Sur la manière unique de toréer
Monsieur Viard,
La revue Terres Taurines, au regard des moyens d’information actuels me paraît à ce jour, en France ou en Espagne, la seule d’intérêt. Non seulement elle décrypte l’actualité mais, constituant à elle-seule une véritable bibliothèque, elle nous fait rentrer mieux qu’aucun livre, au cœur des élevages et de leur histoire.
Ceci dit, je m’adresse à vous M. Viard, dans une forme que vous affectionnez, celle de la lettre ouverte, même si vous ne prendrez peut-être pas le temps de me lire, car depuis plus d’une semaine que j’ai fini de livre votre dernier numéro, une phrase (dont vous attendiez sans doute en l’écrivant qu’elle suscite des réactions) continue à me tarauder :
« Poser des muletazos élégants en restant en retrait de la ligne de partage où se décide l’issue du combat n’est pas toréer. L’illusion peut toutefois être parfaite, et la trajectoire triomphale de Manzanares junior montre à quel point le public est peu regardant » (opus 48 p.39).
C’est à la mode, Manzanares, tout comme son écrin sévillan, est de plus en plus décrié et semble même, en compagnie d’El Juli, jouer le rôle de bouc-émissaire accablé de tous les maux. Je suis prêt à passer pour l’idiot du village (celui de ces irrésistibles Gaulois aux casques arborant des cornes bien astifinas) mais si j’apprécie le toreo en rond et la jambe en avant je reconnais sa valeur à un toreo en ligne et perfilé mais exécuté avec brio. Ce toreo dit moderne n’a d’ailleurs, soit dit en passant, pas grand chose de nouveau, ce qui l’est, et ce qui serait bon de rappeler, c’est sa systématisation.
D’une manière comparable, Morante ou Ponce (que je ne mets pas dans le même sac, pas plus que Manzanares) ont longtemps été durement critiqués et je veux bien que leur toreo se soit bonifié mais la base était déjà là. Ce n’est pas en 2009 lorsque tout le monde s’est extasié devant les véroniques de José Antonio Morante à Madrid qu’il a appris à manier à la cape mais il a fallu beaucoup de temps et l’impression de le perdre pour que la vox populi, au-delà de Despeñaperros, le classe parmi les artistes d’exceptions.
Mais en ce qui vous concerne, je me souviens surtout de vos critiques acerbes (sans que vous soyez présent je crois étant le même jour à Millas) contre José Tomás lors de la dernière corrida du maestro à laquelle j’ai assisté, à Bayonne, en 2011, et je me demande quel retournement de situation extraordinaire s’est produit depuis lors. Nîmes 2012 a-t-il été un cataclysme plus grand encore que Séville 2001 ou Madrid 2008 ?
Sur votre point de vue actuel sur José Tomás et Morante je ne peux qu’être d’accord, leurs toreos respectifs représentent ce que j’aime le plus en tauromachie mais d’autres formes me paraissent acceptables. Lorsqu’une faena parvient à me donner ce sourire de béatitude des moments d’éternité, j’ai tendance à devenir partisan de l’auteur mais j’observe les autres en essayant d’être objectif. C’est l’attitude qui à mon sens doit primer surtout lorsqu’on a fait le choix d’écrire sur le sujet, même en tant qu’amateur et encore plus quand on est professionnel.
Qu’on défende, comme Boileau, le Classicisme contre le Modernisme, soit, cependant on peut fustiger sans dénigrer. Je n’ai peut-être pas l’entendement suffisant pour atteindre une totale compréhension de votre texte ou bien c’est que celui-ci manque sur ce point de clarté : faut-il comprendre, qu’à partir de votre théorie du point d’interrogation, Manzanares ne torée pas (et il faudrait préciser que pas plus que Manolete par exemple, pour bien mettre les choses en perspective) ou bien que sa tauromachie (si telle on peut la nommer, mais j’entends celle de ses plus grands succès) n’a aucune valeur mais au contraire une dangerosité limitée à l’extrême et que sa main n’a jamais pesé sur la charge d’un toro, bref qu’il s’agit d’une mascarade ?
Soyons clair, au risque de voir l’afición (la vraie, celle du réduit Vic-Céret-Parentis et l’autre, celle de la fête, du romarin et des œillets rouges) victime d’un schisme définitif. J’avais compris, que vous recherchiez l’équilibre (opus 47), ô combien difficile, entre un animal capable de pousser sous le fer de la pique et une certaine qualité ou classe dans la charge (la « toréabilité ») pour revenir à une vision globale de la lidia mais je me demande, peut-être à tort, si vous n’êtes pas en train de faire alliance avec « l’ultra-torisme » que vous critiquez parfois.
Sans chercher une discussion sans fin, j’espère que vous pourrez apporter quelques précisions sur votre pensée profonde en vous envoyant un salut respectueux, cordial et surtout taurin (à ma manière).
Sébastien Giraldez
« El Giraldillo »,
auteur du blog éponyme,
lecteur assidu de Terres Taurines,
et spectateur peu regardant