Temporada 2021

La saison n’aura vraiment commencé qu’au mois de juin mais au bout du compte un parfum de normalité se respire à nouveau. Malgré une concentration des spectacles sur trois mois et demi les chiffres atteignent presque ceux d’avant-crise, en France du moins où la jauge a disparu à la mi-septembre pour la feria du Riz. Cela a été possible grâce aux efforts de tous mais il est certain que quelques uns y auront laissé des plumes : difficile de rentrer dans ses frais avec les restrictions imposées, d’autant plus que beaucoup d’aficionados vieillissants, même vaccinés, ont préféré la sécurité d’un fauteuil douillet devant des corridas à huit euros le mois qu’un long déplacement et des gradins inconfortables pour un billet de 50 l’unité. Il est vrai que les cinémas ou les théâtres vivent la même chose.

Bref, cette saison atypique a un leader inattendu, le fantasque Morante qui s’est montré plus en verve que ces dix dernières années réunies et qu’on préfère muleta en main que dans des prises de position politiques qui sont loin de nous servir. Ses meilleures faenas ont eu lieu à Jerez, Linares, Alcalá de Henares et Mérida en plus de celle de Séville où il a montré sa facette passionnée, à corps perdu mais basée sur une technique éprouvée. En toute fin de saison il triomphe également à Jaén. Bien-sûr il lui arrive de retomber dans ses travers comme dans son solo du Puerto face aux toros de Prieto de la Cal mais si on pouvait craindre le pire face aux miuras, il s’en est sorti suffisamment  bien pour que ce geste figure en bonne place dans son CV. Ce qui est cependant remarquable cette saison ce sont ces oreilles isolées coupées en y croyant là où en d’autres temps rien ne se serait passé comme à Madrid face à un toro de Alcurrucén avec beaucoup de « transmission ».

Celui qui était attendu, Roca Rey, après une année blanche, est apparu moins fringant, parfois vulgaire mais toujours aussi courageux et capable mais irrégulier, gestionnaire parfois : une saison de reprise sans doute et le constat qu’il lui reste malgré tout beaucoup à apprendre.

L’ancien numéro un, El Juli bien-sûr, est un puits de science mais s’il ne l’a jamais mise au service de l’art (pas vraiment de la lidia non plus, sauf à ses débuts) il l’utilise désormais pour réduire le danger au maximum tel Lagartijo ou Guerrita à la fin de leurs carrières. Il est toutefois une marque déposée et ses lumières brillent encore pour certains voire pour lui-même quand il arrive à se motiver et se rappelle qui il a été. Même à ces moments là, ce n’est pas une insulte de dire qu’il n’enthousiasme pas un amoureux du toreo.

C’est tout le contraire pour le véritable triomphateur de la saison, j’ai nommé Emilio De Justo, qui s’est définitivement hissé au plus haut par un toreo de pureté et de vérité face à du bétail de différents encastes et dans des arènes de diverses sensibilités. En France c’est à nouveau à Dax qu’il est le plus convaincant avant de conquérir l’amphithéâtre arlésien. Il a aussi triomphé pleinement à Almería, Cuenca, Santander ou Salamanque.

Le meilleur représentant du classicisme, Diego Urdiales, s’est lui finalement pleinement imposé à Séville après Bilbao ou Madrid les années précédentes. Ceux qui peuvent en dire autant ne sont pas très nombreux.

Daniel Luque n’a pas encore complètement explosé mais cela ne saurait tarder tant il est devenu régulier et engagé. Il maintient son cartel en France grâce à ses deux triomphes dacquois et un à Bayonne et obtient des succès importants au Puerto ou à Gijón (pour la dernière feria sans doute avant un changement de municipalité) avant de couper une oreille de poids à Madrid.

Un autre torero continue à avancer pour lequel on pouvait craindre qu’il ne s’agisse que d’un feu de paille (même pour ceux qui le suivons depuis sa confirmation, il y a 5 ans) : c’est Juan Ortega, capable d’une pureté cristalline qui ne ressemble qu’à elle-même. Il est enfin reconnu dans son coin du sud : Jerez , El Puerto et Séville.

L’autre torero andalou, par les origines et les manières, qui est en verve, Pablo Aguado, plus naturel mais aussi plus léger, a connu pour l’instant un destin bien différent, choyé chez lui d’où il a été projeté, il a dû être opéré du genou et n’a pas pu montrer tout l’étendue d’un talent qui a besoin de mûrir mais celui-ci a éclaté sporadiquement de-ci de-là, comme à Arles, El Puerto ou Ronda.

Manzanares a quant à lui progressé à la cape et il s’est montré plus engagé que de coutume, au moins dans les arènes importantes, comme en témoignent les trois oreilles obtenues à Séville en autant de corridas. En France aussi il a récolté quelques triomphes, comme à Béziers ou Nîmes, montrant qu’il voulait se maintenir en première ligne malgré la poussée de la concurrence.

Parmi les jeunes, le plus en vu reste Marín qui sort par la Grande Porte madrilène le 12 octobre en essorillant un toro de Alcurrucén.

D’autres ont connu une saison plus anodine ou moins fracassante que ces derniers temps. Ferrera avait misé gros mais ne réussit complètement son pari qu’à Mont de Marsan même s’il signe une excellent faena à Nîmes bien qu’il obtienne un trophée d’un sobrero de Pallarés offert en septième position après une corrida décevante d’Adolfo Martín. Pour ce qui est de Ureña, il touche du poil à Séville avant de s’abandonner une nouvelle fois à Madrid mais avec moins de succès. Perera n’est plus une nouveauté mais il reste le torero dominateur que l’on connaît quoique devant des toros qui demandent peu à l’être. Dommage.

La révélation de l’année s’appelle Tomás Rufo lui qui a donné un bel aperçu de la dimension qu’il peut atteindre dès son alternative à Valladolid.

Parmi les autres grands, José Tomás reste aux abonnés absents et Ponce a pris un peu de repos après avoir pris sur ses épaules, tel Atlas, le poids de la temporada précédente. Talavante s’est rappelé à notre bon souvenir pour une occasion unique, en Arles (empochant sans doute le plus gros chèque de la saison, à guichet fermé).

Parmi les spécialistes des fers âpres, Chaves se maintient, Del Pilar gagne des positions et Lamelas confirme sa disposition à Mont de Marsan et à Saint-Martin de Crau. Ecribano surtout, avec un franc succès à Séville, mais aussi Chacón, ont connu de meilleurs moments mais ils s’accrochent pour continuer à exister dans des corridas qui usent même les cuirs les mieux tannés. Il y aussi Cortés, le jeune Castaño, Damián de son prénom, Pinar et surtout Serrano qui poursuit son ascension à base de volonté.

Chez les Français, El Rafi a pris une alternative heureuse avant de s’imposer à Nîmes puis Solera est devenu également matador en pays arlésien avec un franc succès.

D’autres donnent des coups de heurtoir pour ne pas être oubliés : Leal bien-sûr, deux fois Consul avant de triompher pleinement à Bayonne, mais aussi Younès et Salenc sans oublier Dufau.

Chez les novilleros, Solalito a fait une saison régulière alors que Montero a globalement  déçu mais c’est Parejo qui a fait une entrée remarquée dans l’escalafón inférieur comme Lamothe mais aussi Tristan.

En Espagne, des Mexicains ont brillé comme Aguilar ou Fonseca, ce dernier triomphateur à Villaseca et dans le Nord auxquels il faut opposer la jeune génération ibérique comme le protégé de Padilla, Manuel Perera, vainqueur ex-aequo du circuit du Nord (une réussite de la FTL sur laquelle il faudra revenir), irréprochable de  responsabilité et présent aux moments clés (deux fois une oreille à Séville) malgré qu’il ait été durement châtié en début saison et les gagnants des autres circuits régionaux : Martínez en Andalousie ou Diosleguarde en Castille et Léon mais aussi à Madrid.

Côté bétail, Pedraza a encore de beaux restes malgré sa recherche d’une meilleure noblesse, La Quinta a sorti la corrida de l’année à Dax et Miura a renoué avec ses origines à Sanlúcar. En novilladas, Cebada Gago a sorti une bonne novillada à Villaseca et Raso de Portillo à Vic. Citons aussi un fer ostracisé  par les figuras mais qui n’a rien perdu de son allant : Torrealta, notamment à Santander.


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