Ni mansos ni braves

Les auteurs de traités classiques n’ont pas vraiment laissé de place aux nuances existant entre les concepts de bravoure et de mansedumbre même si nous savons, en tant qu’aficionados, qu’il existe une infinité de degrés et que le toro véritablement brave apparaît aussi peu que le manso perdido. Il faudrait donc ajouter d’autres catégories, en commençant par le toro commun, celui que certains aficionados appellent le demi-toro, qui peut être fade, ou pire, sot, « décasté », qui paraît plutôt suivre que poursuivre les leurres et qui permet ou oblige au – lorsque ses maigres forces ne lui permettent pas autre chose – toreo allégé (hors de la ligne d’attaque, en parallèle, à mi-hauteur, c’est-à-dire sans domination réelle) aussi fade que l’animal.
Sans être bravucón (Peut-on qualifier de taureaux braves des animaux auxquels certains éleveurs ont réussi à tout leur enlever, jusqu’à la mansedumbre ?), si le cornu a de la « mobilité » (affreux néologisme taurin qui exprime une dépréciation du concept de bravoure), on pourrait le qualifier de bravito, un toro qui se laisse faire, qui charge sans pousser, peu exigeant, qui appartient donc à ce limbe entre bravoure et noblesse. Dans sa version la plus négative on peut parler d’un toro impuissant (un comble pour un animal avant tout célébré pour sa vitalité et sa fertilité).
Il y a au contraire les mansos « encastés » (qui à mon avis ne peuvent être confondus avec les bravucones à moins qu’on veuille mettre dans cette catégorie des réalités antagoniques) dont la science de la lidia est en train de se perdre. Ce sont des toros qui, bien que mansos, peuvent donner beaucoup d’émotion, au point qu’on peut se souvenir d’eux toute une vie grâce à cette valeur positive de la caste (pas du point de vue du torero bien-sûr, mais la Corrida mourra de l’uniformité), comme ce Cantinillo, de Dolores Aguirre, qui permit, à Vic-Fezensac, l’un des tercios de piques les plus épiques de ces dernières années ainsi que le lancement d’un torero comme Alberto Lamelas qui a eu le courage de ne pas se laisser dévorer par un ruminant.
Pour terminer, il faut rappeler que le comportement des toros ne doit être qualifié qu’à la fin de la lidia et que certains signes passagers comme se montrer abanto à la sortie ou gratter le sol ne doivent pas être suffisants pour les cataloguer. Il en va de même avec le fait de rajarse (se dégonfler et fuir) qui, comme l’a démontré le docteur Miguel Padilla, est une manière de reconnaître la supériorité de l’adversaire après une lutte intense dans certains cas et après une faena parfois trop longue. Cette règle comportementale est celle qui prévaut dans la nature où les combats ne sont heureusement pas toujours mortels : « Ce comportement a lieu dans la lidia, dans la lutte avec le torero. On perçoit parfois que le toro se déclare vaincu et il l’exprime en baissant la tête et en donnant quelques pas en arrière, il informe qu’il se considère battu, que l’opposant a gagné et il arrête de sa battre positivement, mais le défié (le torero) continue son combat, le torero continue à lui proposer la muleta et le toro, avec moins d’envie, charge à nouveau, mais pas comme au début, il a du mal à charger, car il ne trouve pas une réponse comme dans la nature, et une ou deux séries après il refait la même chose, il lui répète qu’il se déclare vaincu, et il l’exprime en baissant la tête et en donnant un ou deux pas en arrière, ce n’est pas qu’il soit manso, c’est que dans le combat il a reconnu qu’il est le perdant, il reconnaît être le perdant et il l’exprime de cette manière, il accepte avoir perdu et celui qui provoque le duel, le torero, n’agit pas de façon conséquente. »


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