L’Age d’or et l’âge d’argent

Avec Joselito  « El Gallo », dont l’alternative est célébrée en 1912, qui représente le faîte d’une forme de toreo, et Juan Belmonte (1913), qui est l’initiateur d’une nouvelle, la tauromachie rentre dans ce qu’on considérera son Âge d’Or. Ce dernier torero révolutionne le toreo, en réduisant les déplacements et en les compensant par un jeu de bras et de ceinture. Il attend immobile le toro, en le déviant et en se plaçant dans un terrain défendu, et il ramène l’animal sur lui après le passage des cornes, en « templant » sa charge. Pour Belmonte, toréer c’est parar, mandar et templar, et avec lui la tauromachie rentre dans son époque contemporaine. La contrepartie sera une adaptation du toro à la tauromachie nouvelle, ce qui entraînera une disparition quasi complète des castes morucha et navarraise. C’est également au début de ce siècle qu’apparaîtront des élevages comme Santa Coloma ou Parladé, bases de la plupart des ganaderías actuelles.

El Espartero a été le premier torero à s’immobiliser devant la charge des toros ce qui en fait le précurseur du toreo de Belmonte qui, s’il fut une révolution, était plus une évolution technique sur ce point précis. Manuel García était stoïque et téméraire mais dépourvu de technique. C’est donc un évolutionniste malgré lui. Les toros lui passaient très près de corps, ce qui lui valu d’être tué par le miura Perdigón en 1894.

Reverte ensuite, lui-aussi sujet aux coups de cornes, est un autre torero ayant pu inspiré Belmonte dans ses manières ajustées. Il était d’un grand courage mais aussi plein de gaucherie dit-on.

Antonio Montes (alternative en 1899 et tué par un toro mexicain en 1907) est l’autre composant du creuset belmontien. Son temple, son toreo plus immobile et les mains plus basses que la moyenne doivent être mentionnées pour lui rendre justice et le faire sortir post-mortem de la position de torero modeste qu’il n’a jamais quitté de son vivant en raison de son manque de grâce et de ce qui passait aussi pour de la maladresse.

Je ne vais pas revenir ici longuement sur le toreo de Belmonte puisqu’il a fait l’objet d’un article précédent mais il faut rappeler qu’il est le créateur du toreo moderne avec l’imposition des trois canons de base : parar (stopper le toro pour que le torero puisse s’immobiliser ), templar et mandar. Mais, si le « terremoto de Triana » fait la statue (le don Tancredo comme on disait), face à la ligne frontale du toro, c’est à dire croisé, pour ensuite conduire la passe le plus loin possible avec suavité, son grand rival, qui aura la clairvoyance de voir en cela une évolution définitive du toreo, va quant à lui esquisser les prémices de l’enchaînement des passes au moins à partir de 1914. Avec José Gómez, qui représente tout d’abord l’ancienne manière de toréer à l’état de perfection, va apparaître le toreo en rond alors que jusque là les passes non seulement se donnaient d’une en une mais souvent d’un côté différent à chaque fois.

Verónica BelmonteVéronique de Juan Belmonte. Photo ‘6 TOROS 6’

En 1917 les piques sont pourvues d’un cran d’arrêt pour éviter qu’elles pénètrent de trop. Les imitateurs de Belmonte sont nombreux à partir des années 20 et le répertoire de cape s’enrichit considérablement : Gaona – qui a pu être considéré comme le troisième homme dans la rivalité entre Joselito et Belmonte – invente la gaonera, « Chicuelo » – un autre artiste novateur qui pratiquera un début de liaison des passes – la chicuelina, Marcial Lalanda la mariposa, comme une preuve supplémentaire de son toreo varié, Antonio Márquez – un torero à l’art dépuré – réalise une demi-véronique très personnelle qui fera école, pouvant pour cela être considéré comme son inventeur, et « Gitanillo de Triana » améliore la véronique, inaugurant ainsi le toreo de mains basses, qu’un grand critique qualifia de minute de silence. Le lidiador Manuel Granero et le vaillant Ignacio Sánchez Mejías meurent en toreros. D’autres toreros importants sont « Niño de la Palma », qui aurait pu être un torero complet, le génial « Cagancho » ou le mexicain « Armillita », torero largo, et la machine à triompher qu’était Nicanor Villalta. Avec Domingo Ortega, avec une manière de toréer sans pathétisme, le toreo castillan prendra de plus en plus d’importance. Il acquiert même le rang d’école, héritière de celle de Ronda par certains aspects.

« Chicuelo » avait d’après Cossío « une connaissance et une maîtrise extraordinaires de sa profession et des toros (…). Son courage et même sa volonté, qui n’ont pas toujours été suffisamment fermes pour soutenir et faire valoir ces qualités exceptionnelles, pourront manquer ou se briser mais il n’a jamais déçu. »1. Le créateur de la chicuelina était à la cape l’un des plus grands toreros de l’histoire taurine, un maître de la véronique, un artiste génial au style dépuré et très personnel, capable d’après ses contemporains de perfection dans toutes les suertes mais ce qu’il a apporté à sa discipline c’est avant tout l’amélioration de la liaison des passes comme objectif à atteindre. Mais si celle-ci reste encore exceptionnelle, elle apparaît quelques fois, tout d’abord à Madrid en 1928 avec le graciliano Corchaíto (une grande faena d’à peine une vingtaine de passes). Cependant cette façon de faire n’est pas encore la norme. Ce torero est en tout cas celui qui synthétise les toreos de « Gallito » et Belmonte et le chaînon manquant entre eux et « Manolete ».

Au même moment « Gitanillo de Triana » est l’auteur d’une évolution considérable dans la manière de toréer : baisser les mains (lors de la véronique dans un premier temps) pour dominer l’adversaire, chose non évidente jusqu’alors. Ce moment coïncide avec l’apparition du peto protecteur des chevaux, évolution également fondamentale pour la Corrida.

Francisco Vega de los Reyes "Gitanillo de Triana", dit Curro Puya

Francisco Vega de los Reyes « Gitanillo de Triana », dit Curro Puya

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1. Cf. Los Toros en deux volumes : tome II p. 526.


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