Le fond et la forme

Après les ferias d’Alicante, Algeciras et Badajoz un constat s’impose une nouvelle fois : lorsque la Corrida est dépossédée, un à un, de ses atours et qu’elle se retrouve dans son plus simple appareil, ce n’est pas son essence, comme cela devrait être, mais sa frivolité qui apparaît clairement.

J’ai eu l’occasion de l’exprimer, je ne suis pas favorable au gros toro, non pour le volume en soi mais parce que celui-ci ne favorise pas les charges enjouées. Mais lorsque le toro est petit et qu’il est trop moyennement armé pour des arènes de seconde catégorie et surtout qu’il manque de force au point de ne pas voir de seconde pique en une dizaine de corridas (la grosse monopique n’explique pas tout) et ce qui est pire qu’aucun ou presque ne charge avec une vivacité suffisante à la muleta alors nous sommes bien dans ce que certains appellent la corrida light, une corrida qui ne crée pas d’afición et, qui plus est, une corrida qui ne donne pas à envie à une partie de ceux qui avaient fait l’effort de venir d’y retourner. Je ne vais pas moi aussi ajouter ma pierre à l’édifice de la décadence dont parlent certains car les années 60 avec leurs toros ridicules (pour les années précédentes on les mettra sur le compte de la guerre) ou les années 80 ainsi que la décennie suivante où les chutes des toros quel que soit leur encaste étaient légions me paraissent pire encore que l’époque actuelle. Tous les temps anciens n’étaient pas meilleurs (le XIXe siècle aussi a eu ses crises taurines), ceci dit la tauromachie ne doit jamais se satisfaire mais au contraire se parfaire. Il est urgent que la revalorisation du tercio de piques devienne une réalité en Espagne, au-delà d’occasions comptées dans quelques grandes arènes, et pas seulement pour la beauté oubliée de cette phase du « combat » mais surtout pour la recherche d’un toro demandant à être soumis et non mimé.

Ponce est le torero qui a le mieux su profiter des animaux impotents qui sortaient du toril dans les années 90 en leur appliquant une tauromachie superficielle en début de faena à laquelle on a toutefois tort de le réduire. Ses successeurs sont de nos jours nombreux et dans les ferias invoquées plus haut c’est cette tauromachie qui a encore prévalu, une tauromachie technique qui ne vaut que pour « mettre le toro dans le panier » comme disent les taurins, pour lui permettre de se récupérer et éviter qu’il ne s’éteigne trop vite mais qui n’a d’intérêt que si dans la deuxième partie de la faena le torero arrive à baisser la main et à conduire la charge. J’entends déjà les discours simplificateurs mais Domecq ou pas ce qu’il faut faire à mon humble avis c’est rehausser le niveau moyen de caste plutôt que de tout mettre au rebut.

Les figures ont leurs commodités, elles basent leur saison sur un petit nombre de grands rendez-vous où si le bétail qu’ils affrontent n’est pas au fond franchement différent ils font au moins l’effort d’essayer de toréer avec plus de profondeur. Qu’ils ne s’étonnent pas si les arènes ne se remplissent qu’à moitié ou aux trois-quarts. La crise est là, nul doute à cela, mais ce qui est pareillement certain c’est que demain se construit aujourd’hui et que trop d’éléments viennent à manquer pour imaginer un avenir radieux. Un bilan intermédiaire de cette temporada nous permet d’ores et déjà d’affirmer que comme il était à prévoir les manos a manos répétés, les affiches fermées, les gestes inachevés, les triomphes dévalués et le toreo stéréotypé sont autant de paillettes qu’on veut nous vendre pour de l’or.


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