La dimension érotique du toreo

Je ne vais revenir sur les propos bien connus de Belmonte sur l’orgasme que procure le toreo. Nous ne somme pas ici dans le premier degré mais dans le symbolique.

Le toreo est une danse, à la fois macabre et festive, je l’ai dit, car l’opposition doit être dépassée au profit de l’accord.

Le rythme est fondamental et il participe de l’esthétique taurine en mouvement.

Le dessin est la deuxième caractéristique du toreo : le tracé de la passe que le corps de l’homme doit accompagner dans un geste épuré. Pour qu’il y ait communion le torero doit essayer de modeler la charge du toro et celui-ci doit finir par y consentir. L’homme doit peser sur la charge, diriger la trajectoire, dans l’idéal en envahissant le terrain du toro qui devra contourner le corps de son adversaire devenu partenaire. Le toro ne doit pas collaborer trop facilement mais nier le toreo c’est revisiter la Corrida. La tauromachie nécessite comme base qu’un toro combatte et cherche à attraper le leurre mais elle ne se limite pas à cela. Dans la même idée, la Corrida a besoin de la course d’un toro (s’il est à l’arrêt tout est fini) mais elle ne s’arrête pas à cela.

Le torero est un héros mais il n’est pas non plus que cela. Il est un artiste, à l’instar d’un danseur ou d’un musicien, un artiste qui n’est pas simplement dans la représentation comme dit si bien Francis Wolff mais un artiste qui joue sa vie en rejouant un mythe bien réel  car la Corrida est un oxymore. Encore une fois la lidia et le toreo ne sont presque jamais dissociables. S’il existe des toreros qui sont dans la posture sans peser sur la charge du toro, un aficionado moyen n’est pas dupe. A contrario, croire que l’esthétique est un problème et qu’elle est contraire à l’idée de domination est ridicule. Au contraire, il n’y a qu’à voir toréer Ureña pour s’en convaincre : charger la suerte, baisser la main, conduire la charge avec rythme le plus loin possible, voilà le bon et le beau réunis.

L’image de cet être gracile, à la fois gracieux et fragile, contraste avec celle du héros, dur et invincible. La première renvoie au côté féminin de tout être humain. Certaines postures, le fait de toréer sur la pointe des pieds, la finesse de certains mouvements de poignet et jusqu’aux bas roses sont là pour évoquer cette ambiguïté qui font du torero l’Homme avec un grand H, le représentant de l’humanité, ni homme ni femme mais les deux à la fois, une sorte d’être hermaphrodite.

Francis Wolff cite l’anthropologue Pitt-Rivers dans sa Philosophie de la corrida (pp. 96-97) :

« A travers la représentation d’un échange de sexe entre le torero et le toro et l’immolation de ce dernier qui transmet sa puissance génératrice à son vainqueur, un transfert s’effectue entre l’Humanité et la Nature : les hommes sacrifient le taureau et reçoivent en retour la puissance  dont il est le détenteur. » C’est pourquoi, au cours du combat, le « matador » […] se dépouille progressivement de ses attributs féminins (par exemple sa cape bicolore qui tournoie comme une jupe et dans laquelle il s’enveloppe, au premiers tiers, en exécutant de légères figures de danse) pour acquérir les symboles de la virilité (en particulier l’épée du sacrifice) tandis que le toro se défait progressivement de sa virilité sauvage, celle du monstre tout-puissant. »

 A méditer.


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