Temporada 2022

Pour commencer, côté bétail, la confirmation que La Quinta est dans un grand moment. Les pupilles des frères Conradi ont triomphé à peu près partout mais les meilleurs moments ont eu lieu en Arles avec deux vueltas, à Santander où Hurón a été gracié et surtout à Dax avec deux vueltas et l’indulto de Sardinero. On retiendra aussi une bonne corrida de Baltasar Ibán à Vic et celle de Pedraza à Mont de Marsan ainsi qu’un bon lot de los Maños chez eux. Dans un autre style, Victoriano del Río fournit des toros à faena, à Madrid notamment (trois Grandes Portes) pour toreros capables d’en tirer la quintessence. Après le coup de poker cérétan de l’an passé, Reta donne de l’émotion à Estella dans une corrida d’un autre temps où Santero se détache et permet au torisme le plus intransigeant de se revigorer.

Pour la temporada française, un clair triomphateur : Daniel Luque qui s’est aussi hissé sur le podium ibérique mais sans remplir les arènes. Séville et Dax (dans son solo puis en septembre) auront été ses faits d’armes les plus marquants mais il a aussi obtenu un trophée d’un victorino à Valence avant de triompher pleinement en Arles (4 oreilles et une queue) ou à Mont de Marsan.

Le torero qui surprend le plus, avec ses 25 ans d’alternative, c’est Morante qui a eu la volonté de toréer comme à la belle époque, ses 100 corridas, avec fraîcheur, parce qu’il torée avec plaisir, en baissant son cachet pour défendre son art et face à des encastes variés (peut-être une prise de conscience tardive), le tout avec une maîtrise que seules donnent des années au sommet et bien-sûr la verve qu’on lui connaît. Quand d’autres pérorent, lui s’exprime avec puissance dans un savant mélange de sagesse et de passion, toujours selon son humeur, recréant des images d’un autre temps en imprimant sa personnalité. Tout un cours de sévillanisme qui surgit le mieux in situ, chez lui, dans le temple du toreo où il s’est vidé par deux fois cette saison, remplissant nos rétines d’étoiles car son toreo n’est pas de ce monde, c’est une succession de marbres auxquels il insuffle non pas la vie mais la sienne propre comme s’il était lui-même sa Galatée et comme pour faire sienne la phrases de José Tomás (dont les deux événements à guichet fermé ne sont qu’autant d’anecdotes et dont on aimerait également que propos et faits coïncident plus), à savoir que pour celui qui s’habille de lumières, « Vivre sans toréer, ce n’est pas vivre ». Pour ses grands jours, aucune rivalité possible. Les autres toreros n’ont plus qu’à dire : « Eteins et on s’en va ». Ces jours-là, il donne tout, il en va de sa raison de vivre, de sa vie même, qu’il met en jeu pour se recréer dans la suerte, se sentir éternel quelques instants alors qu’il est au bord de tout perdre mais sans héroïsme dévoyé, sans témérité ostentatoire, juste par offrande à l’idée d’une beauté absolue. Mais bien-sûr on peut s’en passer, tout cela n’est pas si important. Comme l’écrivait Sartre, la nature peut tout aussi bien se passer de l’homme. Tout peut être relativisé, jusqu’à ne plus rien laisser, ni la vie et bien-sûr ni la mort, l’un n’allant pas sans l’autre, nous autres qui la ritualisons l’avons bien compris.

Redescendons sur terre après ce panégyrique, le numéro un du toreo, celui qui triomphe le plus souvent et qui plus est de manière incontestable, c’est bien Roca Rey. Le jeune péruvien a gagné en maturité sans perdre de cette fougue et de ce don de soi qui font se remplir les arènes. Lui frôle parfois la témérité et parvient à émouvoir par le côté tragique quand la voie de l’esthétisme se ferme. Ses prestations les plus marquantes ont eu lieu à Séville, à Pampelune, à Bilbao surtout et à Madrid mais la liste de ses triomphes n’en finit plus.

La confirmation de la saison s’appelle Tomás Rufo qui s’offre les deux Grandes Portes les plus improbables : Séville et Madrid, pour sa première saison complète. Parviendra-t-il à rivaliser avec le Roi du toreo? Si c’était le cas, ce serait un nouvel âge d’or qui se dessinerait mais nous n’en sommes pas là. La révélation de cette année a pour nom Ángel Téllez, dans un toreo pur, parfait, de face et à la corne opposée qui le projette au premier plan. L’Absent, ou presque, sur blessure, j’ai nommé Emilio de Justo, a semblet-il fait des émules et on ne peut que se féliciter de ce retour au classicisme. L’autre révélation c’est Leo Valadez qui pourrait être le grand torero dont l’afición mexicaine a besoin.

Ensuite il y a beaucoup de déceptions, des demi-triomphes sporadiques au sens où, à la fin de la saison, il ne reste plus rien dans les mémoires, ou si peu, de toreros qui ont plus donné dans le passé et qui empêchent encore le renouvellement des générations. Mais cette profession est d’une grande dureté et une fatigue passagère ne présage pas pour d’autres d’un déclin définitif. Malgré quelques faenas réussies, Talavante est une des grandes déceptions. C’est un retour en demi-teinte. Après un début de saison inespéré, El Juli a fait son train-train, un peu comme Manzanares ou Perera, ce dernier peinant plus à rentrer dans les ferias. Urdiales, Ureña ou Ferrera n’ont pas été à la hauteur non plus de leurs dernières saisons même s’ils donnent des tardes intéressantes de-ci de-là. Marín est un très bon torero mais il émeut peu, comme Lorenzo mais un ton en-dessous. Aguado et Ortega malgré les oppotunités et leurs qualités intrinsèques n’ont pas brillé.

Il y a aussi des toreros qui peu à peu gravissent des échelons et qui un jour peuvent exploser : Garrido ou Colombo entre autres.

Chez les Français, Leal reste le plus en vue même s’il n’a pas été reconduit dans certaines ferias où il avait pourtant triomphé dans le passé. On a permis à Clemente de se faire une place et il ne s’en est pas privé. Dufau a triomphé à Mont de Marsan et Salenc à Bayonne, notamment. El Rafi et Canton ont aussi eu leur moment.

Parmi les spécialistes des fers les plus âpres, certains toreros ont du mal à garder le rythme et il y a eu de véritables déroutes que nous passerons sous silence. Les spécialistes les plus en vue restent les toreros éprouvés : Gómez del Pilar (deux fois une oreille à Madrid), López Chaves, Alberto Lamelas, Sánchez Vara, Javier Cortés et encore et toujours Manuel Escribano et Rafaelillo pour un retour gagnant. Pinar, irrégulier, a brillé à Béziers face aux miuras. Une des seules « nouveautés » de la saison est Adrián de Torres qui a surgi à Cenicientos.

En novilladas, le Mexicain Fonseca a fait le plein avant de prendre l’alternative puis ont pris le relais une génération de toreros prometteurs qui, espérons-le, vont mettre à la porte ces vieux consuls qui vivent assez confortablement de leurs rentes : Martínez, Alarcón, Molina, Hernández mais aussi Peseiro vu à Céret face une brave novillada d’Alejandro Vázquez. Chez les français, Yon Lamothe a pleinement confirmé sa saison passée et c’est en Espagne qu’il devra triompher l’an prochain pour se placer sur une rampe de lancement. Solalito reste un espoir qui apprend son métier.

S’il fallait décerner un prix aux quadrilles, celui au meilleur picador reviendrait sans doute à Oscar Bernal et celui du meilleur banderillero à Fernando Sánchez. Mention spéciale à la carrière de José Antonio Carretero : chapeau.

L’année 2022 sent aussi le roussi pour nous, pauvres malades barbares que nous sommes. Mexico a fermé ses portes, la Colombie toute entière devrait suivre et la France met la question sur la table même si les arènes font le plein et que le numéro de corridas reste stable. En Espagne, la saison a été bonne dans le circuit majeur mais les arènes mineures ouvrent de moins en moins leurs portes. Le public serait-il fatigué de spectacles peu sérieux ? Le modèle de Villaseca de la Sagra ou celui des aficionados des Tres puyazos à San Agustín de Guadalix est celui qu’il faut suivre, l’exemple français en somme. Cocorico (mais pas trop).


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