Le classicisme : toreo éternel?

Après Belmonte, à l’instar des avant-gardes artistiques de la même époque, la tauromachie bouillonne de créativité. Le classicisme se forge mais il n’est pas encore. Sans doute faut-il dater sa naissance aux années 50.

Dans la dernière partie de la Guerre Civile, alors que Manolete n’était encore qu’un novillero, le toreo était encore en train de changer et dès les années 40 il n’y aurait plus de retour en arrière possible.

Le toreo de Manolete allait être repris dans ses fondements mais pas dans son style, à part peut-être Mondeño et Luis Miguel, pour créer ce qu’on nomme de nos jours le toreo classique.

Sans doute faut-il voir dans les frères Vázquez, Pepe Luis et Manolo, puis les deux grands Antonio, Bienvenida et Ordóñez, ainsi que dans Manolo González, Rafael Ortega puis « Antoñete » les premiers grands classiques.

Le classicisme réunit donc différentes écoles et pour parler de style classique il faut déjà du style (pas un style de lidia campera dépourvu de toute classe) qu’il soit rondeño, sevillano ou castellano. Il n’est pas un dogme, encore moins une manière toute faite de toréer. De la même manière que la Renaissance italienne et le classicisme à la française sont deux styles équilibrés qui ont chacun leur valeur il existe des classicismes dans « l’art de Cúchares ».

Qu’est-ce donc que le classicisme ? Dans un premier temps, il s’agit de la synthèse des grands : le duo Gallito-Belmonte déjà réuni avec Chicuelo, les mains basses et le temple de Gitanillo de Triana, la domination de Domingo Ortega (qu’on oublie parfois, moi en premier, je bats ma coulpe) et les enchaînements de Manolete.

On en revient donc toujours aux grands canons : parar, templar, mandar puis ligar et aux grands concepts : attendre la charge du toro les pieds bien ancrés au sol (avec quiétude et aguante), baisser la main et gagner du terrain vers le centre de la piste (pour mandar), conduire la charge avec suavité, rythme et cadence (templar), en allongeant la charge en jouant avec la ceinture (pas avec tout le tronc) et en « chargeant la suerte »  (mandar encore), tracer des passes avec le plus de naturalité possible : avec une parcimonie de gestes en prenant bien le toro vers l’avant et en le conduisant derrière la hanche par un mouvement de poignet qui permettra de le replacer avant que le torero ne pivote sur lui-même pour se resituer et enchaîner une deuxième passe (ligar). Le classicisme c’est la simplicité et la mesure, c’est aller à l’essentiel sans à–coups et sans ostentations. Certaines manières sont considérées les plus pures : de loin, de face, dans la ligne d’attaque du toro (croisé), le leurre présenté bien de face et tenu à la moitié de l’estaquillador pour la naturelle, le toque le plus léger possible, la muleta traînant à moitié. Dans la faena idéale le début se ferait par doblones pour dominer le toro en l’amenant vers le centre et la fin par ayudados pour relever un peu sa tête et le « fermer » vers les talanqueras avant la mise à mort. Entre les deux, deux séries à droite et deux à gauche, entre trente et quarante passes, guère plus, le tout agrémenté de quelques détails : trincheras, changements de main, un molinete ou un autre ornement et un desplante pour couronner le somment de l’œuvre et c’est la perfection.

Mais pour réaliser tout cela encore il est pour le moins préférable, sinon indispensable, d’avoir un toro dont les cornes rentrent dans la muleta.

A partir des années 60 El Viti, Paco Camino ou Curro Romero ont repris le flambeau du classicisme puis Teruel, Manzanares, Capea ou Muñoz par la suite tout en notant que le toreo classique a besoin du mouvement. Et si le toreo pur est un art cinétique le toro à l’arrêt qu’on produit majoritairement depuis 40 ans ne l’a pas vraiment favorisé.

Cela dit le classicisme reste aujourd’hui vivant, à un degré plus ou moins grand de pureté (la pureté n’existant pas, il faut s’en convaincre) : Tomás, Morante, Fandiño ou Urdiales le font perdurer… D’autres encore, dans leurs grands jours.


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