Il y a 50 ans…

Il y a 50 ans… prenait l’alternative un people du toreo, un véritable phénomène médiatique. Même si cet anniversaire est un peu passé inaperçu avec la mort du grand torero classique et artiste Pepe Luis Vázquez, il convient tout de même, ne serait-ce que pour les nouvelles générations, de revenir sur la carrière d’un personnage qui ne laissa en son temps personne indifférent et que beaucoup ont considéré comme un anti-torero.

 

Manuel BENÍTEZ  PÉREZ  “EL CORDOBÉS

 

Sa date de naissance, sur laquelle il existe des doutes, semble correspondre au 4 mai 1936, dans la localité cordouane de Palma del Río.

 

Orphelin dès son plus jeune âge, il commença à toréer de nuit dans son adolescence avec son ami Manuel Gómez Aller, qui mourut après avoir été encorné et peut-être aussi pour ne pas avoir possédé la carte de torero professionnel qui lui aurait permis d’être soigné dans un centre spécialisé. Il fait l’espontáneo à plusieurs reprises, la troisième fois en se jetant à l’arène de Madrid le 28 avril 1957 où il se fait retourner plusieurs fois. En novilladas non piquées il torée à Talavera en 1959 mais il connaît un échec complet. Cependant, il rencontra “El Pipo”, un apoderado qui le ferait toréer pour la saison 1960. Il débuta avec picadors à Cordoue le 27 août coupant 4 oreilles et une queue et le 5 mars 1961 il sortit en triomphe des arènes de Barcelone sans avoir triomphé, il s’agissait tout simplement d’une manigance. Notons qu’il est blessé à Bilbao, à Grenade, où il reçoit un coup de corne dans le ventre, et à Valence. « El Pipo » organisa dans le palais du dictateur en place un festival dans lequel Franco put voir dans le torero un moyen supplémentaire de dévier l’attention du peuple. Carlos Abella écrit d’ailleurs à ce propos :

il reçut la bénédiction politique et sociale du régime, en se convertissant en son plus fidèle protecteur[1].

 En 1962 – l’année où il tourna le film En apprenant à mourir – il toréa 109 novilladas et il reçut l’alternative à Cordoue des mains d’Antonio Bienvenida le 25 mai 1963 face au toro Palacar de Samuel Flores auquel il coupa les deux oreilles. Le 20 mai 1964 il la confirma à pile ou face : il reçut une coup de corne et coupa une oreille bien qu’il n’ait pas tué le toro Impulsivo de Benítez Cubero que lui avait cédé “Pedrés”. Il triompha ensuite lors de la corrida de Beneficencia, le 23 juin, en coupant les deux appendices auriculaires d’un toro d’Atanasio Fernández. Le 20 avril précédent il avait obtenu la queue d’un animal de Carlos Núñez à Séville et en 1965 il coupa trois oreilles sur l’albero maestrante, sortant par la Porte du Prince aux côtés de Curro Romero et Manuel Amador (toros de Carlos Núñez). Un autre 24 mai, mais deux ans plus tard, il couperait les deux oreilles de Pachón d’Antonio Pérez, toro considéré comme le meilleur de la feria de San Isidro de 1967[2]. C’est cette année là qu’il batit le record de corridas toréées lors d’une saison européenne : 111. En 1966 il coupa les deux oreilles d’un autre toro d’Atanasio Fernández et il triompha aussi à Madrid le 1er octobre 1967 (deux oreilles à un toro d’Antonio Pérez). Le 11 mai 1968 il reçut un double trophée pour la faena réalisée à un toro de Galache. L’année 1969 fut celle de la guerrilla contre les grandes empresas qui, à son issue, revinrent lui manger dans la main : une saison parallèle, parfois dans des arènes démontables, en compagnie de Palomo Linares. En 1970 il coupa quatre oreilles de plus, le 20 mai, à des toros de Juan Mari Pérez Tabernero et 4 autres le 23 du même mois, toujours dans la capitale espagnole, à des exemplaires de l’élevage d’Atanasio Fernández une fois de plus. L’apothéose cordobesista, qui s’acheminait vers le discrédit de la Corrida, culmina lors d’une corrida en solitaire à Jaén où l’idole des foules monta à califourchon sur un taureau sans caste et bien-sûr d’une présentation nulle : 11 oreilles et 3 queues pour l’anecdote, un record de plus. Il bat d’ailleurs le sien en toréant 121 corridas en cette saison 1970. L’année suivante il prit une première retraite mais il réapparut en 1979, recevant un coup de corne au mois d’août.

 

Dans cette période, il n’est plus le même torero et le délire collectif qu’il inspirait s’est estompé. En 1981, le 14 septembre, un espontáneo qui s’était jeté à l’arène d’Albacete meurt des conséquences des coups de cornes reçus. “El Cordobés” se retire de sa profession après la corrida. Après cette course il a souvent menacé de revenir mais ne l’a fait que rarement et encore dans des endroits mineurs, pour des corridas burlesques de la côte estivale. Sa dernière annonce avortée de réapparition eut lieu en 2007 pour l’alternative de son fils légitime (à la carrière très discrète), Julio.

“El Cordobés” fut un torero tremendista qui, au début, ne savait pas toréer, mais qui, doué d’un courage certain – à César ce qui est à César – apprit à manier les instruments du toreo pour toréer en ligne, en liant les passes avec stoïcisme mais sans le moindre intérêt artistique. Certains ont vu en lui un révolutionnaire mais pour s’en tenir à la réalité il n’a rien révolutionné du tout car personne ne l’a suivi dans ses manières, mis à part son fils supposé : Manuel Díaz “El Cordobés”. Mais le fait est qu’il fut un phénomène social qui fit venir aux arènes beaucoup de gens qui n’avaient pas l’habitude de les fréquenter. Il dut son importance à sa dimension médiatique qui était le résultat de nouvelles techniques de marketing et de son toreotragicomique : c’était un clown (cf. photo supra du saut de la grenouille) téméraire. Il s’agit d’un mythe, c’est vrai, mais pas d’un mythe taurin. De nombreuses oreilles attribuées dans des plazas d’importance étaient douteuses. Faut-il y voir une corrélation avec ses compromissions vis-à-vis du régime ? A Séville il a coupé 15 oreilles et une queue en 18 corridas, sortant trois fois par la Porte du Prince. A Madrid il a obtenu 26 oreilles en 20 corridas et il est sorti en triomphe en 5 occasions pour la feria de San Isidro.


[1] Dans Historia del toreo, tome II : p. 407.

[2] Il reçut le prix de la mairie de Madrid.


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