Rivalités IX

Gallito vs Belmonte ou l’Âge d’Or du toreo

La première rencontre entre les deux matadors eut lieu dans les arènes barcelonaises de Las Arenas le 15 mars 1914 face à des animaux de Moreno Santamaría (et un sobrero de Concha y Sierra) et avec Cocherito en guise de Célestine; à noter que Joselito coupa une oreille. Ce premier agarrón, comme disent les Mexicains, fut complété jusqu’en 1920 par 257 autres dont 43 furent en mano a mano. La tragédie de Talavera mit fin à ce binôme on ne peut plus complémentaire qui n’aura donc pas été la rivalité la plus longue de l’histoire du toreo mais assurément la plus intense et la plus cruciale pour l’évolution de l’art taurin.

Les deux hommes avaient l’un pour l’autre un grand respect et la rivalité n’en était une que parce qu’ils avaient compris que le contact direct pourrait être bénéfique pour la carrière de l’un et l’autre et bien-sûr parce que au-delà d’accords de carrières il s’agissait de deux monstres, deux colosses. Le destin a toutefois renversé celui des deux qui semblait invincible et laissé dans la plus grande solitude celui qui paraissait avoir des pieds d’argile.

Belmonte était pathétique et irréel alors que Joselito était cérébral et apparemment facile. L’un était la tragédie incarnée, l’autre le héros triomphant. Lutte de l’impossible et du possible, de l’intuition et de la raison. Le deuxième l’emporta le plus souvent, comme les Romains l’emportèrent sur les Grecs, mais le savant Gitan vit dans son ami payo la voie, la lumière par où sa perfection pouvait se transcender. Belmonte apprit de Joselito, cela ne fait aucun doute mais José Goméz Ortega s’est belmontisé en se croisant, s’immobilisant et en templant d’abord. Et c’est là que le génie galliste a fonctionné en dépassant cette proposition pour quelquefois enchaîner les passes su même côté (ce que ne faisait pas Belmonte) et établir ainsi un début de ligazón qui sera la base du toreo moderne. José ne fréquentait pas autant les intellectuels que Juan mais il pensait le toreo et surtout il avait les moyens de mettre en pratique ses concepts. Juan se transcendait, qui plus est au contact de José mais compensait ses limitations par une personnalité et une esthétique jusqu’alors inconnues.

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Le 2 mai 1914 eut lieu le premier affrontement madrilène. Là encore Joselito coupe une oreille (cela n’arrivait une fois toutes les 10 corridas pour un torero de cette trempe et encore…) mais Juan lui donne la réplique même s’il tue mal. Les toros étaient de Contreras et le compagnon de cartel Rafael, le grand-frère.

Le 21 avril c’est le sable ocre de la Maestranza sévillane qui est le témoin du premier face à face (sur un total de 19) des deux futurs colosses dans leur ville natale. Rodolfo Gaona les accompagne face à des toros de Miura et cette fois c’est Juan Belmonte qui l’emporte en sortant par la Porte du Prince. Lors de cette même feria Gallito coupera une oreille à Almendrito de Santa Coloma devant les yeux de son rival.

La rivalité se poursuit aussi à distance : quatre jours plus tard Belmonte triomphe face à un toro de Murube alors que Gallito tue en solitaire une corrida de Vicente Martínez le 3 juillet.

Le 15 août, à Saint-Sébastien dans une corrida de 8 toros 8 de Murube et Santa Coloma, c’est Gaona qui touche du poil (El Gallo ouvrait l’affiche).

Joselito termine la saison avec 75 courses à son actif (mais une trentaine perdues pour blessure) contre 72 à Juan.

Les plus beaux passages de cette rivalité torera auront toutefois lieu la saison suivante.

Après un premier mano a mano à Malaga, les 17 et 18 avril 1915 ils en offrent deux autres consécutifs à l’afición à Séville avec des toros de Santa Coloma et Gamero Cívico; Ils en feront de même les 8 et 10 du mois suivant à Madrid.   

Le 1er août, à Santander, encore accompagnés de Rafael, Joselito coupe les deux oreilles de son premier Saltillo contre une à Juan.

En 1916, Gallito est imparable. Il torée 105 corridas contre 43 pour Belmonte. La suivante en revanche mettra les deux matadors pratiquement à égalité : 103/97.

Le 21 juin 1917 Belmonte triomphe pleinement à Madrid pour la corrida du Montepío devant Gaona et Gallito retournant complètement la tarde au dernier, Barbero, de Concha y Sierra.

En 1918 on sait que Juan Belmonte ne toréa pas en Espagne, laissant seul son rival qui coupa la première queue concédée dans la capitale espagnole.

Il faut attendre le 7 juillet 1919 pour que les deux phénomènes toréent ensemble à Pampelune : une fois de plus cette rencontre tourne à l’avantage de Joselito qui obtient un trophée.

Le 28 avril 1920 Joselito coupe sa dernière oreille à Séville dans un mano a mano avec Juan et devant des toros de Gamero Cívico.

Le 3 mai il en fait de même à Bilbao face à des toros de Tamarón. Ils toréent ensemble deux jours plus tard à Madrid et dix plus avant à Valence avant le tout dernier épisode de la capitale le 15 mai, accompagnés de Sánchez Mejías, où Joselito est conspué comme máxima figura qu’il est.


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