Août 27 2016

In memoriam

Le bruit de la mer :

En février 1939, mon grand-père Juan, blessé par un éclat d’obus et bientôt accompagné de près d’un demi-million de camarades, passait la frontière (il ne la repasserait que près de 40 ans après, à une époque où son neveu Pepín venait de renoncer à sa carrière de novillero). Notre République avec un gouvernement de gauche depuis 1936 (bien que le Front Populaire ait pris fin en octobre) n’était sûrement pas préparée à une telle déferlante et cependant l’accueil fut indigne du pays des droits de l’Homme (et le pire c’est que, n’apprenant pas de son histoire, le même sort fut réservé aux Harkis plus de 20 ans après). Dans le camp d’Argelès (photo) c’est avec 100 000 autres personnes qu’il fut entassé gardé par les gendarmes et les tirailleurs sénégalais dont ils gardaient un piètre souvenir. L’homme n’est ni bon ni mauvais disait Sartre mais il est ainsi fait qu’il fait souvent subir à autrui ce qu’il a subi lui-même. Ceux-là étaient semble-t-il trop contents de faire subir à des blancs ce que ceux-ci leur avaient fait subir. Bref, pendant les longs mois de leur captivité, après avoir construit les baraquements qui les abriteraient de la tramontane, les Espagnols (dont certains Français disaient qu’ils avaient une queue de singe) avaient tout le loisir de regarder les collines avoisinantes et le fort Saint Elme qui domine Collioure (son nom ne signifie-t-il pas ‘la colline libre’ ?), ce charmant village de pêcheurs qui fit un temps parti du royaume de Mallorque puis de celui de l’Espagne jusqu’en 1659.

Ces ‘rouges’ d’Espagnols laissèrent des traces (j’en suis une), surtout dans le sud-ouest et 10 ans plus tard, en 1949 donc (bien que le début de son histoire taurine date semble-t-il de 1889), Collioure commencerait pour plus de 60 ans à donner de manière ininterrompue des courses de toros, présidées par ce même Fort Saint Elme construit sous Charles Quint (voir article ‘Avec le temps…’).

J’étais là en août 2011 pour ce qui serait, sans qu’on le sache, la toute dernière course de ce splendide village qui héberge depuis 1939 la dépouille du grand poète sévillan Antonio Machado. Certains disent que le village est maintenant redevenu fréquentable, en tous cas il est bel et bien catalan. D’ailleurs, après avoir fait disparaître ce qui n’est qu’un symbole c’est aujourd’hui au symbole du drapeau (en parlant de ça, la contagion s’étend si j’en juge par le fait que le drapeau français a une fâcheuse tendance à disparaître dudit château des Templiers) que la Catalogne s’attaque et c’est désormais l’idée même d’Espagne qui est en danger.

Mais ce qui m’a frappé ce jour-là, outre la démesure des novillos de Christophe Yonnet, c’est qu’un tiers du public initial (arènes aux trois quart remplies) est parti au cours de la novillada. Ces vacanciers nordistes, pour bon nombre d’entre eux, étaient venus par curiosité mais le spectacle proposé a choqué leur sensibilité. J’ai le souvenir d’une adolescente sortie en pleurs. Pour elle au moins il ne s’agissait pas de minauderies de sa conscience mais d’un sentiment vrai. Et pourtant… ces animaux ne ressemblaient ni de près ni de loin à des animaux de compagnie sans défense. Mais voilà… il n’y a que le côté violent de la corrida qui lui est visiblement apparu (pour le reste il fallait être un aficionado confirmé) car de nos jours on ne côtoie plus la mort : on éloigne les enfants lors du décès de leurs grands-parents et surtout on ne tue plus le poulet à la maison. La sensibilité a changé, nous vivons pour le meilleur et pour le pire et malgré les crises une période plus douce. Dans ce regard plein de larmes que j’ai aperçu, j’ai vu un instant de la sensiblerie. Je crains hélas que ce soit un sentiment vrai.

Un sentiment semblable sans doute à celui qui m’a animé sur la plage d’Argelès là où il ne reste plus aucune trace visible du passage des Espagnols, pas même une stèle à la mémoire de ceux qui y ont perdu leur vie (cela risquerait de choquer la sensibilité des plagistes).

Il ne restera in fine que ce et ceux qui peuplent nos mémoires et les traces que nous en auront laissé, par la transmission orale ou écrite.

Voici les quelques notes que j’avais prises lors de cette course :

Mardi 16 août 2011, novillada piquée , ¾ d’entrée

Arènes de Collioure

DURE NOVILLADA DE YONNET

6 utreros 6 des héritiers de Christophe Yonnet (tous noirs et très bien présentés, une véritable corrida) : tous 3 piques, sauf le 1er qui en prit 2 (le 5e fit tomber le picador). Compliqués la plupart. Les meilleurs, en restant âpres, furent les 3 premiers. Les 2 derniers furent mansurrones mais encastés.

 

Carlos DURÁN (bleu marine et or) : silence et silence

Novillero très superficiel. Beaucoup de recursos et peu de toreo fondamental.

Raúl RIVERA (blanc et or) : silence et silence

Novillero-banderillero. Assez superficiel à son premier, il abrège à son 2e après un bref macheteo. Ce 5e novillo avait mis l’ensemble du quadrille en déroute, donc très mal lidié. Les complications n’ont fait que s’accentuer.

Emilio HUERTAS (en substitution de Damián Castaño) (framboise et or) : silence et silence

Bon quite par chicuelinas au deuxième. Son premier trop et mal piqué est arrivé à l’arrêt au dernier tiers. Au dernier, deux séries aidées à gauche incluant une « espantá » puis macheteo plus élégant que le précédent. Quelques sifflets.

 

Tout çà, c’est du passé. Il ne reste presque plus de républicains espagnols pour témoigner. A Collioure, après les pêcheurs d’anchois et les grands peintres, c’est la tauromachie qui a disparu et avec elle une certaine idée de la liberté.