INTRO

Ce blog a avant tout pour but de faire découvrir ou redécouvrir la diversité et donc la richesse de la culture taurine et du monde des toros (les parties françaises et espagnoles avant tout) dans un esprit critique mais non moralisateur, sans dénigrements et en essayant d’appliquer à tous (élevages et toreros notamment) les mêmes critères. Il a pour principe de défendre l’intégrité de la fiesta brava (en soutenant en particulier la revalorisation du tercio de piques) et de dénoncer les abus, quels qu’ils soient (de la « monopique » jusqu’à l’excès de châtiment produit par le fait de considérer les puyas comme une fin en soi, pour prendre un exemple), en refusant tout manichéisme. Il ne se définit ni comme « toriste » ni comme « toreriste » (tout en laissant la porte ouverte à tous ceux qui souhaiteraient s’exprimer) mais comme « toreiste » dans le sens où, tout en défendant une éthique, il met en valeur le toreo, soit les valeurs esthétiques (profondes s’entend, faisant sens) et la dimension artistique de la tauromachie espagnole à pied, constituant ainsi un point de vue sur celle-ci.

N.B. : il est conseillé d’utiliser Mozilla Firefox.

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L’arène est un lieu magique[1] où, à dix-sept heures[2], l’Art – ce magnifique rejeton de la Vie – et la Mort se donnent rendez-vous.

C’est ce que j’ai découvert, un après-midi printanier mais déjà chaud, dans le berceau du toreo, pendant la « Feria d’Avril » de 1992, alors que Séville était pratiquement redevenue la capitale du monde, si longtemps après. Je regardais donc, depuis la capitale andalouse où je me trouvais, une corrida à la télévision, pour la première fois et par hasard, en direct de la Maestranza, théâtre mythique de l’ancienne Hispalis. Cet après-midi là, la feria s’endeuilla, la Séville festive changea de visage, les orangers se mirent à gémir des seguiriyas. “Ha muerto el banderillero Manolo Montoliú[3].

Connaître le topique de cara y cruz, de l’ombre et de la lumière, de la fête et de la tragédie” est une chose et c’en est une fort différente de le vivre et de le ressentir : le toreo m’a ému, la mort  m’a atterré. Je compris pour la première fois que la vie et la mort n’étaient que deux versants de quelque chose d’unique, peut-être séparées sur la terre mais réunies dans l’absolu. La tauromachie a en effet quelque chose d’absolu. C’est un spectacle total dans lequel le torero s’abandonne à la fois corporellement et spirituellement. Il s’agit d’un don de soi absolu et quand l’artiste s’approche de l’au-delà le duende apparaît et l’« ange » descend. Cet après-midi là Manolo Montoliú avait fait un pas en avant et la mort un autre. La rencontre ne pouvait être que fatale. Quel spectacle ô combien singulier que celui-ci, tellement à part et nous ressemblant tant, si étrange et si particulier, si espagnol et si universel. Y-a-t-il quelque chose de plus universel que la mort ? Peut-être est-ce cela qui dérange dans la tauromachie espagnole : plus que la mort du toro, cette mort qui se sert d’une manière si simple et si naturelle, si peu hypocrite.

L’année suivante, à Ronda, un après-midi d’été andalou, caniculaire comme un avant-goût du purgatoire, deux amis et moi-même sortîmes de l’hôtel où nous logions pour aller aux arènes (une autre Maestranza) pour voir une novillada non piquée, et nous tombâmes en traversant le patio et passant la porte de ferronnerie d’art sur trois ou quatre jeunes hommes (je ne me souviens plus très bien) habillés de lumière, un novillero et ses subalternes, qui descendaient cette longue, immaculée et aveuglante rue typiquement andalouse, ni très large ni très étroite et suffocante malgré l’ombre. Aucune voiture ne passait.
Le temps avait soudainement disparu : c’était presque un moment d’éternité. Nous les avons suivis joyeusement jusqu’aux célèbres arènes. Pouvions-nous voir un tableau aussi pittoresque dans notre lointain pays ? L’Espagne folklorique, disent ils. Non, L’Espagne authentique.

Le défi que doit se lancer l’Espagne est sans doute de savoir comment continuer à se rapprocher de l’Europe sans perdre sa singularité. Et même si la Corrida est moins ancrée en Catalogne ou dans le nord-est de l’Espagne, elle fait partie intégrante du patrimoine culturel des Espagnes.

Ce qui suit est la transcription des détails qui restent dans ma mémoire. Quelqu’un a dit : « la culture, c’est ce qui reste a posteriori » [4]. Voilà donc ce qui reste de ma culture taurine, le meilleur en général. Peu de choses survivent en vérité – des flashs, des souvenirs furtifs, des émotions emmagasinées -, mais celles qui y réussissent sont essentielles. Avec le temps, nous nous rendons compte du peu que nous avons assimilé par rapport à la quantité ingérée.

1993 : Un concert-concours symphonique, nocturne et international, dans les arènes de Valence, et la sortie en triomphe du chef d’orchestre espagnol (?!); les novilleros Curro Martínez, à Ronda, et Luis Mariscal, à Seville; le bar à tapas Sol y Sombra, dans la rue Castilla, à Triana, avec ses jambons ibériques suspendus au plafond et ses murs entièrement recouverts de vieilles affiches taurines; « Joselito » entre les cornes d’un toro à Bayonne ; les banderilles d’Esplá, qui remplaçait Rincón, à Nîmes ; les photos et les affiches d’un oncle à moi, Pepín (un neveu de mon grand-père Juan), ancien novillero. 1994 : Clarín, le programme d’information taurine de Radio Nacional de (la lointaine) España, à dix heures cinq, le soir; l’habillage du novillero Joselito Ballesteros dans un hôtel d’Alcalá de Guadaira, un extraordinaire Antonio Ferrera dans la même novillada; la sculpture de Benlliure à Joselito « El Gallo » dans le cimetière de Séville près de la tombe de Juan Belmonte; les naturelles[5] et la Porte du Prince[6] de Vicente Barrera et des détails de Javier Conde; une bonne novillada, également à Séville, avec José Ignacio Sánchez, Rivera Ordóñez et « Chicuelo »; une impressionnante corrida de Miura à Pamplona avec Tomás Campuzano, « El Fundi » et Domingo Valderrama; una estocade “recibiendo” et la sortie en triomphe pour  Rincón à Béziers; les paysages taurins de Salamanque; une réception à “portagayola”[7] du novillero Curro Molina dans une novillada sans picadors dans la Maestranza sévillane; les véroniques et une « demi »[8] de Curro Romero, immobilisant le temps, le toreo de muleta de Manzanares, une demi de face et une grande faena de Ojeda, au Puerto de Santa María; “Joselito” à Malaga; « Finito de Córdoba » à Antequera; le courage de Fernando Cámara à Puerto Banús; l’arrivée des toreros rue Iris lors de la feria de San Miguel et parmi eux Curro Romero, alors qu’il ne restait plus rien pour pouvoir rentrer dans le temple, et ces ¡olés! entendus du dehors contribuant ainsi au développement de mon afición. 1995 : Un changement de main et des derechazos[9] de Curro Romero, le dimanche de Pâques, à Séville (“¡Bendito Cri’sto der Gran Pöé!”); des passes aidées[10] de Manzanares, le toreo de Ortega Cano et une trinchera[11] extraordinaire, un genou à terre, de Julio Aparicio, lors de la Feria d’ Avril, faisant se lever la Maestranza; Grande Porte de Rincón à Vic-Fezensac et faena à mon sens incomprise de Juan Mora, sortie en triomphe d’Antonio Ferrera face aux « pattes blanches » lors de la novillada dominicale. “El niño del Sol naciente” à l’hôpital Virgen del Rocío. 1996 : Traversée de Triana avec la muleta cachée sous le manteau, la lune de nuit et la lune de jour; essai d’une larga cambiada[12] un genou à terre au docteur-torito Curro, professeur de latin[13], lequel me donnera un autre jour une sacrée raclée; je fréquente le novillero Leonardo Palacios et rencontre Morante de la Puebla et Manolo Corona; une rossée mémorable au « Niño de Osuna », ami de Leonardo, lors d’une novillada dans son village; les fermes des frères Peralta, celle de Pablo Romero dans les Marais du Guadalquivir; la ferrade et deux tientas[14] dans l’élevage Pérez de la Concha; la statue de « Gallito » à Gelves. 1997 : Porte du Prince pour « Joselito », portagayola et courage de Rivera Ordóñez. 1999 : Naturelles magiques de Curro Romero la dernière fois qu’il coupera les deux oreilles d’un toro à la Maestranza, dans une grande corrida où “Espartaco” également coupera deux oreilles et une Rivera Ordóñez; Porte du Prince pour Enrique Ponce en septembre et un extraordinaire « Juli », en particulier avec une portagayola, un quite de lopecinas[15] et du courage à profusion. 2000 : Festival[16] à El Bosque, dans un théâtre magique sous les montagnes gaditaines; un fabuleux Morante de la Puebla pendant la Feria de Abril : véroniques, « demi », début de faena un genoux à terre, des naturelles de rêve et une estocade a recibir : deux oreilles; quite[17] par chicuelinas au sixième et deux coups de corne alors qu’il touchait du bout des doigts la sortie triomphale rêvée : commotion de l’afición; Don Juan, de Salvador Távora lors de la Biennale de flamenco. 2001 : Corrida historique le dimanche de Pâques, à Séville : oreille pour « Espartaco », Porte du Prince pour José Tomás et rivalité au sommet avec « El Juli »; détails de Morante pendant la feria. 2002 : Un autre épisode de la rivalité Tomás/ « Juli » le dimanche de Pâques, frisson quand Tomás se fait prendre par le toro. 2003 et 2004 : Sébastien Castella à Toulouse-Fenouillet. 2005 : Castella à Toulouse; détails et bronca de Morante à Nîmes. 2006 : Porte du Prince pour Salvador Cortés; César Jiménez à Béziers. 2007 : à Barcelone, début de faena de Ponce genou ployé et étincelles de Morante avant de recevoir une bronca; à Huelva, détails de Ponce, « El Cid » et Manzanares et grandes faenas de Perera et plus encore Talavante; à Bilbao, toreo de proximité de Castella et surtout extraordinaire Cid devant les victorinos. 2008 : Cinq piques à un cárdeno clair de José Escolar à Céret; intéressant Juan Bautista à Saint Sébastien.Le temple et l’envie du novillero Mario Aguilar à Rieumes. 2009 : Toros de Palha et Victorino à Vic. Perera à Huelva. Morante (coup de corne) et Manzanares au Puerto. 2010 : VIe  Porte du Prince : El Juli. Passes de Talavante, cape de Luque. 2011 : Manzanares par la Porte du Prince; grand novillo de Palha à Vauvert. 2012 : Nouvelle Porte du Prince pour Manzanares et 30 ou 40 olés sortis de mon âme à chaque faena; toro de Flor de Jara à Vic et courage de Barrera; encerrona de Robleño. 2013 : Urdiales et Bolero ainsi que le quadrille de Castaño à Vic; Morante à Istres. 2014 : quelques passes de Manzanares durant la saison; 5 novilleros : Soto à Aire, Husson à Rieumes, Ruiz Muñoz surtout, à Santander, de Miranda à Valverde et Valencia à Vic pour le retour de Barcial; deux tercios de piques : l’un de Pepe Aguado à un novillo de François André, l’autre de Tito Sandoval à un Barcial. 2015 : Lamelas et les conchaysierras à Aignan; Quitasol et ses frères de Pedraza à Garlin; Roca Rey et les santacolomas à Aire, dont Torrealta de Valdellán avec les piques de José Agudo dans le morrillo; même élevage à Vic avec le grand 6e, Cubano. Sommet de Ponce à Mont de Marsan et grande corrida de Cebada avec les toros Piporro et surtout Dormilón. Véroniques de Morante au Puerto. Caste des Granier à Vic. 2016 : Mirabajo de Pedraz et Adame à Garlin; Poderoso de Pagès-Mailhan à Saint Martin; Bernal, as de piques à Vic; commotion et héroïcité de Roca Rey à Malaga; Alambrisco de Pedraza et Carretero pour Saint-Perdon; grand lot de Dolores Aguirre pour la novillada vicoise; révélation d’Alfonso Ortiz à Saint-Sever. 2017 : 25 ans après la mort de Montoliú, Fandiño paie devant moi le plus lourd tribu possible à l’Art taurin, témoignant de la sorte d’une grandeur aussi incommensurable pour nous qu’invisible pour les esprits étroits. Il nous a rappelé que du sublime au néant, il n’y a qu’un pas. Et puis la vie reprend le dessus. Sans oublier jamais que nous ne sommes que de passage il y a des moments qui valent le coup d’être vécus, comme ces faenas de très haute volées de De Justo et de Morante en 2023, ce dernier coupant même une queue, la seule attribuée depuis que je suis né… et j’y étais !

Je me souviens également des paysages si espagnols de la campagne brave, où les toros vivent bien mieux et bien plus longtemps que leurs congénères  destinés à l’abattoir.

Arrivés à ce point, il est nécessaire que nous recentrions notre thème d’étude sur la tauromachie espagnole à pied, la forme de tauromachie ayant le plus de succès dans l’ensemble de la sphère taurine, sauf au Portugal où prévaut toujours le rejoneo[18]. À part ce dernier genre – qui mériterait bien qu’on lui consacre une attention particulière -, il en existe d’autres comme les courses landaises et camargaises, ainsi que les concours de recortes (écarts).

Le titre originel de ce travail, TAUROS MAKHÊ, terminé pour l’essentiel en 2005 dans le cadre universitaire, transcrit l’étymologie du mot “tauromachie” (du grec ??????, taureau, et ????, combat) afin d’exprimer le désir de pénétrer en son sein, d’extraire son essence, comme nous disions, sans que cela signifie qu’il faille remonter au Minotaure et à la Grèce antique. Non, l’essence de la tauromachie se trouve dans l’art parfois incompris du toreo. Nous allons essayer de la dévoiler, en mettant de côté de ce qui l’entoure, des lumières éblouissantes de l’habit du torero à l’ambiance tellement particulière des arènes, au point que certains affirment qu’ils ne vont aux corridas que pour elle.

L’essence de la Corrida, à laquelle nous nous référions antérieurement, c’est le toreo, c’est-à-dire l’art de toréer, qui, comme tout art, apparaît avec la sublimation d’une technique, que nous appelerons lidia, à partir d’un matériel, comme dit Luis Francisco Esplá[19], vivant, inconstant, versatile, méritant un respect, mais un matériel, ou un support artistique : le toro, protagoniste principal de la Fiesta[20]. Nous partirons du toreo actuel et nous essaierons de le comprendre à partir de son évolution, laquelle suit celle du toro et de la lidia. Notre propos se centrera donc sur le toreo contemporain, en remontant aux origines de la tauromachie moderne, au XVIIIe siècle, et se faisant nous n’approfondirons pas les formes primitives de tauromachie. Nous traiterons donc du toro, de sa lidia et de l’art de toréer, c’est-à-dire que dans un premier temps nous poserons et nous définirons notre sujet, en plus de nous occuper de son sens ou de sa moralité.

Ce qu’on appelle en Espagne la « Fête nationale » est d’une rare complexité pour qui veut pénétrer sérieusement au cœur de la question. Qu’est-ce que la tauromachie ? C’est une question à laquelle seuls peuvent répondre un nombre réduit de personnes, les professionnels du mundillo – et encore pas tous – et les vrais aficionados. Il nous paraît évident qu’un sujet aussi tendencieux que celui que nous nous proposons d’étudier peut difficilement être traité par un « taurophobe », bien que certains s’y soient essayés, lesquels, bien que prétendant faire montre d’objectivité, dépassent rarement leurs idées de base et basiquement hostiles à la Corrida. Non, les corridas ne se résument pas à quelques passes de cape, à des piques, à trois paires de banderilles, à des passes de muleta et à la mort d’un animal, comme la peinture ne peut pas non plus être résumée à quelques coups de pinceaux sur une toile. Il s’agit de beaucoup plus que cela et c’est ce que nous nous efforcerons de démontrer. Les préjugés ne prennent pas en compte que les arènes se remplissent chaque année de toute sorte de gens bigarrés, en Espagne, en France et dans les pays hispano-américains que sont le Mexique, le Vénézuela, la Colombie, l’Équateur, le Pérou et la Bolivie, en réunissant des milliers d’aficionados pas plus sanguinaires ni violents que le commun des mortels. Le sujet qui nous occupe est un tant soit peu plus vaste que ce qu’il paraît de prime abord, et nous sommes persuadés, comme nous l’évoquions précédemment, que l’attention requise pour une bonne compréhension de ce spectacle est impossible pour quelqu’un de désintéressé ou de franchement écœuré. L’art taurin est en effet très codifié et seules des années d’afición dans les arènes peuvent conduire à cette bonne compréhension. Les personnes sans préjugés sur la Corrida et ayant soif de connaître plus que ce qu’ils savent, se limitent souvent à assister à une course, mais le néophyte ne comprendra que peu du sens de la tauromachie et du déroulement de la lidia. Il se rendra compte sans nul doute si la corrida à laquelle il assiste est triomphale ou désastreuse, mais savoir pourquoi, dans un sens ou dans l’autre, est un autre problème. J’ai pu constater autour de moi qu’on est contre la Corrida par principe, parce qu’on tue le taureau, mais si certains faisaient l’effort d’approfondir le sujet peut-être seraient-ils surpris de leurs trouvailles. J’ai personnellement connu plusieurs personnes qui, cherchant à s’informer objectivement, se sont converties en peu de temps en véritables aficionados. Au fur et à mesure que leur étude avançait, la tauromachie leur est apparue de plus en plus limpide, jusqu’à ce qu’ils ouvrent les yeux sur sa dimension artistique.

Il est évident qu’il existe un côté violent dans la Corrida, bien que se soit seulement un fragment de ce qu’elle représente dans sa totalité. La douceur est aussi une notion présente, même si cela paraît paradoxal. La tauromachie est faite de paradoxes. Dans une corrida on voit tout et son contraire, comme nous le verrons plus en avant.

J’ai essayé d’être le plus objectif possible dans l’écriture de ce travail bien qu’inconsciemment et fatalement orienté par ma sincère afición. Je dois ajouter que ma culture taurine provient essentiellement d’Andalousie, et donc, s’il ya là quelque chose de subjectif c’est dans cette mesure. Cependant, je suis né français, je ne peux pas le nier, comme je suis également né dans une famille d’Espagnols exilés – de ceux de l’Espagne vaincue -, et tout cela, irrémédiablement, apporte, qu’on le veuille ou non, une manière de voir le monde.

Je suis passé dans ma vingtaine années d’afición par plusieurs étapes : de l’émotion primaire à la compréhension intellectuelle pour revenir à une autre forme d’émotion, en me laissant porter par le toreo, connaissant l’impossibilité de savoir. Socrate n’a-t-il pas dit « je sais seulement que je ne sais pas » ? Après avoir essayé de savoir, et seulement après, je crois qu’il faut oublier la connaissance pour atteindre une dimension plus éthérée et laisser place au duende et à l’ « ange ». Cela ne veut pas dire qu’il faille se satisfaire de ce qu’on sait, mais étant arrivé à un certain point peut-être est-il profitable de laisser la connaissance dans un second plan. Il s’agit de revenir au viscéral, ou émotionnel, après une étape cérébrale, intellectuelle. Comme l’a écrit Pascal dans ses Pensées, “le cœur a ses raisons que la raison ignore”, et ceci continue à être vrai malgré les découvertes postérieures de Freud. Ce travail ne remplacera pas l’émotion originale mais il pourrait être utile à celui qui l’a connue au hasard d’un après-midi taurin, ou à celui qui voudrait connaître un autre regard que celui normalement préconçu et diffusé dans notre pays, terre d’adoption de la tauromachie espagnole à pied dans sa partie méridionale.


[1] Dans La claridad del toreo (p. 9) Bergamín reproduit un passage de la Théorie de l’émotion de Sartre : “Ce que nous appelons l’émotion est une chute brusque de la conscience dans la magie. (…) D’un seul coup, l’émotion se détache d’elle-même, se transcende, et ce n’est donc pas un épisode banal de notre vie mais une intuition de l’absolu”.

[2] Il s’agit de l’heure traditionnelle pour le déroulement des corridas dans le temps solaire véritable. Aujhourd’hui, pae exemple, l’heure de commencement des course pour la Feria d’Avril est dix-huit heures trente.

[3] Nous transcrivons en italiques ce qui appartient au monde intérieur : le souvenir, la sensation, et l’émotion, mais aussi le rêve ou la pensée intrinsèque. Nous prenons l’idée de cette manière d’écrire du romancier Yann Queffélec.

[4] J’ai entendu cette phrase dans la bouche du journaliste de radio M. Iñaki Gabilondo mais j’ignore qui en est l’auteur.

[5] Passe de muleta basique de la main gauche. La majorité des termes techniques, écrits en italiques, sont définis dans le glossaire qui se trouve à la fin de ce travail.

[6] Grande Porte de la Maestranza sévillane.

[7] Reception du toro à genoux à la sortie du toril.

[8] Véronique et demi véronique : passes de cape.

[9] Passe de muleta de la main droite..

[10] Passes de muleta à deux mains avec l’aide de l’estoc.

[11] Passe de muleta (voir chapitre II).

[12] Passe de cape.

[13] Les taurins disent qu’un animal connaît le latin lorsqu’il a appris les règles du jeu et à développé le sentido.

[14] Sélection du bétail. À cette occasion, avec la cape et l’épée seulement.

[15] Passe de cape qui porte le nom de Julián López “El Juli”.

[16] Corrida de bienfaisance avec des animaux ayant les pointes des cornes coupées et où les toreros sont habillés avec le costume andalou typique (traje corto).

[17] Série avec la cape s’exécutant après une pique ou pour enlever l’animal du cheval du picador. Après la seconde pique, le torero suivant sur l’affiche intervient intervient, et le troisième si une pique supplémentaire est nécessaire.

[18] Tauromachie à cheval.

[19] Nous avons entendu dans une émission de TVE l’expression “matériel artistique” dans la bouche de Luis Francisco Esplá, lequel, en plus de torero, est aussi peintre à ses heures perdues.

[20] La tauromachie est connue en Espagne comme “Fête nationale”, et il est très fréquent de l’appeler simplement “Fiesta”, comme synonyme de fiesta brava (fête brave).