Empathie et transmission

Croyez-vous que la connexion empathique entre le torero et les spectateurs est ce qu’on appelle la « transmission » ? (une des questions posées à l’un des examens pour le cours de Direction des Spectacles Taurins de l’Université à Distance Espagnole)

Je considère que le torero est notre représentant sur cette scène-autel qu’est l’arène, le représentant de l’humanité devant la mort même, l’inconnu et il existe une empathie quant le torero est réellement notre digne représentant, c’est-à-dire quand il fait ce que nous ne serions pas capable de faire et qu’il se convertit en héros, en un homme au-dessus des autres, capable de tutoyer les dieux et d’être un lien avec l’au-delà, avec le mystère.

Mais une fois qu’on a dit cela, plus que partager les émotions du torero, son sentiment, ce qui est important c’est qu’il nous transmette sa sincérité. Il y a des toreros (j’ai à l’esprit un certain nombre d’exemples) qui se satisfont d’eux-mêmes lorsqu’ils composent la figure en conduisant la charge vers l’extérieur. Toréer c’est danser mais avec le toro, pas devant lui.

Sans doute à cause de ma formation cartésienne je donne plus d’importance au cognitif qu’à l’affectif et l’expérience me démontre que celui que l’on considérait comme le mouton noir de l’affiche peut parfois être capable de nous surprendre en s’exposant même si l’a priori était négatif et qu’il n’y avait au départ aucun affect.

Par ailleurs, comme on peut le lire à la page 30 de El toro bravo, etología, aprendizaje y comportamiento du Dr Padilla l’émotion (car c’est bien de cela qu’il s’agit dans la transmission) « se produit devant un objet ou une personne concrète que nous considérons comme importante », ce qui veut dire qu’il y a aussi transmission dans la connexion entre un aficionado et un grand toro. Ceci dit, je ne vais pas jusqu’à dire qu’il s’agit d’une connexion empathique bien que les valeurs que nous avons transmis au toro depuis des siècles ne sont rien d’autre que des valeurs humaines (comme la bravoure et la noblesse) et beaucoup d’aficionados (la tauromachie a indubitablement une forme de religion immanente) souhaiteraient être réincarnés en taureau brave, cet animal mythique depuis les origines de l’humanité.

Dans le toreo on sait que cohabitent deux sortes d’émotions, une esthétique, l’autre tragique. Dans le premier cas l’homme met plus du sien, dans le deuxième cas c’est l’animal.

Je considère cependant que la « transmission » vécue par la majorité des aficionados est celle qui se produit lorsque nous sommes en présence de l’Œuvre, celle que réalise assurément un Torero mais face à un Toro qui a lui-aussi sa transmission, c’est-à-dire un ensemble de qualités qui produisent un effet sur le public. Lorsque nous écoutons une musique qui nous émeut, je ne crois pas qu’il y ait de l’empathie avec les musiciens ou le compositeur. L’œuvre a une existence en elle-même et elle touche une corde sensible en notre for intérieur sans que nous l’ayons cherché.

Pour résumer, je crois que la transmission n’est pas forcément la connexion empathique entre le torero et les spectateurs car dans ce cas celui-ci triompherait dans n’importe quelle circonstance mais plutôt la connexion entre le public et la torería ou la bravoure et si possible les deux puisque nous admirons non seulement chacune d’elles mais surtout leur interconnexion. Il me semble, même si je me trompe peut-être, qu’on peut aimer les vers de celui qui dit le toreo ou sa musique au rythme sourd, pour parodier Bergamín, sans nous mettre dans la peau qu’habite le poète, le musicien ou le torero. Je ne crois pas que les émotions vécues par le torero et par le spectateur soient les mêmes, ni qu’elles se ressemblent et je dirais même que le torero, lorsqu’il se ressource dans une suerte, se met à la place de quelqu’un dans le tendido pour se voir en train de toréer car cette fusion ou osmose est ce qui est réellement beau. Je ne doute pas de la puissance des émotions vécues par le torero mais faisant partie de l’œuvre il ne peut logiquement pas la voir. L’art n’est, à n’en pas douter, rien d’autre que la transmission d’un sentiment – par la voie de la création artistique – et lorsque nous admirons son œuvre nous voudrions sans doute inconsciemment être l’artiste mais j’ai du mal à réduite la transmission à ce fait purement physiologique d’une émotion par procuration. Comme dit Rafael « el Gallo », et, sur ce, tout est dit, « le toreo c’est ce que l’on ne peut pas expliquer ».


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