Le toreo selon don Domingo

Ce qui suit est à lire avec précaution car, comme le dit le grand Esplá, et même s’il est en partie un continuateur du toreo de don Domingo Ortega : « Nous sommes chargés de stéréotypes engendrés par des tauromachies obsolètes. Les canons ! Aucun de ceux qui ont forgé leur tauromachie ne l’ont fait au moment où il était en exercice. Tous des toreros retirés ! Cela permet bien des licences. On idéalise les choses ; on y met de la littérature ; on veut compliquer. Et il n’y a plus moyen de comparer ce qu’on dit avec ce que l’on fait. »1 

Extrait de la conférence de Domingo Ortega à l’Ateneo de Madrid en 1950 :

« Toréer ce n’est pas faire en sorte que le toro vienne et que vous restiez sur sa ligne, cela c’est le contraire de toréer; mais si vous chargez  [le poids du corps], vous mettez le corps vers l’avant avec la jambe contraire au côté d’où vient le toro, cela revient à toréer, s’il ne vous prend pas; parce que c’est un obstacle que vous lui mettez devant. » […]

« Les aficionados ont une grande responsabilité dans le fait de ne pas être restés fidèles aux normes classiques : Parar, Templar et Mandar. Selon ma manière de voir les choses, ces termes auraient dû être ainsi complétés : parar, templar, CARGAR et mandar; car si le mot cargar eut été uni aux autres trois depuis le moment où ils sont nés en tant que normes, le toreo ne se serait sans doute pas autant dévié.

            Je crois aussi bien-sûr que l’auteur de cette formule n’a pas pensé qu’il était indispensable parce qu’il devait très bien savoir que, sans charger la suerte, on ne peut pas dominer et par conséquent, dans le terme mandar les deux étaient inclus.

            Bien entendu, charger la suerte ce n’est pas ouvrir le compas, parce qu’avec le compas ouvert le torero allonge mais il n’approfondit pas; la profondeur est obtenue par le torero quand la jambe est avancée vers l’avant, pas sur le côté.

            … Comme conséquence de l’abandon de ces normes, le toreo a été réduit de moitié; c’est-à-dire qu’on lui a enlevé la plus belle partie, celle du début, celle qui est pour moi la substance du toreo; celle où le torero affronte le toro en mettant la cape ou la muleta vers l’avant, pour, à mesure que le toro entre dans le terrain du torero, le toréer avec temple, en se penchant sur la jambe contraire, en même temps que celui-ci avance vers l’avant, c’est-à-dire en allongeant la charge du toro et en approfondissant, en même temps et par là même, la passe. Tout cela de mon point de vue, bien entendu.

            Quand on crée une telle ambiance, c’est très difficile de s’en remettre. Il faut être rompu à tout et avoir de fermes convictions pour ne pas se laisser entraîner, car, même moi, j’ai vécu quelque chose de très curieux. 

            Devant toréer à Madrid, dans les années quarante et quelques, un critique, ami et bon aficionado, est venu me voir et m’a dit : – Je dois te parler en privé. Cette après-midi tu torées à Madrid et tu sais comment est le toreo moderne; ne mets pas la cape et la muleta vers l’avant; mets-toi de profil, donne une demi passe et tu verras combien le succès sera facile -. Je lui ai répondu : – Je crois que tous ceux qui pensent ainsi sont dans l’erreur. Les normes classiques sont éternelles; la Corrida en elle-même est plus forte que tous les toreros ensemble; celui qui en sort sera à la merci des toros, et en étant à leur merci, ils finiront par le dominer. »

  1. Le discours de la corrida p.187; François Zumbiehl ; Verdier ; 2008

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