis de cet endroit terrifiant aussi vite que je le pus. De retour chez moi, je tentai de reprendre mes esprits et me dis que sous le coup de la peur, de l’émotion et de la fatigue, la nuit aidant et dans un demi-sommeil, j’avais dû être victime d’une hallucination et rêver toute cette scène tant j’espérais retrouver mes parents depuis ma plus tendre enfance. Cependant, constatant que mon front était en sueur, je voulus prendre un mouchoir dans la poche de ma veste et ma main sentit un objet métallique, accroché à une chaînette.

Quelle ne fut pas ma surprise quand l’approchant de la lumière, je découvris un médaillon au dos duquel étaient gravés le mois et l’année de ma naissance !

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