Le manoir, Thomas 4è3

Le manoir semblait abandonné depuis vingt ans. La barrière, ouverte et pourrie, tenait debout on ne sait comment. L’herbe remplissait les allées, on ne distinguait plus les plates-bandes du gazon. Je n’avais pas vu ce lieu depuis plus de de trente ans. Les circonstances de mon retour n’étaient pas très joyeuses. Mon plus lointain souvenir vient de cet endroit. Je jouais pendant des heures avec mes frères et soeurs, mes cousins et cousines et les enfants du village.

Toute la famille était réunie sous ce toit. Nous étions heureux jusqu’au jour où ma soeur Marie tomba de la fenêtre de sa chambre. Ce drame bouleversa la famille toute entière. Cet événement causa le départ de mes parents et de ma fratrie. Mon grand-père resta là, il vivait dans ce manoir depuis sa naissance. Il ne le quitta jamais jusqu’à sa mort, survenue la semaine passée. C’est à moi qu’il avait confié la lourde responsabilité de devenir le propriétaire du château et des domaines qui l’entourent. Il me l’avait promis avant mon départ.

Je me rendais compte seulement en arrivant que c’était un cadeau empoisonné. En effet, les dettes passaient à ma charge et la remise en état des bâtiments allait certainement causer ma ruine. Malgré ces contraintes économiques, mais aussi sentimentales, à cause de l’accident de ma jeune soeur, j’étais attaché à ce lieu. Je voyais aussi le potentiel d’un si grand château aux portes de Paris.

Après ces quelques instants de réflexion, je commençai ma visite. La première pièce était une immense entrée bordée par différents salons et dans laquelle se trouvaient deux beaux escaliers en marbre blanc qui permettaient d’accéder au premier étage. Je me rendis au premier étage dans la grande bibliothèque et tombai sur une vieille poupée qui appartenait à Marie. Ce jouet était avec elle quand elle était tombée. Mais qu’importe. Je n’étais pas là pour raviver ma douleur.

Dans la pièce suivante se trouvaient des portraits de toute la famille depuis plus de dix générations. Parmi eux, celui de Marie. C’était la deuxième fois depuis le début de la visite que cette histoire revenait me hanter par des souvenirs précis. En fixant ce portrait, j’entendis soudain la voix d’une petite fille : « Tu n’as pas rempli ta mission de grand frère, tu devais me protéger. Essaie d’imaginer mon brillant avenir, ma vie pleine de bonheur, tout cela m’a été enlevé brusquement. »

Je n’en revenais pas, depuis tout ce temps, j’avais oublié cette voix. Soudain je compris que je devenais fou. Certaines personnes de mon entourage m’avaient pourtant mis en garde contre cette aventure. Mon passé émotionnel dans ce bâtiment était si fort que la folie consumait peu à peu mon esprit pourtant si rationnel. Je continuai pendant cette longue nuit à déambuler dans les couloirs, les pièces de réception, les nombreuses chambres.

Cette voix ne voulait pas sortir de ma tête. Elle revenait encore et encore, culpabilisante et machiavélique. Epuisé par cette longue errance, j’ouvris par inadvertance la porte de trop, celle de la chambre de Marie qui était restée fermée depuis sa mort. Cette pièce autrefois pleine de vie et de gaieté était devenue la plus sinistre de la propriété. Je voulais repeindre les murs de couleur vive, redonner la joie à cette pièce, pour honorer la mémoire de Marie.

D’ailleurs le manoir entier serait transformé en refuge pour les enfants orphelins de la région et pour les familles pauvres ayant perdu des enfants jeunes. La chambre de Marie serait transformée en petite chapelle à sa mémoire, la fréquentation future de ce lieu permettrait qu’il y ait toujours une personne qui prie pour le repos de son âme, ainsi elle ne pourrait plus jamais hanter les vivants. Afin de financer les travaux, je devrais vendre toutes les oeuvres d’art de la famille, tous les bijoux, les beaux meubles et peut-être même les portraits.

Dans ma tête, c’était l’unique solution pour vivre en paix sans être hanté par l’esprit de ma soeur. Même si ce projet me ruinait, cela valait le coup pour échapper au murmure sarcastique de cette soeur qui est devenue mon pire cauchemar. Mon Dieu, je suis devenu fou, je me transforme en monstre moi-même, je rêve et projette de ruiner ma famille pour un esprit moqueur ! Cet endroit est maudit. Je ne rêve pas, ce fantôme me force à penser à des choses atroces. Je n’en peux plus, Marie, attends-moi, je vais marcher dans tes pas.

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