Catégories de toros

Avant de décrire les différents types de toros il est nécessaire de préciser qu’il est rare de rencontrer un animal gardant les mêmes caractéristiques tout au long de la lidia. Par exemple, un animal peut paraître brave lors de son entrée en piste et révéler par la suite sa véritable nature, ou bien paraître manquer de bravoure au début du combat et nous surprendre au cheval.

Il existe plusieurs sortes de taureaux braves et l’on conserve les mêmes appellations depuis les traités de tauromachie de Pepe-Hillo et de Montes. Il est cependant important de noter que le premier à s’intéresser au comportement du toro a été le picador José Daza dans un livre qui vit le jour en 1778. Les plus propices à la réalisation d’une grande faena sont les boyantes, qui présentent un minimum de difficultés pour le torero et lui permettent de se laisser aller à son toreo. Le toro boyante est simple, franc, il charge droit et « en humiliant », suit le leurre jusqu’où le décide le matador (« tiene recorrido ») et sort de la passe la tête à mi-hauteur. En un mot c’est un animal noble, ce qui n’empêche pas qu’il puisse charger avec plus ou moins de tempérament. Il existe une infinité de nuances entre un toro pastueño qui charge doucement, lentement, et un toro de poder qui charge avec beaucoup plus d’ardeur.

On appelle celosos une autre catégorie de toros bravos dans laquelle on trouve trois sous-catégories : les revoltosos, ceux qui se serrent et ceux qui gagnent du terrain. Les toros celosos peuvent être plus ou moins violents, tempérés (atemperados) ou nerveux (nerviosos).

Les revoltosos ressemblent aux boyantes à la différence près qu’ils acceptent le leurre avec beaucoup plus de violence : ils se retournent rapidement à la sortie de la passe pour le reprendre en laissant à peine le temps au torero de se replacer pour enchaîner la suivante.

Les toros qui se serrent (que se ciñen) acceptent bien le leurre (cape ou muleta) mais foulent le terrain du matador quand ils se trouvent dans la suerte (passe de muleta si l’on se réfère à cette partie de la lidia).

Ceux qui gagnent du terrain (que ganan terreno) se dirigent vers le torero en arrivant dans la suerte et suivent « le terrain du dehors » ou coupent celui du matador.

Les auteurs de traités classiques n’ont pas vraiment laissé de place aux nuances existant entre les concepts de bravoure et de mansedumbre même si nous savons, en tant qu’aficionados, qu’il existe une infinité de degrés et que le toro véritablement brave apparaît aussi peu que le manso perdido. Il faudrait donc ajouter d’autres catégories, en commençant par le toro commun, celui que certains aficionados appellent le demi-toro, qui peut être fade, ou pire, sot, « décasté », qui paraît plutôt suivre que poursuivre les leurres et qui permet ou oblige au – lorsque ses maigres forces ne lui permettent pas autre chose – toreo allégé (hors de la ligne d’attaque, en parallèle, à mi-hauteur, c’est-à-dire sans domination réelle) aussi fade que l’animal.
Sans être bravucón (Peut-on qualifier de taureaux braves des animaux auxquels certains éleveurs ont réussi à tout leur enlever, jusqu’à la mansedumbre ?), si le cornu a de la « mobilité » (affreux néologisme taurin qui exprime une dépréciation du concept de bravoure), on pourrait le qualifier de bravito, un toro qui se laisse faire, qui charge sans pousser, peu exigeant, qui appartient donc à ce limbe entre bravoure et noblesse. Dans sa version la plus négative on peut parler d’un toro impuissant (un comble pour un animal avant tout célébré pour sa vitalité et sa fertilité).
Il y a au contraire les mansos « encastés » (qui à mon avis ne peuvent être confondus avec les bravucones à moins qu’on veuille mettre dans cette catégorie des réalités antagoniques) dont la science de la lidia est en train de se perdre. Ce sont des toros qui, bien que mansos, peuvent donner beaucoup d’émotion, au point qu’on peut se souvenir d’eux toute une vie grâce à cette valeur positive de la caste (pas du point de vue du torero bien-sûr, mais la Corrida mourra de l’uniformité), comme ce Cantinillo, de Dolores Aguirre, qui permit, à Vic-Fezensac, l’un des tercios de piques les plus épiques de ces dernières années ainsi que le lancement d’un torero comme Alberto Lamelas qui a eu le courage de ne pas se laisser dévorer par un ruminant.
Pour terminer, il faut rappeler que le comportement des toros ne doit être qualifié qu’à la fin de la lidia et que certains signes passagers comme se montrer abanto à la sortie ou gratter le sol ne doivent pas être suffisants pour les cataloguer. Il en va de même avec le fait de rajarse (se dégonfler et fuir) qui, comme l’a démontré le docteur Miguel Padilla, est une manière de reconnaître la supériorité de l’adversaire après une lutte intense dans certains cas et après une faena parfois trop longue. Cette règle comportementale est celle qui prévaut dans la nature où les combats ne sont heureusement pas toujours mortels : « Ce comportement a lieu dans la lidia, dans la lutte avec le torero. On perçoit parfois que le toro se déclare vaincu et il l’exprime en baissant la tête et en donnant quelques pas en arrière, il informe qu’il se considère battu, que l’opposant a gagné et il arrête de sa battre positivement, mais le défié (le torero) continue son combat, le torero continue à lui proposer la muleta et le toro, avec moins d’envie, charge à nouveau, mais pas comme au début, il a du mal à charger, car il ne trouve pas une réponse comme dans la nature, et une ou deux séries après il refait la même chose, il lui répète qu’il se déclare vaincu, et il l’exprime en baissant la tête et en donnant un ou deux pas en arrière, ce n’est pas qu’il soit manso, c’est que dans le combat il a reconnu qu’il est le perdant, il reconnaît être le perdant et il l’exprime de cette manière, il accepte avoir perdu et celui qui provoque le duel, le torero, n’agit pas de façon conséquente. »

Le toro manso sort des chiqueros distrait, il ne donne pas de coups de cornes au burladero (« no remata en tablas »), ne fait pas attention à la cape, reste aux planches; il charge puis freine, gratte le sol, et parfois même recule ou suit la barrière. Il souffle, saute, charge en mettant les pattes vers l’avant, se distrait et s’il accepte une fois les plis de la cape, il s’en va à la sortie d’une passe au lieu de se retourner et de continuer à charger. Devant le cheval du picador il ne charge pas ou attend un moment pour le faire. Il est nécessaire de le placer à côté du cheval. Il ne pousse pas franchement ou fuit carrément. De même aux banderilles, il continue à être distrait et tarde à charger. Au troisième tercio il adopte le même comportement : il prend la fuite, acquiert du sentido (apprend la règle du jeu, se défend) et se réfugie vers les planches d’où il ne sort pas pour mourir. Voici les différentes classes de mansos :

Le  bravucón  (bravache) met les pattes vers l’avant dès la sortie du toril, il sort de chaque suerte distrait et n’essaye pas de prendre le leurre. Certains s’arrêtent au centre de la passe, sont peureux (medrosos), comme les abantos et parfois sautent (rebrican). Ce toro peut ne pas se montrer brave aux piques et charger comme s’il l’était à la muleta. Il alterne les caractéristiques d’un brave avec celles d’un manso, ce qu’il est en vérité.

Le blando montre sa douleur sous le châtiment (piques et banderilles) et il s’en va du cheval du picador quand il sent la pique, la douleur étant chez lui plus forte que la bravoure.

Le toro qui se défend (que se defiende) est un animal très dangereux; il ne charge pas, observe, et attend qu’on s’approche de lui pour donner des coups de cornes sans véritablement bouger.

Le toro huido n’accepte pas le combat; il ne charge pas et prend la fuite. S’il s’agit véritablement d’un manso perdido, il sera condamné aux banderilles noires faute de pouvoir être piqué.


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